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est tout ensemble chaud et humide, ce qui leur cause un mouvement continuel. Cette mollesse du cerveau fait que toutes choses s'y impriment facilement, et que les images de tous les objets sensibles y sont trèsvives ainsi il faut se hâter d'écrire dans leur tête pendant que les caractères s'y forment aisément. Mais il faut bien choisir les images qu'on y doit graver; car on ne doit verser dans un réservoir si petit et si précieux que des choses exquises; il faut se souvenir qu'on ne doit à cet âge verser dans les esprits que ce qu'on souhaite qui y demeure toute la vie. Les premières images gravées pendant que le cerveau est encore mou, et que rien n'y est écrit, sont les plus profondes. D'ailleurs elles se durcissent à mesure que l'âge dessèche le cerveau; ainsi elles deviennent ineffaçables de là vient que, quand on est vieux, on se souvient distinctement des choses de la jeunesse, quoique éloignées; au lieu qu'on se souvient moins de celles qu'on a vues dans un âge plus avancé, parce que les traces en ont été faites dans le cerveau lorsqu'il étoit déjà desséché et plein d'autres images.

Quand on entend faire ces raisonnemens, on a peine à les croire. Il est pourtant vrai qu'on raisonne de même sans s'en apercevoir. Ne dit-on pas tous les jours J'ai pris mon pli; je suis trop vieux pour changer; j'ai été nourri de cette façon ? D'ailleurs ne sent-on pas un plaisir singulier à rappeler les images de la jeunesse ? Les plus fortes inclinations ne sontelles pas celles qu'on a prises à cet âge? Tout cela ne prouve-t-il pas que les premières impressions et les premières habitudes sont les plus fortes? Si l'enfance est propre à graver des images dans le cerveau, il faut

avouer qu'elle l'est moins au raisonnement. Cette humidité du cerveau qui rend les impressions faciles, étant jointe à une grande chaleur, fait une agitation qui empêche toute application suivie.

Le cerveau des enfans est comme une bougie allumée dans un lieu exposé au vent: sa lumière vacille toujours. L'enfant vous fait une question; et, avant que vous répondiez, ses yeux s'enlèvent vers le plancher, il compte toutes les figures qui y sont peintes, ou tous les morceaux de vitres qui sont aux fenêtres si vous voulez le ramener à son premier objet, vous le gênez comme si vous le teniez en prison. Ainsi il faut ménager avec grand soin les organes, en attendant qu'ils s'affermissent: répondezlui promptement à sa question, et laissez-lui en faire d'autres à son gré. Entretenez seulement sa curiosité, et faites dans sa mémoire un amas de bons matériaux ; viendra le temps qu'ils s'assembleront d'euxmêmes, et que, le cerveau ayant plus de consistance, l'enfant raisonnera de suite. Cependant bornez-vous à le redresser quand il ne raisonnera pas juste, et à lui faire sentir sans empressement, selon les ouvertures qu'il vous donnera, ce que c'est que tirer droit une conséquence.

Laissez donc jouer un enfant, et mêlez l'instruction avec le jeu ; que la sagesse ne se montre à lui que par intervalle, et avec un visage riant; gardezvous de le fatiguer par une exactitude indiscrète.

Si l'enfant se fait une idée triste et sombre de la vertu, si la liberté et le déréglement se présentent à lui sous une figure agréable, tout est perdu, vous travaillez en vain. Ne le laissez jamais flatter par de

petits esprits, ou par des gens sans règle on s'accoutume à aimer les mœurs et les sentimens des gens qu'on aime; le plaisir qu'on trouve d'abord avec les malhonnêtes gens fait peu à peu estimer ce qu'ils ont même de méprisable.

Pour rendre les gens de bien agréables aux enfans, faites-leur remarquer ce qu'ils ont d'aimable et de commode; leur sincérité, leur modestie, leur désintéressement, leur fidélité, leur discrétion, mais surtout leur piété, qui est la source de tout le reste.

Si quelqu'un d'entre eux a quelque chose de choquant, dites: Lapiété : La piété ne donne point ces défauts-là; quand elle est parfaite, elle les ôte, ou du moins elle les adoucit. Après tout, il ne faut point s'opiniâtrer à faire goûter aux enfans certaines personnes pieuses dont l'extérieur est dégoûtant.

Quoique vous veilliez sur vous-même pour n'y laisser rien voir que de bon, n'attendez pas que l'enfant ne trouve jamais aucun défaut en vous; souvent it apercevra jusqu'à vos fautes les plus légères.

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Saint Augustin nous apprend qu'il avoit remarqué dès son enfance la vanité de ses maîtres sur les études. Ce que vous avez de meilleur et de plus pressé à faire, c'est de connoître vous-même vos défauts aussi bien que l'enfant les connoîtra, et de vous en faire avertir par des amis sincères. D'ordinaire ceux qui gouvernent les enfans ne leur pardonnent rien, et se pardonnent tout à eux-mêmes: cela excite dans Fes enfans un esprit de critique et de malignité; de façon que, quand ils ont vu faire quelque faute à la personne qui les gouverne, ils en sont ravis, et ne cherchent qu'à la mépriser.

Évitez cet inconvénient: ne craignez point de parler des défauts qui sont visibles en vous, et des fautes qui vous auront échappé devant l'enfant. Si vous le voyez capable d'entendre raison là-dessus, dites-lui que vous voulez lui donner l'exemple de se corriger de ses défauts, en vous corrigeant des vôtres : par là, vous tirerez de vos imperfections mêmes de quoi instruire et édifier l'enfant, de quoi l'encourager pour sa correction; vous éviterez même le mépris et le dégoût que vos défauts pourroient lui donner pour votre personne.

En même temps il faut chercher tous les moyens de rendre agréables à l'enfant les choses que vous exigez de lui. En avez-vous quelqu'une de fâcheuse à proposer, faites-lui entendre que la peine sera bientôt suivie du plaisir; montrez-lui toujours l'utilité des choses que vous lui enseignez; faites-luien voir l'usage par rapport au commerce du monde et aux devoirs des conditions. Sans cela, l'étude lui paroît un travail abstrait, stérile et épineux. A quoi sert, disent-ils en eux-mêmes, d'apprendre toutes ces choses dont on ne parle point dans les conversations, et qui n'ont aucun rapport à tout ce qu'on est obligé de faire? Il faut donc leur rendre raison de tout ce qu'on leur enseigne : C'est, leur direz-vous, pour vous mettre en état de bien faire ce que vous ferez un jour; c'est pour vous former le jugement; c'est pour vous accoutumer à bien raisonner sur toutes les affaires de la vie. Il faut toujours leur montrer un but solide et agréable qui les soutienne dans le travail, et ne prétendre jamais les assujettir par une autorité sèche et absolue.

A mesure que leur raison augmente, il faut aussi de plus en plus raisonner avec eux sur les besoins de leur éducation, non pour suivre toutes leurs pensées, mais pour en profiter lorsqu'ils feront connoître leur état véritable, pour éprouver leur discernement, et pour leur faire goûter les choses qu'on veut qu'ils fassent.

Ne prenez jamais sans une extrême nécessité un air austère et impérieux, qui fait trembler les enfans. Souvent c'est affectation et pédanterie dans ceux qui gouvernent; car, pour les enfans, il ne sont d'ordinaire que trop timides et honteux. Vous leur fermeriez le cœur, et leur ôteriez la confiance, sans laquelle il n'y a nul fruit à espérer de l'éducation. Faites-vous aimer d'eux; qu'ils soient libres avec vous, et qu'ils ne craignent point de vous laisser voir leurs défauts. Pour y réussir, soyez indulgent à ceux qui ne se déguisent point devant vous. Ne paroissez ni étonné ni irrité de leurs mauvaises inclinations; au contraire, compatissez à leurs foiblesses. Quelquefois il en arrivera cet inconvénient, qu'ils seront moins retenus par la crainte ; mais, à tout prendre, la confiance et la sincérité leur sont plus utiles que l'autorité rigoureuse.

D'ailleurs, l'autorité ne laissera pas de trouver sa place, si la confiance et la persuasion ne sont pas assez fortes; mais il faut toujours commencer par une conduite ouverte, gaie, et familière sans bassesse, qui vous donne moyen de voir agir les enfans dans leur état naturel, et de les connoître à fond. Enfin, quand même vous les réduiriez par l'autorité à observer toutes vos règles, vous n'iriez pas à votre

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