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Église d'Irlande, dont les monastères étaient célèbres depuis le cinquième siècle, l'Église anglo-saxonne elle-même avait été fondée par un Grec de Tarse, Théodore, en 668. Il y avait apporté certains livres grecs, entre autres Homère et, Josèphe. Grâce à ses soins et à ceux d'Adrien son compagnon, cette Église naissante avait retrouvé la tradition des lettres latines et même de la langue grecque. Elle possédait plusieurs grands ouvrages de l'antiquité, entre autres ceux d'Aristote. Dans l'âge des plus profondes ténèbres, elle produisait sans interruption des hommes tels que Bède, Egbert, Albert et Alcuin.

Ce dernier fut le confident, l'ami et en quelque sorte le ministre intellectuel de Charlemagne. C'est en Italie, à Parme, que le roi des Francs trouva le savant Anglo-Saxon en 780. Deux ans après, Alcuin était établi à la cour de Charlemagne, et touchait les revenus de trois riches abbayes. Il ne faut pas mesurer la réputation de cet homme célèbre au mérite intrinsèque des ouvrages qu'il a laissés. Des commentaires allégoriques sur l'Écriture sainte, des traités dogmatiques sur certaines questions de théologie, un livre de morale pratique sur les vertus et les vices, quelques travaux sur la grammaire, l'orthographe, la rhétorique et la dialectique, quatre-vingts `pièces de vers d'un médiocre mérite, c'est tout ce qui nous reste de lui, et rien ne nous engage à croire qu'il ait composé des ouvrages d'une valeur plus considérable. L'œuvre véritable d'Alcuin c'est l'impulsion qu'il donna à l'esprit de ses contemporains; son mérite, c'est d'avoir arrêté sur sa pente rapide la décadence de l'instruction et renoué la chaîne des traditions antiques. C'est vers la philosophie, vers la littérature que tendent ses pensées : il cite Virgile à côté de saint Augustin: il s'occupe de mathématiques et d'astronomie aussi bien que d'études théologiques. En lui commence l'alliance des deux plus féconds éléments de la pensée moderne, l'antiquité et le christianisme.

Alcuin ne fut pas le seul auxiliaire qui seconda Charlemagne dans sa noble entreprise. Toutes les contrées semblent lui payer leur tribut. La Norique lui donne Leidrade; il s'attache le Goth Théodulphe; l'un devient archevêque de Lyon,

l'autre évêque d'Orléans. Nous trouvons aussi près de lui Smaragde, abbé de Saint-Mihiel, qui composa une grammaire latine, le Germain Angilbert qui écrivait des vers latins, saint Benoît d'Aniane, le second réformateur des monastères d'Occident, et enfin Éginhard, « un barbare peu exercé dans la langue des Romains, » à ce qu'il dit lui-même, lequel n'en devint pas moins le plus remarquable des chroniqueurs de cette époque, et mérita presque le titre d'historien.

Le premier soin de Charlemagne fut de réunir en un foyer commun ces lumières éparses qu'il avait su recueillir. Il forma dans l'enceinte de son palais une école qui le suivait partout, et dont faisaient partie, outre l'empereur lui-même, ses maîtres, ses favoris, ses fils et même ses filles. A dire vrai, c'était moins une école régulière qu'une espèce d'académie, où Alcuin, qui en était l'âme, cherchait à éveiller l'attention, à piquer la curiosité de ses auditeurs demi-barbares, par tout ce que l'érudition avait de plus inattendu. C'était voir juste : il s'agissait moins d'instruire de pareils élèves que de leur faire aimer la science. La passion qu'elle excita fut portée à un degré qui nous paraît bizarre. Pareille à certaines académies italiennes, où de graves ecclésiastiques s'affublent des noms. bucoliques des bergers de Virgile, l'école du palais donnait un nom savant à chacun de ses membres. Charlemagne s'y nommait David; Alcuin, Flaccus; Angilbert, Homère; Gisla et Gondrade avaient choisi les deux noms gracieux de Lucie et Eulalie. On doit respecter même une légère nuance de pédantisme, quand on songe à la grandeur du résultat et à l'élévation des motifs, D'ailleurs n'était-ce pas un noble besoin pour ces hommes d'élite, de sortir, au moins pour quelques instants, d'un siècle barbare, grâce à l'illusion de ces noms vénérés?

Travaux de Charlemagne; grammaire franque;
recueil de poésies populaires.

Charlemagne prit l'étude au sérieux. Il voulut savoir luimême tout ce qu'il ordonnait d'enseigner. Ce dut être un spectacle curieux et admirable que de voir ce fier vainqueur

des Saxons et des Lombards s'exercer avec beaucoup de soin et assez peu de succès à former de beaux caractères d'écriture, et placer sous son chevet ses tablettes et son stylet, pour occuper ainsi l'insomnie de ses nuits. Son intelligence était plus flexible que ses doigts : il apprit à parler correctement la langue latine; il comprenait même le grec. Portant jusque dans la grammaire le génie d'organisation qui éclatait dans sa politique, il conçut le projet de soumettre aux lois générales du langage l'idiome jusqu'alors indiscipliné des Germains: il commença une grammaire franque, qui a précédé de huit cents ans les plus anciennes grammaires allemandes. Enfin, ce qui n'honore pas médiocrement son goût littéraire, au milieu de l'éclat nouveau que les lettres latines faisaient briller à ses yeux, il ne dédaigna pas les poésies nationales de la Germanie, ces vieux chants héroïques dont l'Edda et les Nibelungen nous conservent les débris; il recueillit ces poëmes barbares qui renfermaient à coup sûr plus de vraie poésie que tous les hexamètres de Flaccus-Alcuin et d'Homère-Angilbert. Lui-même cultiva pourtant la poésie latine. On lui attribue plusieurs pièces de vers qui nous restent encore. Il en est une qui semble lui appartenir plus certainement, car il s'y est nommé. C'est l'épitaphe du jeune Hugues, l'un de ses fils. On y remarque un solecisme si plein de grâce qu'il semble une condition indispensable de l'idée qu'il exprime :

<< Hoc tibi care decus, Carolus miserabile carmen
Edidit. »

Un autre vers de cette pièce rachète une faute de quantité par une noble image :

<< Perpetuus miles regnat in aula Dei. »

Nous aimons à trouver ce mélange de talent et d'incorrection sous la plume du poëte guerrier. Il semble que cette forte pensée, impatiente d'entraves, brise au moindre mouvement les règles trop délicates de la syntaxe et de la prosodie.

Théologie; Capitulaires.

La véritable littérature de cette époque devait être la théologie. L'avenir de la pensée était dans la foi chrétienne : il fallait achever de fonder la foi. Elle seule pouvait passionner les esprits, aiguillonner l'étude, faire naître la discussion et quelquefois l'éloquence : Charlemagne fut théologien. Outre les questions qu'il adressait aux évêques, véritables programmes qui produisaient des ouvrages, l'empereur revit et compléta lui-même divers traités sur les matières qui préoccupaient alors l'Église.

L'ouvrage vraiment royal qui nous reste de Charlemagne, ce sont ces soixante-cinq Capitulaires, vaste et confuse collection des divers actes de son pouvoir. Ce n'est pas exclusivement un recueil de lois : ce sont aussi des ordonnances, des jugements particuliers, des conseils, des projets, enfin des actes administratifs de toute espèce: c'est le règne de Charlemagne encore vivant dans ces débris mutilés. On y croit entendre la voix imposante du maître, et reconnaître quelquefois la brièveté impériale du commandement. Mais le prince n'ordonne pas seulement, il raisonne, il enseigne. A l'aurore de toute civilisation les rois sont les pasteurs des peuples. Tantôt l'auteur des Capitulaires prêche à ses durs Germains la morale évangélique, et leur cite l'apôtre saint Paul; tantôt il donne des instructions à ses envoyés royaux, règle les formes de la justice et la tenue des plaids locaux. Embrassant tous les détails dans son immense activité, il fait des règlements de police, établit un maximum pour le prix des denrées, proscrit la mendicité et la remplace par une espèce de taxe des pauvres. Plus loin il consacre un capitulaire tout entier à l'administration domestique de ses domaines, à la vente de ses légumes (de villis). C'était l'actif du budget impérial: les fermiers auxquels il s'adressait formaient son ministère des finances. Enfin Charles se garde bien d'oublier les ecclésiastiques, c'està-dire la partie intelligente, la classe régnante de la nation. Non content de régler leurs intérêts, l'empereur s'occupe et s'inquiète de leurs empiètements. Il semble lire dans l'avenir

«

les malheurs de son fils, le débonnaire Louis. « A qui s'adressent, leur demande-t-il, ces paroles de l'apòtre: « Nul homme qui combat au service de Dieu ne s'embarrasse des affaires 、 « du monde? » Et plus loin : « Qu'est-ce que renoncer au siècle? Est-ce seulement ne point porter d'armes et n'être pas marié publiquement? »

Réforme du clergé; écoles; manuscrits.

La réforme du clergé fut la première mesure réparatrice de Charlemagne. La renaissance du neuvième siècle, comme celles du onzième et du seizième, commença par une réforme religieuse. Sous Charles Martel, plus encore qu'avant lui, les barbares avaient fait invasion dans l'Église, et y avaient apporté leur grossièreté et leur ignorance. Charlemagne n'épargna rien pour raviver la discipline ecclésiastique. Il corrigea les mœurs des clercs, rétablit la régularité dans leur conduite et la décence dans la célébration des offices. Les conciles, tombés presque en désuétude au septième siècle et au commencement du huitième, redevinrent fréquents sous ce règne. La vie morale renaissait dans l'Église : l'intelligence

allait aussi se réveiller.

La copie des manuscrits joua alors le même rôle que l’imprimerie au quinzième siècle. A l'une et à l'autre époque, la Bible fut l'objet des premiers travaux. Vers l'an 801, Alcuin envoyait à l'empereur une révision complète des livres saints. Ce prince lui-même se livrait à de pareilles études. « L'année qui précéda sa mort, dit un chroniqueur contemporain, il corrigea soigneusement, avec des Grecs et des Syriens, les quatre Évangiles de Jésus-Christ. De tels exemples donnèrent une impulsion générale. Tous les monastères rivalisaient de zèle pour copier ces nouvelles recensions. Au caractère informe des temps mérovingiens, qui n'était que l'écriture cursive et dégénérée, se substitua le petit et plus tard le grand caractère romain: c'était encore une restauration. La calligraphie devint un talent lucratif et même une gloire. On mettait tout en œuvre pour en propager le goût. Tantôt c'étaient des vers d'Alcuin, espèce de circulaire écrite sur les murs intérieurs

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