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vous avez été à son âge. Surtout montrez-lui, le plus sensiblement que vous pourrez, le grand mélange de bien et de mal qu'on trouve dans tout ce qu'on peut aimer et haïr, pour ralentir l'ardeur de ses amitiés et de ses aversions.

Ne promettez jamais aux enfans, pour récompenses, des ajustemens ou des friandises: c'est faire deux maux; le premier, de leur inspirer l'estime de ce qu'ils doivent mépriser ; et le second, de vous ôter le moyen d'établir d'autres récompenses qui faciliteroient votre travail. Gardez-vous bien de les menacer de les faire étudier, ou de les assujettir à quelque règle. Il faut faire le moins de règles qu'on peut; et lorsqu'on ne peut éviter d'en faire quelqu'une, il faut la faire passer doucement, sans lui donner ce nom, et montrant toujours quelque raison de commodité, pour faire une chose dans un temps et dans un lieu plutôt que dans un autre.

On courroit risque de décourager les enfans, si on ne les louoit jamais lorsqu'ils font bien. Quoique les louanges soient à craindre à cause de la vanité, il faut tâcher de s'en servir pour animer les enfans sans les enivrer. Nous voyons que saint Paul les emploie souvent pour encourager les foibles, et pour faire pas ser plus doucement la correction. Les Pères en ont fait le même usage. Il est vrai que, pour les rendre utiles, il faut les assaisonner de manière qu'on en ôte l'exagération, la flatterie, et qu'en même temps on rapporte tout le bien à Dieu comme à sa source. On peut aussi récompenser les enfans par des jeux innocens et mêlés de quelque industrie, par des promenades où la conversation ne soit pas sans fruit, par de pe

tits présens qui seront des espèces de prix, comme des tableaux ou des estampes, ou des médailles, ou des cartes de géographie, ou des livres dorés.

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CHAPITRE VI.

De l'usage des histoires pour les enfans.

Les enfans aiment avec passion les contes ridicules; on les voit tous les jours transportés de joie, ou versant des larmes, au récit des aventures qu'on leur raconte. Ne manquez pas de profiter de ce penchant. Quand vous les voyez disposés à vous entendre, racontez-leur quelque fable courte et jolie: mais choisissez quelques fables d'animaux qui soient ingénieuses et innocentes : donnez-les pour ce qu'elles sont; montrez-en le but sérieux. Pour les fables païennes, une fille sera heureuse de les ignorer toute sa vie, à cause qu'elles sont impures et pleines d'absurdités impies. Si vous ne pouvez les faire ignorer toutes à l'enfant, inspirez-en l'horreur. Quand vous aurez raconté une fable, attendez que l'enfant vous demande d'en dire d'autres; ainsi laissez-le toujours dans une espèce de faim d'en apprendre davantage. Ensuite, la curiosité étant excitée, racontez certaines histoires choisies, mais en peu de mots; liez-les ensemble, et remettez d'un jour à l'autre à dire la suite, pour tenir les enfans en suspens, et leur donner de l'impatience de voir la fin. Animez vos récits de tons vifs et familiers; faites parler tous vos personnages : les enfans, qui ont l'imagination vive, croiront les

voir et les entendre. Par exemple, racontez l'histoire de Joseph faites parler ses frères comme des brutaux, Jacob comme un père tendre et affligé; que Joseph parle lui-même; qu'il prenne plaisir, étant maître en Egypte, à se cacher à ses frères, à leur faire peur, et puis à se découvrir. Cette représentation naïve, jointe au merveilleux de cette histoire, charmera un enfant, pourvu qu'on ne le charge pas trop de semblables récits, qu'on les lui laisse désirer, qu'on les lui promette même pour récompense quand il sera sage, qu'on ne leur donne point l'air d'étude, qu'on n'oblige point l'enfant de les répéter: ces répétitions, à moins qu'ils ne s'y portent d'eux-mêmes, gênent les enfans, et leur ôtent tout l'agrément de ces sortes d'histoires.

Il faut néanmoins observer que si l'enfant a quelque facilité de parler, il se portera de lui-même à raconter aux personnes qu'il aime les histoires qui lui auront donné plus de plaisir; mais ne lui en faites point une règle. Vous pouvez vous servir de quelque personne qui sera libre avec l'enfant, et qui paroîtra désirer apprendre de lui son histoire l'enfant sera ravi de la lui raconter. Ne faites pas semblant de l'entendre, laissez-le dire sans le reprendre de ses fautes. Lorsqu'il sera plus accoutumé à raconter, vous pourrez lui faire remarquer doucement la meilleure manière de faire une narration, qui est de la rendre courte, simple et naïve, par le choix des circonstances qui représentent mieux le naturel de chaque chose. Si vous avez plusieurs enfans, accoutumez-les peu à peu à représenter les personnages des histoires qu'ils ont apprises; l'un sera Abraham

et l'autre Isaac : ces représentations les charmeront plus que d'autres jeux, les accoutumeront à penser et à dire des choses sérieuses avec plaisir, et rendront ces histoires ineffaçables dans leur mémoire.

Il faut tâcher de leur donner plus de goût pour les histoires saintes que pour les autres, non en leur disant qu'elles sont plus belles, ce qu'ils ne croiroient peut-être pas, mais en le leur faisant sentir sans le dire. Faites-leur remarquer combien elles sont importantes, singulières, merveilleuses, pleines de peintures naturelles et d'une noble vivacité. Celles de la création, de la chute d'Adam, du déluge, de la vocation d'Abraham, du sacrifice d'Isaac, des aventures de Joseph que nous avons touchées, de la naissance et de la fuite de Moïse, ne sont pas seulement propres à réveiller la curiosité des enfans; mais, en leur découvrant l'origine de la religion, elles en posent les fondemens dans leur esprit. Il faut ignorer profondément l'essentiel de la religion, pour ne pas voir qu'elle est toute historique : c'est par un tissu de faits merveilleux que nous trouvons son établissement, sa perpétuité, et tout ce qui doit nous la faire pratiquer et croire. Il ne faut pas s'imaginer qu'on veuille engager les gens à s'enfoncer dans la science, quand on leur propose toutes ces histoires; elles sont courtes, variées, propres à plaire aux gens les plus grossiers. Dieu, qui connoît mieux que personne l'esprit de l'homme qu'il a formé, a mis la religion dans des faits populaires, qui, bien loin de surcharger les simples, leur aident à concevoir et à retenir les mystères. Par exemple, dites à un enfant qu'en Dieu trois personnes égales ne sont qu'une seule na

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ture à force d'entendre et de répéter ces termes, il les retiendra dans sa mémoire, mais je doute qu'il en conçoive le sens. Racontez-lui que, Jésus-Christ sortant des eaux du Jourdain, le Père fit entendre cette voix du ciel: C'est mon fils bien-aimé en qui j'ai mis ma complaisance, écoutez-le ; ajoutez que le Saint-Esprit descendit sur le Sauveur en forme de colombe vous lui faites sensiblement trouver la Trinité dans une histoire qu'il n'oubliera point. Voilà trois personnes qu'il distinguera toujours par la différence de leurs actions; vous n'aurez plus qu'à lui apprendre que toutes ensemble elles ne font qu'un scul Dieu. Cet exemple suffit pour montrer l'utilité des histoires quoique elles semblent allonger l'instruction, elles l'abrégent beaucoup, et lui ôtent la sécheresse des catéchismes, où les mystères sont détachés des faits; aussi voyons-nous qu'anciennement on instruisoit par les histoires. La manière admirable dont saint Augstin veut qu'on instruise tous les ignorans n'étoit point une méthode que ce Père cût seul introduite, c'étoit la méthode et la pratique universelle de l'Eglise. Elle consistoit à montrer, par la suite de T'histoire, la religion aussi ancienne que le monde, Jésus-Christ attendu dans l'ancien Testament, et Jésus-Christ régnant dans le nouveau, c'est le fond de l'instruction chrétienne.

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Cela demande un peu plus de temps et de soin que l'instruction à laquelle beaucoup de gens se bornent: mais aussi on sait véritablement la religion, quand on sait ce détail; au lieu que, quand on l'ignore, on n'a des idées confuses sur Jésus-Christ, sur l'Évangile, sur l'Église, sur la nécessité de se soumettre

que

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