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En effet, à dire le vrai, et en bonne théologie, être coupable ne peut être autre chose que d'être obligé au supplice, υπεύθυμοι κολάσει, comme parle saint Chrysostôme (1), ou, comme dit le même Père au même endroit, redevable de la peine dky ds. C'est ce que saint Chrysostôme explique par ces termes généraux zodzsis, dizǹ : punition, peine. Que s'il ajoute qu'être coupable n'est pas seulement étre assujetti à la peine, mais encore être condamné à mort; et s'il s'attache principalement à la mort du corps dans toute la suite de son discours, ce n'a pas été pour réduire à la seule mort corporelle tout le supplice d'Adam, mais pour l'exprimer tout entier par la partie la plus sensible.

CHAPITRE XI.

Que saint Chrysostome a parfaitement connu la concupiscence, et que cela même c'est connoître le fond du péché originel.

Au reste, saint Chrysostôme ajoute aux maux que nous avons hérités d'Adam, ce qu'il appelle zaxia (2), qu'on peut traduire la malice ou malignité, le vice, la dépravation de notre nature; en un mot, la concupiscence, qui consiste dans cette pente violente au mal que nous apportons en nais

sant.

Saint Chrysostôme y ajoute encore cette révolte des sens, ce foible pour le bien sensible, cette ardeur qui nous y entraîne comme malgré nous, d'où

(1) Hom x, in Rom. —(2) Ibid.

naît

naît même dans nos corps ce désordre honteux, que ce Père appelle l'image du péché, et qu'il explique avec autant de force que d'honnêteté dans un passage qui est rapporté par saint Augustin (1).

Nous avons déjà remarqué que ce désordre n'est pas seulement un des effets de notre péché, mais qu'il en fait une partie, puisqu'il en est le fond et le sujet. Nous naissons dans ce désordre, parce que c'est par ce désordre que nous naissons, et qu'il est inséparable du principe de notre naissance. C'est donc là ce qui fait en nous la propagation du péché, et la rend aussi naturelle que celle de la vie.

Ainsi, il n'y a rien de plus véritable que ce qu'on a déjà remarqué, que quiconque connoît parfaitement la concupiscence, dans le fond connoît aussi ce péché de notre nature. C'est pourquoi saint Augustin joint ces deux choses dans tous ses écrits, et en particulier dans les livres contre Julien (2), où il montre que tous les anciens ont reconnu le péché originel, parce qu'ils ont reconnu la concupiscence; parce qu'en effet la reconnoître, c'est reconnoître dans tous les hommes, dès le principe de leur conception, ce déréglement radical, qui devient si sensible dans le progrès de l'âge, qu'il a même été reconnu par les philosophes païens. II est donc vrai que tous les hommes portent dans 'la révolte de leurs sens une secrète et naturelle impression de l'ancien péché dont toute la nature est infectée.

(1) Cont. Jul. lib. 11. c. VI. -- (2) Lib. 11.

BOSSUET. v.

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CHAPITRE XII.

En passant on note l'erreur de quelques-uns qui mettent le formel ou l'essence du péché originel dans la domination de la convoitise.

C'EST une doctrine commune et très-véritable de l'Ecole, que la concupiscence est le matériel du péché de notre origine. Pour le formel, quelques-uns le mettent en ce que ce déréglement radical est un véritable péché, tant qu'il domine, et qu'il y faut la grâce habituelle et sanctifiante pour l'empêcher de dominer; de sorte que la rémission du péché originel consiste dans l'infusion de la grâce, qui établit le règne de la justice au lieu de celui de la convoitise.

Cette doctrine, quoique spécieuse, est insoutenable dans le fond; puisque si le formel du péché originel étoit le règne de la convoitise, toutes les fois qu'on perd la grâce et que ce règne revient, le péché originel reviendroit aussi, ce qui est contre la foi et contre cette règle de saint Paul, que les dons de Dieu sont sans repentance. Je n'en dirai pas davantage sur une chose si claire; et j'ai voulu seulement en avertir quelques catholiques, qui se laissent aller trop aisément dans le sentiment que je viens de rappor ter, pour n'en avoir pas assez vu la conséquence.

CHAPITRE XIII.

En quoi consiste l'essence ou le formel du péché originel et quelle est la cause de la propagation.

Il faut donc dire que la malice, et comme parle l'Ecole, le formel de ce péché de notre origine, c'est d'avoir été en Adam, lorsqu'il péchoit; et la rémission de ce péché, c'est d'être transféré en Jésus-Christ, comme juste et comme auteur de toute justice.

Qu'est-ce qu'avoir été en Adam? notre être, notre vie, notre volonté, avoit été dans la sienne; voilà notre crime. Dieu qui l'avoit fait notre principe, avoit tout mis en lui pour lui et pour nous, et nonseulement la vie éternelle, mais encore celle de la grâce; c'est-à-dire, la sainteté et la justice originelle. Par conséquent, en péchant, il a tout perdu, autant pour nous que pour lui-même. Un des dons qu'il a perdus, c'est l'empire sur ses passions et sur ses sens. Ce désordre, cette révolte des sens étant en lui un effet de son péché, être venu de là, c'est lui être uni comme pécheur. Ainsi tout le genre humain devient en lui un seul criminel. Dieu le punit en nous tous, qui faisons, étant ses enfans, comme une partie de son être par-là il nous impute son péché. C'est tout ce qu'on peut savoir de ces règles impénétrables de la justice divine, et le reste est réservé à la vie future.

CHAPITRE XIV.

Comment la concupiscence est expliquée par saint Chrysostome: deux raisons pourquoi sa doctrine n'est pas aussi liée et aussi suivie que celle de saint Augustin, quoique la même dans le fond.

C'EST la doctrine de tous les siècles sur la liaison de la concupiscence avec le péché originel. Il ne nous reste qu'à remarquer que saint Chrysostôme attache ordinairement la concupiscence à la mortalité, parce que l'homme, devenu mortel, tombe par-là dans cette indigence, d'où naissent nos foiblesses et nos mauvais désirs, ainsi que ce Père, et après lui Théodoret, l'explique sur ce verset du psaume 1, Ecce in iniquitatibus, etc.

L,

C'est aussi une des raisons pour laquelle cet éloquent patriarche de Constantinople parle si souvent de la mort en expliquant le péché originel; parce qu'il regarde la mortalité comme la source de nos foiblesses et la pépinière de tous nos vices; en quoi, s'il ne touche peut-être pas la source la plus profonde de nos maux héréditaires, qui est l'orgueil et l'amour-propre, il en expose il en expose du moins la cause la

plus sensible.

On peut voir par toutes ces choses, qu'il a reconnu dans le fond le péché originel aussi certainement que tous les autres Pères, et que tout ce qu'il peut y avoir d'embarras dans sa doctrine, c'est qu'elle n'est pas aussi attentive, aussi précautionnée, aussi suivie que celle de saint Augustin, à cause en

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