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éternelle, c'est se donner rendez-vous pour creuser un tombeau où les cendres des générations se repousseront encore. Comment accepter une liberté qui n'est pas pour soi, mais seulement pour ses ennemis? Le despotisme lui-même ne peut pas se passer de justice: comment la liberté s'en passerait-elle, elle qui n'est que la justice?

Pour nous, catholiques, nous ne sommes pas coupables d'une inimitié si aveugle et si funeste. Aux trois grandes époques de formation de la société moderne, nous lui avons tendu la main. En 1789, ce fut la majorité de la chambre du clergé qui se réunit la première au tiers état et qui entraîna la substitution du vote par tête au vote par ordre, ce qui était briser les restes de l'institution féodale. Malgré l'ingratitude dont la République paya l'Église, à peine un homme se fut-il présenté pour semer l'ordre avec la gloire, que le souverain pontife se prêta à ses vues par des actes inouïs. On vit un concordat qui détruisait une Église ancienne, le renversement de tout un épiscopat, représentant de la société passée, et le successeur de saint Pierre traversant l'Europe pour venir poser la couronne sur le front de cet homme nouveau. En 1830, le prêtre le plus remarquable qu'eût produit l'Église de France depuis Bossuet, courut dans la tempête au-devant de la nation, et, s'il a péri, c'est bien moins pour avoir outre-passé le but que pour n'avoir pas compris toute la justice qui lui était rendue.

Qu'avons-nous reçu en échange de tous nos bons vouloirs? La République nous répondit par la spoliation,

l'exil ou la mort? Napoléon emprisonna l'Église dans les articles organiques du concordat, et le souverain pontife dans Savone et Fontainebleau: 1830 seul a eu un commencement de justice. Nous en bénissons le Ciel, et nous supplions nos concitoyens de ne pas dédaigner les fruits de ce premier pas dans une voie de réconciliation. Le monde est profondément ébranlé, il a besoin de toutes ses ressources. Et puisqu'au travers de l'égoïsme qui menace l'honneur et la sécurité de la société moderne, il se trouve des âmes pour donner l'exemple de l'abnégation volontaire, respectons du moins leurs œuvres. Accordons à la vertu le droit d'asile que le crime avait autrefois. Il y a toujours sur la terre des voyageurs fatigués du chemin, et nul de nous ne peut se flatter de n'être pas du nombre un jour.

Les Frères Prêcheurs ont un droit particulier à la tolérance du pays, car ils ont donné à la France une de ses belles provinces, le Dauphiné. Humbert, qui en fut le dernier prince, la céda à Philippe de Valois la veille du jour où il prit l'habit de Saint-Dominique. Nous demandons aujourd'hui, en échange, quelques pieds de terre française pour y vivre en paix.

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CHAPITRE II

IDÉE GÉNÉRALE DE L'ORDRE DES FRères prêcheurs, ET DES RAISONS
DE LE RÉTABLIR EN FRANCE.

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L'Église catholique, considérée sous le rapport de la hiérarchie qui gouverne le corps des chrétiens, s'appelle l'Église enseignante. C'est le nom que la tradition lui donne, et dont Jésus-Christ l'a lui-même appelée dans ces fameuses et dernières paroles qu'il adressait à ses apôtres : Allez et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du SaintEsprit, les enseignant à garder tout ce que je vous ai dit. Son titre même avertit l'Église hiérarchique que son principal ministère est d'enseigner, parce que de l'enseignement découle la foi, qui est la source des autres vertus chrétiennes. Les sacrements eux-mêmes sont destinés à illuminer l'âme en même temps qu'à l'échauffer. Or, l'enseignement catholique, pour être complet, a besoin d'apôtres, de pasteurs et de docteurs. L'apôtre porte la vérité à ceux qui ne la connaissent pas encore: il est voyageur, allant comme Jésus-Christ lui-même par les villes et les bourgades, conversant et prêchant, annonçant que le royaume de

Dieu est proche, employant un langage proportionné aux idées des peuples auxquels il se dévoue. Le pasteur enseigne le troupeau déjà formé : il est sédentaire, jour et nuit à la disposition de ses brebis ; son langage est celui d'un homme parfaitement sûr de la communauté de pensées qui le lie à l'assemblée des fidèles ; il n'invoque pas, comme saint Paul devant l'aréopage, les traditions païennes et le témoignage des poëtes profanes, mais seulement Jésus-Christ, auteur et consommateur de la foi. Le docteur est préposé à l'enseignement du sacerdoce et à la défense de la vérité par la controverse scientifique ; il est homme d'étude, passant sa vie au milieu du dépôt de la tradition, et contemplant, du point de vue le plus élevé où l'esprit humain puisse atteindre, la liaison divine de tous les phénomènes et de toutes les idées qui composent le mouvement de l'univers.

Ces trois modes d'enseignement, divers dans leurs moyens et un dans leur but, nous sont représentés par les trois grands apôtres saint Pierre, saint Paul et saint Jean. Saint Pierre, le prince des apôtres, n'est ni un homme éloquent, ni un écrivain. Simple pêcheur sur les bords d'un lac où il gagne sa vie avec ses filets, il est appelé par Jésus-Christ, qui lui donne une foi surabondante sans élever son génie naturel, et, quoique destiné à être la pierre de l'Église, il renie trois fois son maître, afin d'apprendre par sa propre faiblesse à avoir compassion des faiblesses de ses frères : il a pour symbole les clefs. Saint Paul, le prince des prédicateurs, est élevé dans la connaissance de la loi

aux pieds des docteurs de son temps; il ignore JésusChrist pendant sa vie et le persécute après sa mort, afin qu'initié par sa propre expérience aux mystères de l'erreur, il en connaisse le fort et le faible, et qu'un jour, lorsqu'il annoncera l'Évangile à toutes les nations, il ne désespère jamais du retour d'aucune âme, si fermée qu'elle paraisse à la vérité. Son génie est hardi comme ses voyages; il sait les idées des peuples où il passe, cite aux Athéniens leurs poëtes, interprète leurs inscriptions sacrées; il se fait toutes choses à tous, comme il le dit lui-même : son symbole, c'est l'épée. Saint Jean, le prince des docteurs, apparaît couché sur la poitrine de son maître, et lui adresse des questions qui font peur aux autres; il est vierge, parce que les sens sont la principale cause qui nous empêche de voir la vérité; il est le disciple bien-aimé. Étranger aux embarras du gouvernement général de l'Église et aux fatigues des courses apostoliques, il ne meurt pas comme saint Pierre par la croix, ni comme saint Paul par le glaive; il meurt dans son lit, au bout d'une divine vieillesse, n'ayant plus de force que pour répéter ces mots, qui sont les premiers et les derniers de tout enseignement vrai : Mes enfants, aimez-vous. Son symbole, c'est l'aigle.

Dans l'origine de l'Église, ces trois grandes fonctions de l'enseignement apostolique, pastoral et scientifique, n'étaient pas ordinairement séparées. Un prêtre envoyé par son supérieur légitime partait pour quelque pays qui n'avait pas encore reçu la lumière de l'Évangile; il le parcourait en apôtre, se fixait ensuite dans

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