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Fleury (1). Ce ministre donne même à entendre, dans sa lettre au marquis de Fénélon du 2 février 1739, que les difficultés ne tomboient que sur un très-petit nombre d'endroits: « Il n'y a eu, dit-il, que deux » mots dans tout l'ouvrage qui aient fait quelque » peine, et on y a remédié par l'Avertissement du » libraire, en six lignes (2). »

2o Les écrits sur lesquels on fit alors quelques difficultés ne sont ni des traités théologiques, ni des ouvrages dogmatiques, dans lesquels on doit toujours employer un langage exact et rigoureux, mais des entretiens familiers, de simples extraits de lettres, dans lesquels on ne peut raisonnablement exiger toute la précision et la rigueur du langage théologique. S'il étoit permis d'interpréter avec tant de sévérité de pareils écrits, rédigés à la bâte et sans précaution, à peine trouveroit-on un théologien, quelque profond et habile qu'il fût, dont les ouvrages fussent à couvert de censure. « Il y a, selon la judi» cieuse remarque de Fénélon, une différence de

style qui convient aux matières et aux personnes » différentes. Il y a un style du cœur, et un autre de » l'esprit ; un langage de sentiment, et un autre de » raisonnement. Ce qui est souvent une beauté dans >> l'un, est une imperfection dans l'autre. L'Eglise, » avec une sagesse infinie, permet l'un à ses enfans » simples, mais elle exige l'autre de ses docteurs (3). » M. le cardinal de Bausset, non moins zélé pour la gloire de l'évêque de Meaux que pour celle de l'archevêque de Cambrai, a jugé cette observation nécessaire pour excuser certaines expressions familières à

(1) Voyez la page 3 de cet Avis.

(2) Cette lettre est rapportée en entier dans les Pièces justificatives, déjà citées.

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Bossuet lui-même, dans plusieurs endroits de ses Lettres spirituelles: « On est frappé, dit-il, en lisant >> cette correspondance, d'y observer un sentiment, un » langage, un ton de spiritualité, auxquels on sup»pose trop légèrement que Bossuet, devoit être étranger. Quelques fragmens de ces lettres pour>> roient même être soupçonnés d'avoir une confor» mité apparente avec ces pieux excès d'amour de >> Dieu qu'il reprocha dans la suite à Fénelon et à quel»ques autres écrivains mystiques, si, avec un peu d'at» tention, l'on ne reconnoissoit pas qu'il sait toujours » s'arrêter au point précis où l'excès devient erreur. » D'ailleurs Bossuet pensoit, et avoit sans doute le » droit de penser qu'il est bien différent d'établir » des maximes générales dans un livre dogmatique, qui doit toujours exprimer la saine doctrine avec >> toute la rigueur théologique, ou de permettre, » dans une correspondance particulière, à des ames

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pieuses, dont on connoît les dispositions et la sou» mission aux règles générales de l'Eglise, de s'aban» donner à ces mouvemens affectueux qui les portent » à aspirer à la plus haute perfection (1). »

3o Les difficultés auxquelles peuvent donner lieu quelques passages des OEuvres spirituelles de FénéJon n'ont pas empéché qu'on les réimprimât plusieurs fois en France, même avec approbation. Nous avons `entre les mains la quatrième édition des Sentimens de piété, qui renferment la plus grande partie des écrits sur lesquels peuvent tomber les difficultés. On lit en tête de cette quatrième édition, publiée en 1734, une approbation de M. d'Arnaudin, docteur de Sorbonne et censeur royal, datée du 24 février 1713, et nous ne savons pas que la publication de cet ou

(1) Hist. de Bossuet; liv. vii, n. 19, pag, 302.

vrage ait occasionné la plus petite réclamation. Le cardinal de Fleury lui-même, malgré la circonspection peut-être excessive dont il crut devoir user, avant de permettre en 1740 la réimpression des OEuvres spirituelles, finit cependant par l'autoriser, d'après l'avis des plus habiles théologiens qu'il put consulter. Enfin l'assemblée du clergé de France, tenue en 1782, crut rendre un service éminent à la religion, en autorisant et en encourageant de tout son pouvoir l'édition complète des OEuvres de l'archevêque de Cambrai. Pourroit-on après cela regarder comme dangereuse la lecture des OEuvres spirituelles de Fénélon? Le clergé de France, qui croyoit servir utilement la religion en favorisant la réimpression de ces OEuvres, ne faisoit-il au fond que tendre un piége aux fidèles, et les exposer aux illusions d'une fausse mysticité?

4o Au reste, si quelqu'un de nos lecteurs étoit surpris de cet abandon total, de cet anéantissement du moi, de ce parfait oubli de l'intérêt propre, si souvent recommandés dans les écrits spirituels de Fénélon; si une crainte excessive de l'illusion faisoit apercevoir dans ces expressions, contre l'intention formelle de l'auteur, la cessation des actes de crainte et d'espérance dans l'état de la plus haute perfection; la seconde partie de l'Analyse de la controverse du Quiétisme, que nous avons donnée dans le IVe tome de notre collection, offrira sur cette matière tous les correctifs qu'on peut désirer, et que nous avons puisés dans les propres écrits de l'archevêque de Cambrai. On trouveroit même des correctifs plus que suffisans dans le passage de sa lettre au duc de Beauvilliers du 3 août 1697, qu'on lit à la tête de l'édition de 1740: « Je ne veux, dit-il, que deux » choses, qui composent toute ma doctrine; la

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» mière est que la charité est un amour de Dieu » pour lui-même, indépendamment du motif de la » béatitude que l'on trouve en lui: la seconde est >> que dans la vie des ames les plus parfaites, c'est la >> charité qui prévient toutes les autres vertus, qui » les anime, et qui en commande les actes, pour les » rapporter à sa fin ; en sorte que le juste de cet état » exerce alors d'ordinaire l'espérance, et toutes les >> autres vertus, avec tout le désintéressement de la » charité même, qui en commande l'exercice. Dieu >> sait que je n'ai jamais voulu enseigner rien qui >> passe ces bornes : c'est pourquoi j'ai dit, en par» lant du pur amour, que c'est la charité, en tant qu'elle anime et commande toutes les autres vertus >> distinctes. »

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« Rien de plus précis que ce texte, ajoutent les » rédacteurs de l'Avis placé à la tête de l'édition de 1740. Le motif de la charité est la bonté de Dieu » en lui-même, bonté qu'on considère et qu'on aime » non par exclusion, mais indépendamment du motif » de la béatitude, ou, comme parle l'Ecole, de la » bonté relative de Dieu. Tel est le premier principe » de M. de Fénélon, qui est adopté et soutenu du >> commun des théologiens. Le second principe est >> aussi orthodoxe en lui-même, et aussi communé» ment admis par les théologiens: il fait consister » l'état de la perfection chrétienne dans la pratique >> et l'exercice des actes de l'espérance et des autres » vertus par le commandement de la charité. Dans >> cet état, toutes les vertus sont distinctes, et con» servent leur motif propre elles ne sont point imparfaites, puisque la perfection même la plus » sublime les exerce; mais la charité, qui les com» mande et les anime, qui, à leur motif propre, › joint le sien, fait par cette union et cet empire

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7.

:

» que leurs actes sont plus parfaits, plus nobles et » plus saints. Cette doctrine est saine, et à l'abri de >> toute illusion; et c'est, comme on vient de le voir, » la seule doctrine que M. de Cambrai a eu dessein » de soutenir. »

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Faute de s'étre pénétré de ces observations, le P. de Querbeuf, dans la préface du septième tomé de sa collection, paroît être tombé dans un véritable excès de circonspection et de timidité, en représentant les OEuvres spirituelles de Fénélon comme la partie la plus embarrassante de son édition, comme un & recueil digne, à la vérité, de la piété de cet » écrivain célèbre, mais qui n'est cependant pas » exempt de taches, et qui se ressent des erreurs qu'on a reprochées au livre des Maximes (1). » Nous croyons que les lecteurs éclairés auront de la peine à concilier plusieurs assertions du même éditeur, soit avec l'enseignement commun des théologiens sur la nature de la charité, soit avec les judicieuses observations que nous a fournies l'Avis de l'édition de 1740. « L'amour pur, dit le P. de Querbeuf, n'est pas sans intérêt, parce que ce sentiment >> est nécessaire et inhérent à la volonté... (2) L'amour » pur n'est point, et ne peut être en cette vie un état >> stable et permanent (3). » Pénétré de ces principes, le P. de Querbeuf les a reproduits dans un assez grand nombre de notes, qu'il a jointes au chapitre XIX des Instructions et avis (4). Nous n'avons pas balancé à supprimer ces notes et ces corrections du P. de Querbeuf, soit parce qu'elles nous semblent contraires à l'enseignement commun des théologiens sur la nature de la charité; soit parce que nous faisons

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(1) OEuvres de Fénelon; édition in-4°. Préface du tome vi, pag. 5. — (2) Ibid. page 11.— (3) Ibid. page 10.

(4) Ce x1x chapitre est le 1o de l'édition in-4°.

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