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servée dans les adversaires de saint Augustin que l'Eglise a condamnés par tant de sentences: Grotius un protestant, un arminien, un socinien en beaucoup de chefs l'a dit : M. Simon et d'autres critiques osent le suivre. Il en a pris ce beau système de doctrine qui commet les Grecs avec les Latins, les premiers chrétiens avec leurs successeurs, saint Augustin avec lui-même, où l'on préfère les sentimens que le même saint Augustin a corrigés dans le progrès de ses études à ceux qu'il a défendus jusqu'à la mort, et les restes des pélagiens à toute l'Eglise catholique. Les sociniens triomphent par le moyen de Grotius si plein de leur esprit et de leurs maximes, ils font la loi aux faux critiques jusque dans le sein de l'Eglise la ville sainte est foulée aux pieds, le parvis du temple est livré aux étrangers, et des prêtres leur en ouvrent l'entrée.

CHAPITRE VIII.

Les témoignages qu'on tire des Pères qui ont écrit devant les disputes ont leur avantage. Saint Augustin recommandable par deux endroits. L'avantage qu'a tiré l'Eglise de ce qu'il a écrit après la dispute contre Pélage.

MAIS peut-être qu'ils sont forcés par de puissantes raisons, à entrer dans ces sentimens. On n'en peut avoir de plus foibles. On veut premièrement imaginer qu'il y a quelque chose de plus naturel dans les Pères qui ont précédé les disputes, que dans ceux qui ont suivi, et on ne veut pas écouter ceux qui s'en

tiennent aux derniers. Mais il ne faut point opposer ces deux sentimens. L'un et l'autre est véritable: l'Eglise profite en deux manières du témoignage des Pères : elle en profite devant la naissance des hérésies: elle en profite aussi après : elle en profite devant, parce qu'elle y voit, avant toutes les disputes, la simplicité naturelle et la perpétuité de sa foi : elle en profite aussi après, pour parler plus correctement des articles qui sont attaqués.

Personne ne révoque en doute que les hérésies ne réveillent les saints docteurs, et ne les fassent parler plus correctement sur les vérités contestées. Saint Thomas, Vincent de Lerins et saint Augustin que nous avons rapportés, le consentement de tous les docteurs anciens et modernes, l'expérience même, qui est très-constante, ne permet sur ce sujet aucun doute.

D'autre part, il ne laisse pas d'être certain que les Pères qui ont précédé les disputes, ont à leur manière quelque chose de plus fort, parce que c'est le témoignage de gens désintéressés, et qu'on ne peut accuser d'aucune partialité. Personne n'a mieux profité de cet avantage que saint Augustin. Car après avoir produit à Julien les Irénées, les Cypriens, les Hilaires et les autres anciens docteurs, sans oublier saint Jérôme : « Je vous appelle, lui » dit-il (1), devant ces juges, qui ne sont ni mes >> amis, ni vos ennemis, que je n'ai point gagnés » par adresse, que vous n'avez point offensés par » vos disputes vous n'étiez point au monde quand >> ils ont écrit: ils sont sans partialité, parce qu'ils

(1) Cont. Jul. lib. 11. c. x. n. 34, 36.

>> ne

> ne nous connoissoient pas : ils ont conservé ce qu'ils » ont trouvé dans l'Eglise : ils ont enseigné ce qu'ils » ont appris: ils ont laissé à leurs enfans ce qu'ils ont >> reçu de leurs pères ». Il faut reconnoître dans ces témoignages quelque chose d'irréprochable, qui ferme la bouche aux hérétiques : et c'est pourquoi en citant, comme on vient de voir, saint Jérôme, qui étoit du temps de Pélage et son adversaire, saint Augustin sait bien observer, que ce qu'il produit de ce Père contre Julien, est tiré des livres qu'il avoit écrits avant la dispute lorsque libre de tout soupçon et de toute partialité, LIBER AB OMNI STUDIO PARTIUM (1), il condamnoit les pélagiens avant qu'ils fussent nés.

J'avoue donc que ces deux manières de faire valoir les témoignages des Pères, ont des avantages mutuels l'une sur l'autre mais je n'ai : pas besoin de décider où il y en a de plus grands, puisqu'ils concourent les uns et les autres dans la personne et dans les écrits de saint Augustin. Y voulez-vous voir la pleine et entière expression de la vérité depuis la dispute? Toute l'Eglise l'a reconnue dans ce Père, tout s'est tu lorsqu'il a parlé : saint Jérôme même, qui étoit alors comme la bouche de l'Eglise contre toutes les hérésies, quand il a vu la cause de la vérité entre les mains de saint Augustin, n'a plus fait que lui applaudir avec tous les autres (2). Il n'est plus temps de dire qu'il a excédé après que les papes ont réprimé ceux qui le disoient : il n'est plus temps de dire qu'il a poussé les choses plus qu'il

(1) Cont. Jul. lib. 11. c. x. n. 36. (2) Prosper, Cont. Collat.

cap. 11.

BOSSUET. v.

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ne vouloit, ou plus qu'il ne falloit, ni qu'il a eu des sentimens particuliers, ou trop d'ardeur dans la dispute, pendant que non-seulement l'Eglise romaine avec l'africaine, mais encore par tout l'univers, comme parloit saint Prosper (1), tous les enfans de la promesse étoient d'accord avec lui dans la doctrine de la grâce comme dans tous les autres articles de la foi.

Personne n'en a dédit saint Prosper, qui lui a rendu ce témoignage l'évènement même en a prouvé la vérité. Pour avoir droit de lui reprocher d'avoir excédé, ou d'avoir dégénéré de l'ancienne doctrine, il faudroit que l'Eglise qui l'écoutoit, eût cru entendre quelque chose de nouveau : mais on a vu le contraire, et pendant qu'on accusoit saint Augustin d'être un novateur, les papes ont prononcé que c'étoit ses adversaires qui l'étoient, et que c'étoit lui qui étoit le défenseur de l'antiquité.

CHAPITRE IX.

Témoignage que saint Augustin a rendu à la vérité avant la dispute. Ignorance de Grotius et de ceux qui accusent ce Père de n'avoir produit ses derniers sentimens que dans la chaleur de la dispute.

On ne peut donc affoiblir par aucun endroit le témoignage que saint Augustin a rendu à la vérité durant la dispute. Mais, si pour le rendre plus incontestable, on veut encore qu'il ait prévenu toutes les contestations, cet avantage ne manquera (1) Prosper. ad Ruf. n. 3. in app. Aug. t. x. p. 165.

pas à ce docte Père. C'est une ignorance à Grotius et à tous ceux qui accusent saint Augustin de n'avoir avancé, que dans la chaleur de la dispute, ces sentimens qu'ils accusent de nouveauté. Car il n'y a rien de si constant que ce qu'il a remarqué luimême, en parlant de ses livres à Simplicien, successeur de saint Ambroise dans l'évêché de Milan, qu'encore qu'il les ait écrits au commencement de son épiscopat, quinze ans avant qu'il y eût des pélagiens au monde, il y avoit enseigné pleinement et sans avoir rien depuis à y ajouter dans le fond, la même doctrine de la grâce, qu'il soutenoit durant la dispute et dans ses derniers écrits.

C'est ce qu'il écrit dans le livre de la Prédestination et dans celui du Bien de la Persévérance (1), où il montre la même chose du livre de ses Confessions, qu'il a publié, dit-il (2), avant la naissance de l'hérésie pélagienne; et toutefois, poursuit-il, on y trouvera une pleine reconnoissance de toute la doctrine de la grâce, dans ces paroles que Pélage ne pouvoit souffrir: DA QUOD JUBES, ET JUBE QUOD VIS: Donnez-moi vous-même ce que vous me commandez, et commandez-moi ce qui vous plaît (3). Ce n'étoit pas la dispute, mais la seule piété et la seule foi qui lui avoit inspiré cette prière: il la faisoit, il la répétoit, il l'inculquoit dans ses confessions, comme on vient de voir par lui-même, avant que Pélage eût paru; et il avoit si bien expliqué dans ce même livre, tout ce qui étoit nécessaire pour entendre la gratuité de la grâce, la prédesti(1) Lib. de præd. SS. cap. iv. de don. pers. c. xx, XXI. — (2) De don. pers. c. xx. n. 53. - (3) Lib. x. c. XXIX, XXX1, XXXVII.

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