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CHAPITRE XXII.

Prière de plusieurs autres martyrs.

C'EST ce qui paroît partout dans les actes des martyrs. Sans cesse au milieu de leurs tourmens, on leur entend dire: O Jésus-Christ, aidez-nous : c'est vous qui nous donnerez la patience : ne nous abandonnez pas (1). Ils sentoient que leurs forces auroient défailli parmi tant d'insupportables douleurs, pour peu que Dieu les eût laissés à euxmêmes. C'est pourquoi ils lui demandent l'effet et l'actuelle persévérance; et pour montrer, s'ils persévéroient, qu'ils croyoient l'avoir reçu par la grâce qu'ils demandoient, ils en rendoient continuellement de particulières actions de grâces. En entrant dans la prison, ils offroient à Dieu leur louange avec actions de grâces de ce qu'ils avoient persévéré jusqu'alors dans la foi et la religion catholique (2). Un autre disoit : Je vous rends grâces, mon Seigneur Jésus, de ce que vous m'avez donné cette patience. C'est de l'effet et de la patience actuelle qu'ils rendent grâces. Un autre disoit (3) : J'ai Jésus-Christ en moi, je te méprise. Reconnois, disoit un autre (4), que Jésus-Christ m'aide, et que c'est par-là que je te méprise comme un vil esclave. Taraque disoit et répétoit (5): Je résiste aux inventions de ta

(1) Act. Mart. edit. D. Ruin. Act. Tarach. p. 423. — (3) Acta Pionii, p. 140. (3) Act. Tarach. jam cit. (4) Act. Theod. p. 397. (5) Act. Tar. jam cit.

cruauté : je te surmonte par Jésus-Christ qui me rend fort; et encore: Je ne respire que la mort; mais dans cette patience, ma gloire est en Dieu. Ainsi ils reconnoissoient en deux manières la grâce qui les faisoit vaincre; l'une en la demandant, et l'autre en rendant grâces de l'avoir reçue. Euplius joignoit l'un et l'autre (1). Je vous rends grâces, Seigneur, conservez-moi, puisque c'est pour vous que je souffre aidez-nous, Seigneur, jusqu'à la fin, et ne délaissez pas vos serviteurs, afin qu'ils vous glorifient aux siècles des siècles. Voilà d'où ils attendoient la persévérance, parce qu'ils savoient que c'étoit de là qu'ils avoient reçu le commencement. Lorsque pour tirer de leur bouche le nom de leurs docteurs, qu'ils ne vouloient pas découvrir pour ne leur point attirer de semblables peines, on leur demandoit qui les avoient induits à cette doctrine, ils répondoient (2): Celui-là nous l'a donnée qui l'a aussi donnée à saint Paul, lorsque de persécuteur des Eglises, par sa grâce il en est devenu le docteur. Par quelle grâce, sinon par celle dont l'effet étoit infaillible? Ainsi la grâce efficace, que M. Simon ne peut souffrir dans saint Augustin, étoit celle que demandoient les martyrs, et dans laquelle ils mettoient leur confiance.

(1) Act. Eupl. p. 488. — (2) Act. Lucin.

p.

165.

CHAPITRE XXIII.

Prière de saint Ephrem.

APRÈS les prières des martyrs, on n'en trouve point de plus saintes parmi les Orientaux, que celles de saint Ephrem le Syrien, dont les Pères du quatrième siècle ont célébré les louanges. Ce qui fait le plus à notre sujet, c'est que demandant à Dieu en cent manières différentes, qu'il mette des bornes dans son cœur à ses désirs, afin que sans jamais se détourner nì à droite, ni à gauche (1), il marche persévéramment dans ses voies; il reconnoît encore que cette prière lui est donnée comme tout le reste par la grâce : Votre grdce, Seigneur, m'a donné la confiance de vous parler (2). Voilà un aveu bien clair que la prière est un don de Dieu : donnez-moi la componction et les larmes, afin que je pleure nuit et jour mes péchés avec humilité et charité, et pureté de cœur. Donner la componction, c'est donner l'esprit de prière, et ouvrir la source des larmes. Il ne faut donc pas s'étonner s'il dit ailleurs Que Dieu donne la grâce gratuitement, encore qu'il l'accorde aux larmes; c'est, comme on voit, qu'il donne les larmes mêmes, et qu'il croit donner gratuitement ce qu'on achète avec ses dons. Un peu après : « Que ma prière, ô Seigneur, approche de vous; faites fructifier en moi votre cé» leste semence, qui me fasse offrir à votre bonté

(1) Conf. T. 1. pag. 266, 267. —(2) P. 63. col. a.

» des gerbes pleines de confession et de componc» tion: faites que je crie avec actions de grâces,

>>

» gloire soit donnée à celui qui m'a donné de quoi » lui offrir ». Par où l'on voit que Dieu a donné la prière même et l'action de grâces; et c'est pourquoi il dit encore (1): « Je ne cesserai, mon Sei» gneur, de célébrer les louanges de votre grâce : » je ne cesserai de vous chanter des cantiques spiri»tuels je suis attiré à vous, mon Sauveur, par » le désir de vous posséder: votre grâce pousse mon » esprit à vous suivre par une secrète et merveil» leuse douceur: que mon cœur soit une terre fer» tile, qui recevant votre bonne semence et arrosée » de votre grâce, comme d'une céleste rosée, mois>> sonne comme un très bon fruit la componc» tion, l'adoration, la sanctification (de votre saint >> nom), dons qui vous sont toujours agréables ». La componction, la prière, l'adoration, les saints cantiques viennent à l'ame par l'infusion de la grâce et de la douceur admirable dont elle prévient les cœurs. C'est ce qui lui fait ajouter (2): Quand votre gráce a voulu, elle a dissipé mes ténèbres pour faire retentir mon ame de douces louanges. Il ne faut donc pas s'étonner, s'il demande avec tant de foi les bonnes œuvres, comme un don particulier de la grâce, puisqu'il reconnoît qu'il tient de Dieu la grâce de la prière, qui les lui fait demander: il attribue à Dieu jusqu'au premier commencement de la conversion, lorsqu'il dit (3): « Convertissez» moi, Seigneur, avec la brebis perdue et trouvée;

(1) Beatitud. t. 1. p. 187. —(2) De comp. Serm. 1. p. 142. — (3) Beatitud. p. 187.

>> et comme vous l'avez portée sur vos épaules, tirez
» mon ame avec votre main, et offrez-la à votre
» Père ». L'ame n'a donc rien d'elle-même que son
égarement et sa perte: « Qui pourroit, Seigneur,
» supporter les conseils et les efforts de notre en-
» nemi, qui ne cesse d'affliger mon ame de pensées et
» d'actes pour la faire succomber, si elle étoit des-
» tituée de votre secours (1)
». Mais pour montrer
quel est le secours qu'il se croit obligé de demander,
il ajoute « Et parce que le temps de ma vie s'est
:
» passé en vanité et en mauvaises pensées, donnez-
» moi un remède efficace, par lequel je sois pleine-
»ment guéri de mes plaies cachées, et fortifiez-
» moi, afin que du moins à la dernière heure où
>> ma vie très-inutile est parvenue sans rien faire,

je travaille soigneusement dans votre vigne; car, »ô mon Sauveur, dit-il ailleurs (2), si vous ne donnez » durant cette vie à ce misérable pécheur un esprit » saint et des larmes, pour effacer ses péchés par » les lumières que vous ferez luire dans son cœur, » il ne pourra soutenir votre présence ».

Dans toutes ces grâces qu'il demandoit, il se fondoit toujours sur la toute-puissance de Dieu : Prions, disoit-il (3), parce que Dieu peut ce qui est impossible à l'homme. Ainsi il reconnoissoit que tout ce qu'il demandoit à Dieu pour le faire marcher dans ses voies, étoit l'effet de la toute-puissance de Dieu, et d'une grâce à qui rien ne résiste.

Il ne laissoit pas, avec tout cela, de dire souvent que Dieu gratifioit ceux qui en sont dignes, et il (1) Beatitud. p. 187.- (2) De comp. Serm. 1. p. 142. (3) Medit.

P. 255.

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