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une fatalité qui doit être encore remarquée, AN 2. cette religion était détruite par ceux qui ont dû sentir depuis combien son secours leur était nécessaire, lorsqu'ils ont vu les effets de leur première injustice réagir enfin contr'eux-mêmes. Les déclamations d'une prétendue philosophie, dans les leçons de laquelle chacun croyait voir le principe des malheurs particuliers et publics, étaient impuissantes contre de telles fureurs : elle avait été invoquée par les bourreaux, les victimes qui eriaient vengeance pouvaient-elles se ranger sous sa bannière, et se montrer dociles à sa voix? Combien ceux qui ont cru trouver un remède à nos malheurs dans le système d'une telle philosophie, ont peu connu l'espèce humaine!

L'état pitoyable où la France se trouvait réduite par la disposition de ses habitans, devenait plus inquiétant encore par la pénurie des subsistances qui la désolait. Les masses de soldats, accumulées sur les frontières, avaientdétruit, plutôt qu'elles n'avaient consommé, des quantités énormes de munitions de toute espèce qu'on avait été obligé d'extraire de l'intérieur. Ceux qui possédaient le reste le dérobaient à la circulation autant qu'il leur était possible, et ne voulaient point

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l'échanger contre de misérables assignats qui s'étaient multipliés tellement, qu'ils valaient à peine la matière brute qui avait servi à leur fabrication.

Dans l'hiver de 1795, qui fut très-rigoureux, les habitans de Paris et des bourgades voisines n'avaient point de bois pour se chauffer et faire cuire leurs alimens; les chantiers ou magasins de combustibles dans cette ville immense se trouvaient absolument vides. L'inepte gouvernement qui nous régissait alors, n'avait pris aucune niesure pour les faire remplir; il était uniquement oc- . cupé à exterminer tout ce qui l'entourait, et ne prenait aucune précaution pour conserver. La pénurie était telle, qu'on fut obligé de couper sur-le-champ les bois de Boulogne et de Vincennes, qui servaient de promenade aux Parisiens; on employa à cette opération tous les manœuvres qu'on put trouver, auxquels on adjoignit les prisonniers de guerre autrichiens rassemblés dans les environs; mais ce bois absolument verd, dont chacun pouvait avec peine se procurer quelques bâtons, ne pouvait suffire à une consommation telle que celle de Paris: on brûlait les chaises, les tables, les bois de lits, et jusqu'aux charpentes des maisons, encore

mourait-on de froid; mais le manque de
bois n'était pas encore la privation la plus
cruelle; on n'avait pas de pain; ce n'était
qu'avec des peines incroyables et en envoyant
des réquisitions et des soldats par-tout, que
le gouvernement pouvait faire arriver quel-
que peu de farine, dont on augmentait le
volume, en y mêlant le produit de toutes
sortes de graines qui jusqu'alors n'avaient
jamais servi à la confection du pain : il
était détestable et ressemblait à de la colle
un peu sèche; on ne pouvait avoir de cette
déplorable nourriture qu'avec un certificat
sur lequel on avait recensé le nombre des
personnes dont était composée chaque fa-
mille, et l'on appelait cela carte du pain;
on n'en délivrait souvent qu'une once par
tête, encore se battait-on à la porte des
boulangers pour se la procurer: il
y avait
aussi une carte pour la viande qui se distri-
buait de la même manière; mais comme la
viande était moins rare que le pain, ceux
qui avaient de l'argent ou des assignats en
abondance, pouvaient s'en procurer par sup-
plément à la mauvaise et mesquine distri-
bution qui se fesait ordre du gouverne-
ment. Il y avait dans chaque section, chez
tous les boulangers et chez tous les bouchers,

par

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des commissaires au pain et des commissaires à la viande, et c'était à qui pourrait être chargé de ces dangereuses et pénibles fonctions, dont cependant on ne retirait aucun avantage, si ce n'est de rapporter chez soi un peu plus de pain et une portion de viande plus abondante et mieux choisie que celle qui était livrée au public; c'était le prix de quelques complaisances qu'on avait pour le boucher et le boulanger, en leur laissant faire quelques petites provisions pour leur compte particulier. De tels secours ne suffirent pas, sur-tout pour les personnes occupées à un travail pénible; plusieurs malheureux n'ayant point et ne pouvant avoir de ces cartes l'on voyait dans les rues des hommes, des femmes, des petits enfans cherchant dans les ordures et se nourrissant des restes dégoûtans qu'ils pouvaient y découvrir : voilà à quel état les discordes civiles nous avaient réduits.

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En ubi perduxit miseros discordia cives!

A l'extérieur, la France avait sur le continent un avantage décidé sur ses ennemis. Après la reprise de Toulon, les armées françaises reprirent l'offensive sur toute l'étendue de leurs immenses frontières. Toulon, rendu

à la république, une partie des troupes qui AN 2. avaient fait cette expédition, se portèrent sur les frontières d'Espagne, et chassèrent l'ennemi qui menaçait Perpignan. Collioure et le Port-Vendre furent attaqués par terre et par mer, et les Espagnols forcés de se retirer sur leur territoire; ils ne conservèrent en France que le fort de Bellegarde, qui leur fut enlevé au mois de septembre suivant.

Du côté de l'Italie, les Français étaient maîtres des Alpes et du comté de Nice; ils allaient entrer en Italie.

Sur le Haut-Rhin, les Prussiens, qui s'étaient rendus maîtres des lignés de Lauterbourg (1) et assiégeaient Landau, furent forcés de lever le siége et d'abandonner les lignes; ce fut le général Pichegrú qui entra le premier à Landau, dont le siége avait été long-temps une cause de proscription contre plusieurs militaires qu'on disait avoir eu des relations avec les assiégeans. Le général Hoche lui-même fut puni pour les avantages qu'avait remportés l'armée du roi de Prusse dans

(1) Les jeunes ducs d'Angoulême et d'Enghien étaient avec les Prussiens, lors de l'attaque de ces lignes, et y combattirent, dit-on, avec beaucoup de courage.

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