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ARTHUR LÅNGFORS. Les Incipit des poèmes français antérieurs au XVIe siècle. Répertoire bibliographique établi à l'aide de notes de M. Paul Meyer T. I, vn-444 p. Un vol. in-8. Paris, Champion, 1917.

Dès le début de son activité scientifique, Paul Meyer avait entrepris de vastes répertoires, qu'il ne prit jamais le temps de mettre au point et de publier. Il avait notamment classé les résultats de ses immenses dépouillements de manuscrits dans une table alphabétique des incipit des poèmes français. Dans les dernières années de sa vie, il céda aux prières de ses amis et se décida à communiquer au public le résultat de son inappréciable enquête; pour aboutir plus vite, il fit appel à la collaboration de M. A. Långfors. Celui-ci est resté seul pour achever la tâche, à laquelle il a apporté une part personnelle considérable, non seulement pour la mise en œuvre mais pour l'accroissement des matériaux. Dans ce riche répertoire, nous ne trouvons pas seulement l'identification des poèmes français rangés dans l'ordre alphabétique de leurs premiers mots, mais aussi l'indication de tous les manuscrits qui les contiennent, des éditions qui en ont été données, et des travaux qui s'y réfèrent; c'est donc plus qu'une table qui nous permettra de reconnaître tout poème rencontré dans un nouveau manuscrit, ce n'est

moins qu'une bibliographie raisonnée d'une partie considérable de l'ancienne poésie française. La poésie épique, et la poésie lyrique pour lesquelles nous avons déjà de bons répertoires, ont été laissées de côté.

Un livre de ce genre n'est jamais complet, et celui-ci risque de l'être d'autant moins qu'il ne repose pas sur

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une enquête systématiquement conduite. M. Långfors nous promet un copieux supplément, qui, avec les tables, formera le second volume. Dans un avertissement un peu inquiet, il demande à la critique d'attendre la fin de l'ouvrage pour le juger. Reconnaissons pourtant dès maintenant le soin extrême apporté par l'auteur à la publication, et remercions-le du travail ingrat qu'il s'est imposé pour nous donner un instrument de travail du plus grand prix. CL. BRUNEL.

B. FELICIANGELI. Le Proposte per la guerra contro i Turchi presentate da Stefano Taleazzi... a papa Alessandro VI. (Extrait de l'Archivio della R. Società Romana di Storia Patria, vol. XL, 1917.)

Comme Caton le disait de Carthage, Stefano Taleazzi, évêque de Torcello, familier de plusieurs papes et chapelain d'Alexandre Borgia, ne cessa durant sa longue existance, de répéter à qui voulait l'entendre que l'empire turc devait être détruit. Arrivé à Rome au temps de Paul II son compatriote, il s'efforçait déjà de gagner à ses idées le pape Innocent VIII en 1487; successivement il entreprit sans se lasser les papes Alexandre VI, Jules II et Léon X; le 4 mai 1515, chargé d'ouvrir une des sessions du Concile de Latran, il en profitait pour faire entendre encore une fois aux prélats et au Saint-Siège que le premier devoir de la chrétienté était d'écraser l'infidèle.

Mais les choses avaient changé depuis vingt-huit ans; les auditeurs. de jadis appréciaient fort, dit un chroniqueur contemporain, les haran

gues de Taleazzi; ceux de 1515, troyvèrent que son sermon était «<< satis longum et simplex », et le représentant de la République de Venise mandait au Conseil des Dix, non sans irrévérence, que l'effet de l'âge s'y faisait cruellement sentir. Or, Taleazzi n'avait fait que répéter, termes pour termes son discours de jadis car il se doutait bien qu'après un si long temps, nul ne s'aviserait qu'il se plagiait lui-même. Il mourut d'ailleurs peu après, le 1er juillet 1515. Ce prélat qui se piquait d'écrire le latin sans élégance alors que le cardinal Bembo s'abstenait de lire les auteurs sacrés de peur d'en prendre les mauvaises tournures, qui ne faisait pas de citations latines et ne s'occupait que de théologie, devait au reste faire triste figure à la cour raffinée, littéraire et frivole des papes de la Renaissance. Mais la pensée d'une croisade était trop présente à l'esprit de chacun pour que ses paroles n'eussent pas de poids. Baldassar Castiglione donne la croisade comme un des sujets dont on doit s'entretenir habituellement dans les cours princières. Depuis plus de cent ans, le SaintSiège songeait à la recommencer; dans les budgets pontificaux figurait toujours un « fonds de la croisade »>< et des papes pieux et éclairés comme le vénitien Paul II en avaient fait la pensée dominante de leur règne. Il ne s'agissait pas tant d'ailleurs de recouvrer les lieux saints que d'arrêter les progrès de l'Islam. Le danger était grand; en 1477 le Frioul avait été dévasté; en 1480, Otrante était tombée aux mains de l'infidèle; les Vénitiens venaient d'éprouver deux échecs retentissants à Modon et à Coron; de nombreux massacres de chrétiens avaient eu lieu. Le seul avantage remporté sur

les Ottomans était la prise de Grenade, partout ailleurs le croissant menaçait et avançait << tanquam draco saevissimus ».

Taleazzi ne pouvait donc manquer d'être écouté même s'il ennuyait un peu; d'ailleurs il ne se bornait pas à des déclamations sur l'utilité d'une action énergique et combinée, il en proposait les moyens; en 1500, il soumit au pape Alexandre VI Borgia deux rapports où il exposait ses vues tant sur la composition de l'armée des croisés et le plan de campagne à adopter que sur le moyen d'amener la pacification de l'Europe, condition indispensable pour permettre d'engager une telle entreprise.

Rappelant un passage de l'évangile de saint Luc où il est dit que lorsqu'un roi veut faire la guerre à un autre, il doit tout d'abord s'informer des forces de son adversaire et, s'il le voit plus puissant que lui, s'empresser de conclure la paix, Taleazzi cherche à évaluer l'importance des armées ottomanes; elles comptent, dit-il, soixante mille cavaliers Trimariots munis d'excellents chevaux, quatre-vingt mille cavaliers Akindschi chargés de marauder et qui ne reçoivent pas de solde, dix mille janissaires, quarante à cinquante mille valets d'armes et auxiliaires de tout genre. Mais il lui semble que les chrétiens travaillant avec l'aide de Dieu n'auront pas besoin d'égaler leur nombre pour triompher d'eux et il limite à cent trente mille hommes l'armée des croisés; le roi des Romains, les rois de Pologne, de Hongrie, de Bohême fourniront quatre-vingt mille hommes, ceux de France et d'Angleterre aidés des princes italiens en fourniront cinquante mille. Quant au roi d'Espagne il ne lui serait rien demandé puisqu'il

faisait la guerre à l'Islam dans son propre pays. Les troupes allemandes s'avanceront par la Hongrie et la la Hongrie et la Bulgarie et s'assureront de Sofia, tandis que l'autre groupe, débarquant à Durazzo, traversera la péninsule et gagnera Salonique; les deux armées ne pourront manquer de se rencontrer au jour fixé en un lieu dont ses souvenirs classiques imposaient à Taleazzi le choix, à Philippes, où d'ailleurs les Turcs avaient coutume de concentrer leurs troupes à cause de la fertilité du lieu et de la nature du terrain. Il suffirait pour transporter les croisés, anglais, français et italiens de cent trirèmes, trente galères, soixante petits navires, cent cinquante bateaux de divers genres et quarante vaisseaux réservés aux chevaux. La cavalerie, composée de cinquante mille hommes devait être divisée en quatre corps de vingt-cinq escadrons, chaque corps ayant à sa tête deux commandants dont l'un pour l'intendance, ces chefs formeraient le grand état-major. Taleazzi entre dans de grands détails relativement à la composition de l'artillerie, à l'organisation du train des équipages et du ravitaillement :

6 grosses bombardes, 12 fourgons, 200 boulets de pierre par pièce, 100 couleuvrines, 100 petites bombardes, 100 arquebuses, 1 300 boulets de pierre ou moins si ce sont des boulets de fer qui ne se cassent pas, chiffre jugé suffisant pour plusieurs années, 30 fourgons de bois pour réparer les canons, 500 chars à deux roues pour transporter les munitions et de quoi fortifier les camps,

(4) Le cantare pesait 71 kg.

Taleazzi se trompe d'un zéro, car il fixe la cavalerie à 10 000 chevaux; il se trompe également en fixant à deux

SAVANTS.

5000 cantares (1) de soufre et de poudre, 12 000 lances, 10 000 piques, pioches, haches, faux, 7000 couffins (au moins) pour transporter la terre, 20 armuriers avec leurs aides pour fabriquer des lances et des traits, 30 ouvriers avec leurs aides pour réparer les bombardes, 20 maréchaux ferrants avec leurs aides pour ferrer et soigner leurs chevaux, 30 ouvriers en bois, 50 000 fers à chevaux à raison de 50 fers par cheval et par an (2), 1 000 chevaux pour les chars et les munitions, 10 bombardiers avec leurs serviteurs payés à raison de 8 à 10 ducats par mois; 2 ou 3 servants affectés aux poudres, 10 000 mesures de blé pour les 10 000 chevaux, 30 000 mesures pour les 10 000 hommes qui accompagnent ces chevaux, 100 boulangers, 10 000 barriques de vin, 30 000 bœufs, 10 bouchers avec leurs serviteurs, 10 pharmaciens (le général en chef fixera le prix de leurs médicaments), 10 médecins payés à raison de 10 ducats par mois, 20 chirurgiens payés à raison de 7 ducats par mois. Les chirurgiens seront payés par le général, les médicaments par les malades, 20 tailleurs, 40 savetiers, 20 selliers, 20 lormiers, 20 aiguilletiers (strinagarius), 20 armuriers (sans salaires), 100 lavandières, 20 cordiers, 4 chargeurs; le maître de camp fixera le taux des charges, marchands d'étoffe de laine et de soie; le maître de camp fixera le prix de leurs marchandises.

Restait la dépense; Taleazzo alloue à la plupart des hommes 4 ducats par mois ou 40 deniers par an et conclut

millions le nombre des clous nécessaires à la ferrure des chevaux de l'expédition projetée; pour 500 000 fers, ce chiffre est insuffisant.

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que si l'expédition est prévue pour un an il faudra évaluer la dépense à 3 millions de ducats, 2 millions pour l'armée, un million pour la flotte (un peu plus tard, elle sera estimée à 12 millions). Ces sommes devaient être obtenues d'après lui, non par des taxes et des impositions mais volontairement. Le clergé par exemple s'imposerait d'abandonner à cet effet le tiers de ses revenus, mais il n'ignorait pas que les «< ultramontains » avaient plus d'une fois accusé le Saint-Siège de détourner de leur emploi les sommes recueillies en vue d'une croisade. Il savait d'autre part que l'argent qui devait être envoyé au roi de Hongrie avait été dépensé sur place par les rois de France et d'Angleterre, aussi proposet-il, dans sa candide ingénuité, de créer dans chaque pays des chambres qui recevraient et employeraient elles mêmes en vue de la croisade les fonds qui leur seraient versés; il conseille en même temps de suspendre la vente des indulgences.

Qu'obtint Taleazzi? Que le pape Alexandre VI publiât une bulle décrétant que les nonces devraient employer uniquement aux besoins de la future croisade les sommes qu'ils recueilleraient. Le représentant de la Sérénissime République était dans le vrai quand il écrivait que les efforts du tenace évêque n'aboutiraient à rien. Ne fallait-il pas auparavant accommoder tous les différends des princes de l'Europe? Taleazzi s'imaginait qu'avec un peu de bonne volonté, le pape y arriverait facilement et, dans sa note, il proposait un plan.

Du moins ce rapport aura servi à renseigner la postérité sur la façon dont le monde ecclésiastique imaginait une croisade au début du xvIe siècle et il faut remercier M. B. Feliciangeli de

l'avoir exhumé et commenté avec son érudition habituelle.

E. RODOCANACHI.

MARYA KASTERSKA. Les poètes latins polonais jusqu'à 1589. Un vol. in-8, Paris, librairie Rousseau, 1918.

L'institution du doctorat d'université a eu pour résultat d'appeler l'attention d'un certain nombre d'étrangers sur des épisodes ou des types peu connus de leur histoire nationale.

Ils leur ont emprunté des sujets de thèse qui ont été pour nous une véritable révélation. Les Polonais nés ou élevés en France depuis 1830 n'ont pas soupçonné l'intérêt que pouvait nous offrir tel ou tel sujet de leur histoire nationale et très peu d'entre eux ont d'ailleurs abordé l'épreuve du Doctorat ès lettres. Un de nos compatriotes, M. René Lavollée, eut l'heureuse idée de présenter en 1864 une thèse latine, De poetis latinis polonis. Mais la thèse latine était alors la Cendrillon de la famille et l'auteur n'a pas songé à reprendre son sujet et à l'amplifier.

Après plus d'un demi-siècle, Mlle Kasterska qui, je crois, n'a pas lu la dissertation très résumée de M. Lavollée, a repris le sujet en se bornant. à la période qui va des origines à la fin du XVIe siècle. C'est, disons-le tout d'abord, un acte de véritable courage de la part d'une jeune femme éloignée de son pays, sans nouvelle des siens et il convient de féliciter Mlle Kasterska de son indomptable énergie. Il faut la féliciter également du talent. qu'elle a su apporter à l'exécution d'une tâche infiniment délicate.

Après avoir exposé dans une introduction les circonstances qui ont introduit la pratique du latin dans la

société polonaise, elle étudie les premières œuvres poétiques, notamment le chant funèbre en tiercets rimés que l'on trouve dans la chronique dite de Gallus.

Avec quelques-uns de ses compatriotes Mlle Kasterska veut absolument que ce Gallus soit un Français. Mais il n'invoque nulle part cette origine et il y a quelque part un moine irlandais assez célèbre dont le nom a pu être pris par tel ou tel de ses successeurs dans la vie religieuse. L'auteur signale avec raison le passage à Cracovie de l'humaniste allemand Konrad Celtis et ses relations avec une jeune Cracovienne qu'il a chantée sous le nom d'Hasilina. Il subsisterait de cette Hasilina une lettre écrite en tchèque, ce qui rend bien douteuse la nationalité de cette personne. Malheureusement, on oublie complètement de nous dire où cette lettre a été publiée et je n'en ai jamais rencontré la moindre trace dans mes études sur la littérature tchèque du moyen âge.

Arrivé au xvIe siècle, l'auteur insiste particulièrement sur les vers de Paul de Krosna et de Jean de Wislica, qui dans sa Guerre prussienne (Bellum prussienum) a chanté la victoire remportée au cours de l'année 1410 par Wadyslaw lagellon sur les chevaliers teutoniques. Le récit de Jean de Wislica, d'allure parfois virgilienne, nous semble aujourd'hui terriblement froid et nous aurions aimé trouver chez le poète d'autres accents. Mais dans la première moitié du xvi siècle, tout le monde ne pouvait songer à prévoir l'avenir.

Mlle Kasterska consacre un chapitre entier à l'œuvre du poete Krzycki, en latin Critius (1477-1537). Elle signale avec raison le pessimisme de ce poète qui pressent un triste avenir pour la Pologne. Elle cite des

vers qui font prévoir les misères où sombrera la République.

Nullus amor patriæ, nulla est reverentia Di

[vum Nulla est vis jussis, decretis nulla facultas.

Elle note avec raison les prédictions prophétiques et mornes, les pressentiments infiniment douloureux. Je ne sais pourquoi elle a laissé échapper le morceau intitulé Epitaphe de la République, qui commence par ce vers sinistre :

Publica res jacet hic,morbis oppressa duobus,

Un chapitre particulièrement intéressant est celui qu'elle consacre au poète qu'on pourrait appeler le Malherbe polonais, à Jean Kochanowski (1530-1584). J'ai étudié, il y a bien. longtemps déjà l'œuvre nationale de ce poète, dans une étude que Mlle Kasterska n'a pas connue. Sa bibliographie est dressée un peu vite et elle signale à tout hasard un volume de moi qui n'a rien de commun avec le sujet qui l'occupe. Elle ignore en revanche celui où il est question de son poète.

Ce qui mérite surtout notre attention dans les pages consacrées à Kochanowski, ce sont celles qui concernent son séjour à Paris et sa rencontre avec le grand maître de la poésie française, avec notre Ronsard :

Hic illum patrio modulantem Carmina plecRonsardum vidi, nec minus obstupui tro Quam si Thebanos ponentem Amphiona

muros

Orphoeve audissem Phoebigenumve Linum

Quelle n'eût pas été la joie de Ronsard et de ses disciples s'ils avaient su que sa gloire résonnait jusque sur les rives de la Vistule! Mais ce n est pas seulement avec Ronsard que Kochanowski fut en contact, ce fut avec un

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