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SOCIÉTÉ

DES

MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS.

AFRIQUE MÉRIDIONALE.

STATION DE MOTITO.-JOURNAL DE M. LEMUE, SOUS LA DATE DU 29 JUILLET 1840.

Baptême de cinq candidats et de six enfants. Voyage à Mamusi. - Bon accueil fait au missionnaire par les Korannas de la rivière Hart.

Monsieur le Président et Messieurs,

« J'ai la joie de vous annoncer que dimanche dernier j'ai baptisé les cinq personnes suivantes : Moyé, Mamaëri, Kukunyane, Sikanelo et Gaconale. Les quatre premières sont des mères de famille; le cinquième est un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, et fils de Mamaëri. Ainsi la mère et le fils se sont rencontrés aux pieds du Sauveur · et ont confessé ensemble son saint nom. Y compris les enfants, le nombre des individus qui ont reçu le baptême est de onze. De tels jours sont rares et précieux dans notre carrière missionnaire. Ce sont des jours de fête au moyen desquels le Seigneur se plaît à restaurer nos âmes de temps en temps, et dans lesquels nous autres pauvres mortels pouvons goûter quelque chose d'analogue à ce qu'éprouvent les anges dans le ciel, car eux aussi se réjouissent de la conversion des pécheurs. En considérant l'apathie des Païens pour les choses qui concernent la vie

à venir, il y a certes de quoi s'étonner de ce que la prédication de la croix a la puissance de changer leurs cœurs; car il ne faut pas moins qu'un miracle pour faire revivre des êtres qui sont morts à tout sentiment de crainte, d'espérance et d'amour, et qui, dès leur enfance, n'ont été habitués à envisager l'homme que comme tant soit peu supérieur aux bêtes qui périssent. Quand verrons-nous se manifester un désir universel de connaître la Parole de vie ? C'est ici que nous avons besoin de nous appliquer les paroles de notre Seigneur à ses disciples: Ce n'est pas à vous de savoir les temps et les moments dont le Père a réservé la disposition à sa propre puissance.

<«< Comme mon frère Lauga vient de vous écrire au sujet des écoles et des travaux de la station, je me bornerai pour aujourd'hui à vous dire quelques mots d'un voyage que j'ai entrepris avec ma famille dans le courant du mois d'avril dernier, dans le but de prêcher l'Evangile aux Béchuanas et aux Korannas de la rivière Hart.

8 avril. « Le lendemain de notre départ de Motito, nous avons dételé dans un village de Batlaro-B, situé à sept h. E. de Motito. J'y prêchai sur ces paroles: Que ·servira-t-il à un homme de gagner tout le monde, s'il fait la perte de son âme ? Une femme appartenant à notre troupeau, et qui demeure dans cet endroit, se plaignait de se voir si éloignée des fidèles; mais elle remédie à ce désavantage autant qu'il est en elle, en se rendant de temps en temps à Motito pour y assister au culte divin.

11.' « Arrivés à Taoun; Mahura m'a promis qu'il rassemblerait ses gens pour le service que nous comptions célébrer le dimanche. Nous nous sommes donc rendus au kraal à l'heure indiquée, pleins d'espérance; mais le chef n'avait pas tenu sa promesse, sous prétexte qu'il était malade. L'endurcissement des Batlapi nous a, une fois en

core, profondément affligés. Comme on commençait à se réunir, plusieurs étaient assis à terre, occupés à coudre leurs fourrures. Un petit chef leur a dit qu'ils devaient au moins suspendre leur ouvrage au moment où l'on se rassemblait pour entendre la Parole de Dieu, ajoutant que c'était honteux de se conduire ainsi en présence de Dieu. L'un d'eux, piqué d'être censuré si vivement, a répondu en colère que tous les jours sont égaux, qu'il quitterait son travail, non parce que c'était le grand jour, mais parce qu'il l'avait fini; en disant cela, il a pris son ouvrage et s'en est allé.

13. « Nous avons quitté la ville populeuse des Batlapi, peu satisfaits de l'accueil qu'on a fait à notre message de paix, pour nous rendre chez les Baharutsi, J'ai retrouvé ceux-ci à l'endroit où je les avais laissés il y a huit ans, lorsqu'ils fuyaient devant Mousélékatsi (1). L'ignorance de cette tribu, à l'évangélisation de laquelle nous désirions nous vouer autrefois, faisait naître un sentiment bien pénible dans nos cœurs. Etaient-ils plus près du royaume de Dieu qu'à l'époque où nous les vimes pour la première fois ? au contraire, ils semblaient en être plus éloignés. On dirait que leurs épreuves n'ont servi qu'à les rendre plus astucieux. Les prédications de l'Evangile qu'ils ont souvent entendues, le séjour de plusieurs d'entre eux à Motito, les ont laissés indifférents et morts pour les choses qui ont rapport à leurs intérêts éternels, tandis que leur avidité pour les misérables biens de cette vie est sans bornes. Moïloé ayant rassemblé un auditoire nombreux, nous avons eu un service immédiatement après notre arrivée. Moïloé a ensuite résumé ce que je venais de dire, en faisant observer à Mokhatla que l'homme ne meurt pas, que sa chair seulement meurt,

(1) Voyez VIII année, p. 204.

mais que l'homme lui-même est immortel. Le vieux chef, sans oser contredire cette remarque, faisait semblant de s'étonner et d'admirer, quoiqu'on pût bien voir qu'au fond de son cœur il ne goûtait pas ce sujet.

14. « Quitté le district des Baharutsi et entré dans le pays des Korannas, en remontant la rivière Hart. Nous avons rencontré un groupe de Korannas galopant sur des Pelesa (bœufs de monture); ils ont aussitôt mis pied à terre pour nous saluer, et sachant que je venais pour prêcher, ils m'ont demandé des livres d'hymnes. Vers le soir, nous avons été surpris par un orage formidable, et réduits à nous diriger à la faveur de la lumière fugitive des éclairs. La pluie tombait déjà, lorsque nous sommes arrivés près d'un kraal de Korannas, où nous nous étions résignés à passer la nuit sans boire, ni manger; mais nous étions dans l'erreur; car dès que ces bonnes gens ont su qui nous étions, ils nous ont apporté une grande jatte de lait, et ont procuré une hutte à nos gens pour les mettre à l'abri du mauvais temps. Cette généreuse hospitalité nous a touchés, car elle est si rare chez les natifs, qu'on ne peut s'empêcher de voir, dans la conduite de ces Korannas, un fruit de leur christianisme.

15. « Arrivés chez Mosheu. Comme notre wagon approchait de la colline où demeure ce chef, tous les enfants sont venus à notre rencontre en cabriolant, joyeux de voir des étrangers. Le chef est venu lui-même au-devant de nous, et nous a conduits chez lui. Le soir, dès que les habitants ont été de retour de leurs jardins, nous nous sommes réunis au clair de la lune, dans une enceinte en pierre, sans couverture, où ces simples chrétiens ont coutume de tenir leurs assemblées. J'ai remarqué dans le nombre une bonne femme aveugle, qui se faisait conduire. Là, Korannas et Béchuanas, maîtres et serviteurs, étaient attentifs à la Parole de Dieu.

«Mamusi est le nom de la colline où demeure Mosheu. Elle est couverte de murs en pierre de la hauteur de cinq à six pieds, autrefois construits par les Barolongs. Les Korannas ont bâti leurs huttes au centre de ces ruines, qui attesteront encore longtemps qu'une tribu nombreuse y a habité. Au pied de la colline se trouvent le Hart et ses eaux dormantes. Tout autour, le pays, est couvert d'un riche patûrage, tandis que des bouquets de mimosa qu'on découvre ici et là offrent un charmant coup d'œil.

18. « Nous nous sommes remis en route pour revenir à Motito, faisant le même trajet qu'en venant, et prêchant dans les mêmes endroits où nous avions passé. Le jour de Pâques nous étions chez les Baharutsi; mais il n'y avait personne à notre réveil pour nous saluer par ces paroles consolantes : « Le Seigneur est ressuscité. » Ainsi au bout de trois semaines environ, nous sommes rentrés chez nous où nous avons retrouvé nos amis en bonne santé.

Ce petit voyage me fait encore désirer davantage que l'appel que notre frère Daumas et moi avons adressé à M. Pfrimmer soit pris en considération par la Conférence. J'ai trouvé la population de Mamusi beaucoup plus considérable que je ne m'y étais attendu. Je crois qu'il n'y a guère moins de deux cents buttes appartenant à une population mixte de Béchuanas et Korannas. On aurait l'avantage d'être compris de tous au moyen de la langue séchuana. J'ai aussi visité plusieurs petits villages de Korannas dans les environs de Mamusi, et tous sont prêts à se réunir à Mosheu dès qu'il aura un missionnaire. Quant à lui, il ne demande pas mieux que de changer d'emplacement, si cette mesure est jugée nécessaire au succès de la mission. Je viens de recevoir une lettre du Calédon, dans laquelle les frères me disent : « La Conférence regrette que l'absence de notre frère Daumas, qui avait

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