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DES SAVANTS.

JUILLET-AOUT 1919

LA FRANCE ET LE LIBAN.

RENÉ RISTELHUEBER, consul de France. Traditions françaises au Liban. Préface de M. Gabriel Hanotaux, de l'Académie française. Avec deux cartes dans le texte et deux fac-similés hors texte. Un vol. in-8, x1-314 pages; Paris, Félix Alcan, 1918.

à

Le Liban éveille, dans notre mémoire, une foule de souvenirs historiques et religieux. Nous ne pouvons y songer sans y voir,. par l'imagination, les célèbres cèdres exploités dans l'antiquité, dont on tirait les bois de construction que le roi de Tyr, Hiram, envoya David en même temps que les charpentiers chargés de les ouvrer (1), dont Salomon utilisa la résistance pour les colonnes de la maison du parc élevée par lui dans la montagne, dont Cyrus avait autorisé l'exportation par mer de Sidon et de Tyr, moyennant la contre-valeur en huile d'olives, pour que Zorobabel pût relever le Temple); dont les navigateurs faisaient des mâts de navire, et les idolâtres des statues. Aujourd'hui le nombre de ces arbres est bien réduit, et le plus beau de ces conifères est encore celui du Muséum d'histoire naturelle de Paris, rapporté d'Angleterre au milieu du xvin° siècle et

(1) II Sam., V, II.

(2) I Rois, VII, 2. (3) Esdr., III, 7

(4) Ezech., XXVII, 6. Comparer Théophraste, livre V, ch. vII; Pline, livre XVI, ch. XL; Diodore de Sicile, livre I, § 2.

(5) Ezech., XLIV, 13-15. Comparer Virgile, Enéide, VII, v, 177; Pline,

SAVANTS.

(6)

loco cit., à propos d'une statue de Diane près de Sagonte.

(6) En 1734, par Bernard de Jussieu. Les cèdres du jardin de Chelsea, près de Londres, avaient été plantés en 1683. Cf. Loiseleur-Deslongchamps, Histoire du cèdre du Liban. Paris, 1837, p. 34 (Extrait des Annales de l'agriculture française).

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ancêtre de tous les cèdres qui croissent actuellement sur le sol de notre patrie; mais le souvenir en est vivace et décore de couleurs charmantes la masse jaunâtre de ces montagnes dénudées.

Nous avons de plus pressants motifs pour nous intéresser aux événements qui se déroulent dans cette contrée méditerranéenne; la partic nord du Liban est habitée par les Maronites dont Poujoulat remarquait le « vieil amour pour la France qu'on retrouve chez tous "». Au moment où ce peuple, épris d'indépendance, va échapper à la menace quatre fois séculaire qui l'enlaçait et l'oppressait et réaliser son vif désir de tranquillité et de labeur silencieux, le volume que vient de lui consacrer M. R. Ristelhueber arrive à propos pour attirer de nouveau l'attention de notre pays sur la contrée qui a toujours réclamé un protectorat bénévole, en attendant que le cours des siècles lui permit de jouir d'une protection plus efficace.

I

C'est à François Leclerc du Tremblay, plus connu sous le nom de Père Joseph qu'il prit en entrant en religion, et sous le sobriquet d'Éminence grise que lui réservèrent les historiens, qu'il convient de faire remonter l'honneur d'avoir remplacé, dans les missions des Échelles du Levant installées au pied des montagnes de Syrie, les capucins italiens par des missionnaires français; cette idée politique de première importance allait établir les rapports étroits qui, depuis lors, et malgré de nombreuses vicissitudes, n'ont cessé de régner entre les deux pays. Depuis les Croisades, les Franciscains étaient restés à Jérusalem, et peu à peu ils rentraient en possession de leurs anciens établissements : c'est ainsi qu'au cours du xv° siècle, sous la domination des sultans Mamlouks du Caire, ils reprirent leur église de Beyrouth et leur mission de Tripoli. De là, ils rayonnaient dans la montagne, et l'on a conservé les noms des frères Gandolphe de Sicile, Alexandre Ariosti de Bologne, et surtout Gryphon de Flandre dont les travaux ont été, il y a quelque temps, mis en lumière par (Michaud et Poujoulat, Correspondance d'Orient, Bruxelles 1835, t. VII, p. 189.

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le R. P. Henri Lammens ". Le Père Joseph voulut réserver ce rôle се à ses compatriotes; il obtint de Rome l'autorisation d'envoyer des missionnaires en Orient, et en 1625 il fut nommé supérieur de la mission. Dès la même année, le Père Jean de Saumur s'établissait à Saïda, et le Père Adrien de la Brosse s'installait à Beyrouth l'année suivante; le Père Machaire de Gien fondait, en 1628, le collège d'Antoura, dans le district du Kesrowân, en plein Liban. Ces missions formaient, avec celles de Damas et de Chypre, la custodie de Palestine, réservée aux religions de Bretagne, tandis que la custodie d'Alep, attribuée à la province de Touraine, voyait s'étendre son action en Égypte, en Éthiopie et jusqu'en Perse, le commerce avec ce dernier pays se faisant alors par Alep.

De leur côté les Jésuites, installés à Constantinople dès 1609, obtenaient en 1629, à la suite des démarches du comte de Cézy, ambassadeur de Louis XIII auprès de la Porte, les firmans nécessaires pour « prêcher librement et publiquement » partout où il y avait « des consuls établis pour la nation française », étant admis que par ces derniers mots il faut entendre ce que nous appelons aujourd'hui une colonie française en territoire étranger. Deux religieux de cet ordre arrivés à Alep durent en repartir bientôt en présence de l'hostilité des négociants vénitiens, anglais et hollandais. Vers 1645, le Père Jean Amieu fondait deux établissements, l'un à Tripoli et l'autre à Saïda; son ordre y avait ouvert de petites écoles, et obtenu l'autorisation d'envoyer à Rome leurs meilleurs élèves pour leur faire achever leurs études au Collège oriental fondé par le pape Grégoire XIII.

La Congrégation des Prêtres de la Mission, plus connus sous le vocable de Lazaristes, avait songé également à l'envoi de missionnaires, et saint Vincent de Paul, son fondateur, avait reçu de la Propagande la demande d'un religieux de son ordre; il y répondit en proposant un candidat, mais sa proposition n'eut aucune suite. Les Lazaristes ne devaient arriver en Syrie que dans l'année 1783, où ils vinrent remplacer les Jésuites lors de la dissolution de leur ordre. Ce qui avait grandement facilité l'établissement des ordres reli

(4) H. Lammens, Frère Gryphon et le Liban au XVe siècle, dans la Revue

de l'Orient chrétien, t. IV., 1899, p. 68 et suivantes.

gieux en Syrie, c'est que la montagne était alors gouvernée par Fakhred-din, émir des Druses, de la famille de Ma'n, dont le nom a été défiguré par les écrivains européens en celui de Facardin. Ce grand prince, d'ailleurs d'une grande tolérance religieuse, avait voyagé en Europe et s'était rendu notamment à Florence; nul doute que, pour appuyer ses velléités d'indépendance contre les entreprises de la Porte, il n'ait songé à l'aide que pouvaient lui apporter les Etats de l'Europe hostiles à l'Empire ottoman on sait qu'il ne réussit pas à se maintenir contre ses adversaires, et que les Turcs-l'emmenèrent prisonnier à Constantinople. Voici en quels termes le Père Louis Chéïkho a apprécié le rôle joué en ces circonstances par l'émir druse", qu'un capucin s'était imaginé avoir converti à la foi chrétienne :

Du temps de l'émir Fakhr-ed-dîn, le nombre des chrétiens augmenta dans les villes du littoral et leur importance fut considérable auprès de lui; la plus grande partie de son armée appartenait à leur confession; ses conseillers et ses serviteurs étaient des Maronites. De son temps également, des missionnaires francs arrivèrent et habitèrent la montagne. Parmi ceux-ci, les capucins s'installèrent à Beyrouth; quant aux franciscains, ils y étaient déjà avant cette époque. Les Jésuites y avaient une demeure où ils séjournaient quand ils descendaient en ville pour les affaires de leur mission; dans ce cas, ils prèchaient dans l'église des Maronites et dans celle des Grecs. Parmi ceux d'entre eux qui moururent dans cette ville est le célèbre P. Amieu, qui fut enterré devant la porte de l'église maronite de Saint-Georges.

A la suite de la défaite de l'émir Fakhr-ed-dîn par les troupes envoyées de Constantinople, les Turcs envahirent le Liban. Les Maronites effrayés voulurent s'enfuir; ils en furent empêchés par

(1) Dans l'Histoire de Beyrouth et des Bohtor, émirs d'Al-Gharb, par Salih ibn Yahya (en arabe); publiée et annotée par le P. L. Chéïkho S. J. d'après le Ms. de Paris, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1902; 1. vol. in-12, 6-315 pages. Sauf la préface en français, tout l'ouvrage, y compris les notes et les suppléments, est en arabe; comme il n'en a été fait jusqu'ici aucune traduction en langue européenne, nous avons cru bien faire de traduire ce passage (p. 273). Ce

volume est resté naturellement inconnu à M. Ristelhueber.

(2) L'Histoire de Beyrouth de Salih ibn Yahya mentionne, p. 149,une ancienne église des Franciscains, sise à l'orient de la ville, mais à l'intérieur de l'enceinte fortifiée; elle fut transformée en demeure seigneuriale par les émirs d'el-Gharb quand ils vinrent s'établir à Beyrouth en 1294 (cf. p. 63); elle était en ruines du temps de l'auteur (commencement du xve siècle).

.

un pieux ermite d'origine française qui vivait dans une cellule creusée au bord d'un précipice, et qui en sortit pour parcourir les campagnes et rassurer les paysans. C'était François Gulamp de Chasteuil, dont l'histoire et les aventures nous ont été contées par Jean de la Roque, dans son Voyage de Syrie et du mont Liban. Né à Aix-en-Provence en 1588, il avait manifesté de bonne heure de vifs sentiments de piété, et entrepris des études bibliques qui l'amenèrent au désir de visiter la Palestine. Henri de Gournai, comte de Marcheville, avait été nommé ambassadeur à Constantinople en 1631"; il avait désiré s'entourer de savants et proposé à Descartes et à Gassendi d'être attachés à sa mission; à leur défaut, il accueillit Chasteuil. La politique eut tôt fait de dégoûter ce dernier; un missionnaire partant pour le Liban, le jeune ascète s'habilla en Maronite et l'accompagna. C'était en 1632; il se retira entièrement du monde et mena dès lors une vie toute d'austérité. Il ne tarda pas à être considéré comme un saint par les rudes habitants de la montagne; tous le vénéraient, même les Druses. Il ne sortit de sa retraite que pour dissuader les Maronites d'émigrer, comme nous venons de le voir, lors des persécutions qui atteignirent les partisans vrais ou supposés de l'émir vaincu. L'ermite, dont la santé était ruinée par les mortifications, atteint de phtisie, mourut au cours d'un voyage au mont Carmel, dans la nuit de la Pentecôte de l'an 1644. On ignore l'emplacement de son tombeau, que le chevalier d'Arvieux avait visité en 1660.

II

L'initiative hardie de Jacques Coeur, promenant la bannière royale de France dans des mers qui semblaient réservées exclusivement aux négociants de Pise et de Gênes, n'avait pas réussi à créer un courant continu, pour le commerce, entre Marseille et le Levant. Il en fut

(1) Jouannin et van Gaver, Turquie, p. 460; J. de Hammer, Histoire de l'Empire ottoman, t. XVII, p. 141.

(2) Mémoires, t. II, p. 418. La Roque s'y était rendu également; il en indi

que l'emplacement, au fond de l'église de l'ermitage des Carmes désigné sous le vocable de Mar Elicha (SaintElisée); il avait copié l'épitaphe. Cf. Voyage, t. I, p. 59, 61, 63.

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