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des règles à leur mode ; qui voudroit contester passeroit pour visionnaire. Elles pourroient néanmoins se détromper en consultant la peinture, et par là se mettre en état de faire, avec une médiocre dépense et un grand plaisir, des ouvrages d'une noble variété, et d'une beauté qui seroit au-dessus des caprices irréguliers des modes.

Elles doivent également craindre et mépriser l'oisiveté. Qu'elles pensent que tous les premiers Chrétiens, de quelque condition qu'ils fussent, travailloient, non pour s'amuser, mais pour faire du travail une occupation sérieuse, suivie et utile. L'ordre naturel, la pénitence imposée au premier homme, et en lui à toute sa postérité, celle dont l'homme nouveau, qui est Jésus-Christ, nous a laissé un si grand exemple, tout nous engage à une vie laborieuse, chacun en sa manière.

On doit considérer, pour l'éducation d'une jeune fille, sa condition, les lieux où elle doit passer sa vie, et la profession qu'elle embrassera selon les ap-. parences. Prenez garde qu'elle ne conçoive des espérances au-dessus de son bien et de sa condition. Il n'y a guère de personnes à qui il n'en coûte cher pour avoir trop espéré ; ce qui auroit rendu heureux n'a` plus rien que de dégoûtant, dès qu'on a envisagé un état plus haut. Si une fille doit vivre à la campagne, de bonne heure tournez son esprit aux occupations qu'elle y doit avoir, et ne lui laissez point goûter les amusemens de la ville; montrez-lui les avantages d'une vie simple et active. Si elle est d'une condition médiocre de la ville, ne lui faites point voir des gens de la Cour; ce commerce ne serviroit qu'à lui faire

prendre un air ridicule et disproportionné : renfermez-la dans les bornes de sa condition, et donnezlui pour modèles les personnes qui y réussissent le mieux; formez son esprit pour les choses qu'elle doit faire toute sa vie ; apprenez-lui l'économie d'une maison bourgeoise, les soins qu'il faut avoir pour les revenus de la campagne, pour les rentes et pour les maisons qui sont les revenus de la ville, ce qui regarde l'éducation des enfans, et enfin le détail des autres occupations d'affaires ou de commerce, dans lequel vous prévoyez qu'elle devra entrer, quand elle sera mariée. Si au contraire elle se détermine à se faire religieuse sans y être poussée par ses parens, tournez dès ce moment toute son éducation vers l'état où elle aspire; faites-lui faire des épreuves sérieuses des forces de son esprit et de son corps, sans attendre le noviciat, qui est une espèce d'engagement par rapport à l'honneur du monde; accoutumez-la au silence; exercez-la à obéir sur des choses contraires à son humeur et à ses habitudes; essayez peu à peu de voir de quoi elle est capable pour la règle qu'elle veut prendre; tâchez de l'accoutumer à une vie grossière, sobre et laborieuse ; montrez-lui en détail combien on est libre et heureux de savoir se passer des choses que la vanité et la mollesse, ou même la bienséance du siècle, rendent nécessaires hors du cloître; en un mot, en lui faisant pratiquer la pauvreté, faites-lui-en sentir le bonheur que Jésus-Christ nous a révélé. Enfin, n'oubliez rien pour ne laisser dans son cœur le goût d'aucune des vanités du monde, quand elle le quittera. Sans lui faire faire des expériences trop dangereuses, décou

vrez-lui les épines cachées sous les faux plaisirs que le monde donne; montrez-lui des gens qui y sont malheureux au milieu des plaisirs.

CHAPITRE XIII.

Des Gouvernantes.

Je prévois que ce plan d'éducation pourra passer, dans l'esprit de beaucoup de gens, pour un projet chimérique. Il faudroit, dira-t-on, un discernement, une patience et un talent extraordinaire pour l'exécuter. Où sont les gouvernantes capables de l'entendre? A plus forte raison, où sont celles qui peuvent le suivre ? Mais je prie de considérer attentivement que quand on entreprend un ouvrage sur la meilleure éducation qu'on peut donner aux enfans, ce n'est pas pour donner des règles imparfaites: on ne doit donc pas trouver mauvais qu'on vise au plus parfait dans cette recherche. Il est vrai que chacun ne pourra pas aller, dans la pratique, aussi loin que vont nos pensées lorsque rien ne les arrête sur le papier mais enfin, lors même qu'on ne pourra pas arriver jusqu'à la perfection dans ce travail, il ne sera pas inutile de l'avoir connue, et de s'être efforcé d'y atteindre; c'est le meilleur moyen d'en approcher. D'ailleurs cet ouvrage ne suppose point un naturel accompli dans les enfans, et un concours de toutes les circonstances les plus heureuses pour composer une éducation parfaite : au contraire, je tâche de donner des remèdes pour les naturels mauvais ou gâtés ; je suppose les mécomp

tes ordinaires dans les éducations, et j'ai recours aux moyens les plus simples pour redresser, en tout ou en partie, ce qui en a besoin. Il est vrai qu'on ne trouvera point, dans ce petit ouvrage, de quoi faire réussir une éducation négligée et mal conduite; mais faut-il s'en étonner? N'est-ce pas le mieu x qu'on puisse souhaiter, que de trouver des règles simples dont la pratique exacte fasse une solide éducation ? J'avoue qu'on peut faire et qu'on fait tous les jours pour les enfans beaucoup moins que ce que je propose; mais aussi on ne voit que trop combien la jeunesse souffre par ces négligences. Le chemin que je représente, quelque long qu'il paroisse, est le plus court, puisqu'il mène droit où l'on veut aller ; l'autre chemin, qui est celui de la crainte, et d'une culture superficielle des esprits, quelque court qu'il paroisse, est trop long; car on n'arrive presque jamais par là au seul vrai but de l'éducation, qui est de persuader les esprits, et d'inspirer l'amour sincère de la vertu. La plupart des enfans qu'on a conduits par ce chemin, sont encore à recommencer quand leur éducation semble finie; et après qu'ils ont passé les premières années de leur entrée dans le monde à faire des fautes souvent irréparables, il faut que l'expérience et leurs propres réflexions leur fassent trouver toutes les maximes que cette éducation gênée et superficielle n'avoit point su leur inspirer. On doit encore observer que ces premières peines, que je demande qu'on prenne pour les enfans, et que les gens sans expérience regardent comme accablantes et impraticables, épargnent des désagrémens bien plus fâcheux, et apla

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nissent des obstacles qui deviennent insurmontables dans la suite d'une éducation moins exacte et plus rude. Enfin, considérez que, pour exécuter ce projet d'éducation, il s'agit moins de faire des choses qui demandent un grand talent, que d'éviter des fautes grossières que nous avons marquées ici en détail. Souvent il n'est question que de ne presser point les enfans, d'être assidu auprès d'eux, de les observer, de leur inspirer de la confiance, de répondre nettement et de bon sens à leurs petites questions, de laisser agir leur naturel pour le mieux connoître, et de les redresser avec patience, lorsqu'ils se trompent ou font quelque faute.

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Il n'est pas juste de vouloir qu'une bonne éducation puisse être conduite par une mauvaise gouvernante. C'est sans doute assez que de donner des règles pour la faire réussir par les soins d'un sujet médiocre ; ce n'est pas demander trop de ce sujet médiocre, que de vouloir qu'il ait au moins le sens droit, une humeur traitable, et une véritable crainte de Dieu. Cette gouvernante ne trouvera dans cet écrit rien de subtil ni d'abstrait; quand même elle ne l'entendroit pas tout, elle concevra le gros, et cela suffit. Faites qu'elle le lise plusieurs fois; prenez la peine de le lire avec elle; donnez-lui la liberté de vous arrêter sur tout ce qu'elle n'entend pas, et dont elle ne se sent pas persuadée; ensuite mettez-la dans la pratique; et à mesure que vous verrez qu'elle perd de vue, en parlant à l'enfant, les règles de cet écrit qu'elle étoit convenue de suivre, faites-le lui remarquer doucement en secret. Cette application vous sera d'abord pénible; mais, si vous êtes le père ou

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