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quel on reconnoît une grâce qui fait croire, qui fait agir, c'est-à-dire, qui convertit effectivement le cœur de l'homme, n'est pas une opinion particulière, mais la foi de toute l'Eglise; puisque ces prières, venues de la tradition des apótres, sont célébrées uniformément par toute l'Eglise catholique; d'où ce grand homme conclut, que sans aller chercher loin la loi de la foi, on la trouve dans la loi de la prière: UT LEGEM CREDENDI LEX

STATUAT SUPPLICANDI.

Le principe dont il appuie cette vérité, ne pouvoit pas être plus sûr; puisqu'il est certain que la foi est la source de la prière, et qu'ainsi ce qui anime la prière, ce qui en fait le motif, ce qui en dirige l'intention et le mouvement, est le principe même de la foi, dont par conséquent la vérité se déclare manifestement dans la prière.

CHAPITRE X.

Que les prières marquées par saint Prosper se trouvent encore aujourd'hui réunies dans les oraisons du Vendredi saint; et que saint Augustin, d'où saint Prosper a pris cet argument, les a bien connues.

CETTE preuve de la grâce qui fléchit les cœurs subsiste toujours dans l'Eglise, comme on le peut voir dans les prières qu'elle adresse continuellement à Dieu; et sans avoir besoin de les recueillir de plusieurs endroits, nous trouvons celles dont parle saint Prosper ramassées dans l'office du Vendredi saint, où l'on demande à Dieu la conversion actuelle

et effective des infidèles, des hérétiques, des pécheurs, non-seulement dans le fond, mais encore dans le même ordre, du même style, et avec les mêmes expressions que ce saint homme a remarquées; et saint Augustin, dont il a pris cet argument, y ajoute une circonstance : c'est qu'afin de mieux marquer l'effet de la grâce, et y rendre le peuple plus attentif, la prière étoit précédée d'une exhortation que le prêtre faisoit à l'autel à tout le peuple, afin qu'il priát, pour les incrédules, que Dieu les convertít à la foi; pour les catéchumènes, qu'il leur inspirát le désir de recevoir le baptême, et pour les fidèles, qu'ils persévérassent par sa grâce dans le bien qu'ils avoient commencé (1); qui sont les exhortations qu'on fait encore aujourd'hui au Vendredi saint, où le prêtre commence ainsi la prière qu'il va faire au nom du peuple : OREMUS PRO CATECHUMENIS, etc. OREMUS ET PRO HÆRETICIS, etc. Prions, mes bien-aimés, pour les catéchumènes, que Dieu ouvre les oreilles de leurs cœurs, afin qu'ils viennent au baptême: prions pour les hérétiques, qu'il les retire de leur erreur : prions pour les idolâtres, que Dieu leur ôle leur iniquité, et les convertisse à lui, etc. Ces exhortations suivies des prières que nous faisons aujourd'hui tout de suite à un certain jour, qui est le Vendredi saint, étoient alors ordinaires dans l'Eglise, comme elles le sont encore dans l'Eglise grecque, avec cette différence qu'elles se font par le diacre, au lieu que saint Au gustin remarque qu'elles se faisoient par le prêtre même à l'autel, ainsi qu'on le voit encore dans l'of(1) Epist. ad Vital. ccxvi. al. cvi.

fice du Vendredi saint. Quoi qu'il en soit, ce Père s'en sert pour prouver qu'il faut avouer une grâce qui ne donne pas seulement de pouvoir croire, mais de croire, ni de pouvoir agir, mais d'agir actuellement autrement il ne faudroit pas demander à Dieu, comme nous faisons sans cesse, qu'il donnât la foi, la persévérance et l'effet même; d'où ce Père conclut très-bien, que nier une telle grâce c'est s'opposer aux prières de l'Eglise, NOSTRIS ORATIONIBUS CONTRADICIS (1). Car l'Eglise ayant choisi les paroles qui marquent le plus la conversion actuelle et l'effet certain de la grâce pour en remplir toutes ses demandes, jusqu'à demander à Dieu qu'il force nos volontés méme rebelles à se rendre à lui,

ET AD TE NOSTRAS ETIAM REBELLES COMPELLE PROPITIUS

VOLUNTATES, c'est accuser l'Eglise d'erreur, de nier qu'un des effets de la grâce soit d'amollir un cœur endurci, et de lui ôter sa dureté. On sait au reste que le terme dont se sert l'Eglise quand elle dit : COMPELLE, forcez, contraignez, ne marque pas une violence qui nous fasse faire le bien malgré nous, mais comme parle saint Augustin, une toute-puissante facilité de faire que de non-voulans nous soyons faits voulans, VOLENTES DE NOLENTIBUS; et c'est pourquoi, en relevant cette expression, qui étoit dès-lors familière à l'Eglise, il parle ainsi à Vital: Quand vous entendez le prêtre de Dieu qui lui demande à l'autel qu'il force les nations incrédules à embrasser la foi, ne répondez-vous pas AMEN? Disputerez-vous contre cette fai? direz-vous que c'est errer que de faire cette oraison, et exer

(1) Epist. ad Vital. ccxvii. al. cvII.

cerez-vous votre éloquence contre ces prières de Eglise? Faisons la même demande à M. Simon. S'il méprise l'autorité de saint Augustin, qu'il réponde à la preuve que toute l'Eglise lui met en main dans ses prières, et qu'il les accorde, s'il peut, avec l'audace qui lui fait nier la grâce qui fait croire en Dieu, et qui empêche qu'on ne lui résiste, en ôtant du cœur l'endurcissement par lequel on lui résistoit?

CHAPITRE XI.

Saint Augustin a eu intention de démontrer, et a démontré en effet que la grace qu'on demandoit par ces prières emporioit certainement l'action.

CAR il faut ici observer que saint Augustin se sert de cet argument pour combattre Vital, qui disoit que Dieu agit tellement en nous, que nous consentons si nous voulons; et si nous ne voulons pas, nous faisons que l'opération de Dieu ne peut rien sur nous, et ne nous profite point (1); ce qui est vrai en un sens; mais il y falloit ajouter ce que ce prêtre de Carthage croyoit contraire au libre arbitre, que Dieu sait empêcher, quand il lui plaìt, qu'on ne lui résiste autrement toutes les prières par lesquelles l'Eglise lui demande ce bon effet, seroient vaines; or elles ne le sont pas. L'Eglise qui demande à Dieu qu'il change la volonté des hommes, ne demande rien contre sa foi, ni contre le libre

(1) Epist. ad Vital. ccxvi. al. cvii.

arbitre; mais elle avoue seulement qu'il est sous la main de Dieu, pour être tourné où il lui plaît.

que

Et il faut ici remarquer, avec le même saint Augustin, que si dans les prières qu'on vient de réciter, l'Eglise demande l'effet de la conversion, et non pas seulement le pouvoir de se convertir, elle ne fait en cela qu'imiter l'exemple de saint Paul, qui a fait cette prière pour ceux de Corinthe (1) : Nous prions Dieu pour que vous ne fassiez aucun mal, mais vous fassiez ce qui est bien; sur quoi saint Augustin fait cette remarque (2) : Il ne dit pas, nous prions Dieu que vous puissiez ne faire aucun mal, mais que vous n'en fassiez point; ni nous prions Dieu que vous puissiez faire le bien, mais que vous le fassiez; ce qui montre que l'intention de cette prière étant d'obtenir l'effet, on reconnoît que Dieu le donne, et qu'il sait, non-seulement empêcher qu'on fasse le mal, mais encore faire qu'on fasse le bien.

On voit par-là que ces grands savans, qui reprennent saint Augustin d'avoir établi la toutepuissance, comme il l'appelle, et pour me servir du mot consacré dans l'Ecole, l'efficace ou l'effet certain de la grâce, et qui croient que reconnoître une telle grâce, c'est nier ou affoiblir le libre arbitre, enflés de leur vain savoir et de leur sèche critique, ne songent point à la prière. Ils méprisent les argumens qu'on tire de là, qu'ils appellent des pensées pieuses et une espèce de sermon: ils ne répondent après cela qu'en souriant avec dédain, et dans leur cœur se moquent de ceux qui ne leur

(1) II. Cor. xii. 7. — (2) De gratid Christi, c. XXV.

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