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d'espèce différente, de ceux d'Esope; d'où résulte unc instruction générale, à laquelle se rapportent plusieurs allégories, comme parties d'un seul ́et même tout. Nos raisons, pour penser ainsi, sont qu'il n'y a qu'une fable ainsi constituée, qui donne à l'Epopée sa forme régulière, et que c'est par l'instruction seule, que le poëme épique s'élève à la noblesse et à la dignité qui doit faire son véritable caractère. De plus cette instruction générale doit être une véritable politique, accommodée aux tems et aux lieux, parceque ce n'est que de cette sorte que le poëme devient intéressant, et par conséquent utile, ce qui fait la perfection de tous les ouvrages d'esprit.

RÉFLEXIONS PHILOSOPHIQUES

SUR

L'UTILITÉ DE LA POÉSIE DRAMATIQUE,

par M. SULZER (1),

La poésie dramatique a cela de commun avec plusieurs autres établissemens importans, qu'on la doit plutôt au hasard et à plusieurs changemens successifs, qu'aux vues de celui qui en est l'inventeur. Nous ignorons, en quel tems et en quel lieu, les spectacles qui ont produit la poésie dramatique, ont pris naissance. Les Grecs s'en disent les inventeurs, comme des autres beaux-arts; mais il est probable qu'ils les ont reçus de quelque peuple plus ancien qu'eux. Toutefois l'Histoire qu'ils nous donnent de leur commencement et de leurs progrès, est assez vraisemblable. Le

(1) Acad. de Berlin, 1760, tom. 15.

premier germe, duquel on vit éclorre long-tems après la poésie dramatique, n'était qu'un divertissement passager auquel se livraient des vignerons après la vendange. Bientôt ce divertissement devint un usage annuel, par une cérémonie religieuse qui dégénéra ensuite en une farce que quelques poëtes, conduits par un goût supérieur, ont changée peu à peu en un spectacle régulier et très-intéressant, dans lequel la poésie, la musique et la philosophie même, étalent ce qu'elles ont de plus sublime.

Du tems de Solon, ce qu'on appelle tragédie n'était qu'une farce avec laquelle un poëte, nommé Thespis, amusait la populace d'Athènes. Ce sage législateur ne prévoyant pas à quel point ce spectacle pourrait être ennobli, le défendit. (1) Quelque tems après, des poëtes plus philosophes que Thespis le perfectionnèrent au point que, malgré le respect qu'on avait pour les lois de Solon, il fut autorisé par les lois, et fit même partie d'une des fêtes les plus respectables. Les Athéniens étaient si éloignés de croire que ce spectacle perfectionné fût dangereux, ou seulement inutile, qu'ils dépensèrent des sommes immenses pour le soutenir avec dignité. Un auteur ancien rapporte

(1) Voyez Diogène Laerce, dans Solan.

qu'une des tragédies de Sophocle coûta plus au trésor public, que toute la guerre contre les Perses.

Après que le théâtre fut perfectionné par Eschyle, par Sophocle et Euripide, personne ne s'avisa de le regarder comme préjudiciable aux bonnes mœurs. On y vit souvent Socrate entouré de ses disciples. En effet, il faudrait avoir une étrange morale pour condamner la représentation des tragédies grecques qui nous restent, si l'on en excepte une ou deux. Les Romains avaient introduit ces spectacles dès les premiers tems de la République. Mais très-inférieurs aux Athéniens dans la délicatesse du goût et des sentimens, ils ne surent pas l'ennoblir comme eux. Le théâtre conserva toujours à Rome quelque reste du mauvais goût et de l'indécence qui le caractérisaient dans sa première institution. La grande dépravation des mœurs, dans les derniers tems de la république et sous les empereurs, infecta aussi le théâtre, surtout après qu'on y eût produit les Mimes, Pantomimes et les Baladins. On n'y voyait alors, que des représentations obscènes, deshonnêtes et mêmes infâmes. Ces spectacles dangereux se sont attiré les censures des Philosophes et de ces premiers docteurs chrétiens qu'on nomme les Pères de l'église ; et c'est depuis ce tems-là, que dans plusieurs. pays, il y a eu un opprobre attaché à la profession

les

d'acteur. C'est ainsi que le théâtre a conservé jusqu'à nos jours une partie de sa mauvaise réputation, malgré la réforme considérable qu'on y a faite. Depuis peu un homme célèbre (1) a tâché de lui porter le coup mortel, en le représentant comme très-dangereux aux mœurs.

Le goût de tous les peuples policés décide en faveur du théâtre, et aucun raisonnement ne le fera abolir. Au lieu donc de vouloir détruire un établissement que le goût soutiendra toujours, il vaut mieux tâcher de le perfectionner, et de le rendre vraiment utile, si cela est possible, Il faut voir si, malgré les taches qui défigurent le théâtre, on peut y découvrir quelque mérite supérieur aux défauts. C'est ce que je me propose d'examiner dans ce discours.

Pour juger sans prévention de la valeur morale du théâtre, il ne faut point insister sur une de ses formes particulières. Il y a, sans doute, des pièces de théâtre qui ne produisent aucun bien, ni sur l'esprit, ni sur le cœur des spectateurs, qui sont même préjudiciables aux bonnes mœurs. Je conviens qu'il y a beaucoup de vrai dans ce que Rousseau dit au désavantage de ces spectacles. II

(1) J.-J. Rousseau.

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