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péterai pas ici que les lois somptuaires sont toujours un abus d'autorité, une atteinte à la propriété, et qu'elles n'atteignent jamais le but qu'elles se proposent. Je dirai seulement qu'elles sont inutiles, quand l'esprit de vanité n'est pas incessamment excité par toutes les institutions; quand la misère et l'ignorance de la basse classe ne sont pas assez grandes pour qu'elle ait une admiration stupide pour le faste; quand les moyens de faire des fortunes rapides et excessives sont rares; quand ces fortunes se dispersent promptement par l'égalité des partages dans les successions; quand enfin tout imprime aux esprits une autre direction et le goût des vraies jouissances; quand, en un mot, la société est bien ordonnée.

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Voilà les vrais moyens de combattre le luxe; toutes les autres mesures ne sont que des expédients misérables. Je ne reviens point de mon étonnement de ce qu'un homme comme Montesquieu ait porté le goût de ces expédients au point que, pour concilier la prétendue modération dont il fait le principe de son aristocratie, avec ce qu'il croit les intérêts du peuple, il approuve qu'à Venise les nobles se fassent voler leurs trésors par des courtisanes, et que dans les républiques grecques, les

plus riches citoyens les employassent en fêtes et en spectacles; et qu'enfin il arrive à trouver que les lois somptuaires sont bonnes à la Chine, parce que les femmes y sont fécondes. Heureusement il en conclut aussi qu'il faut détruire les moines; conséquence qui, pour être bonne, ne tient pas trop au principe dont elle sort.

A l'égard des femmes, elles sont des bêtes de somme chez les sauvages, des animaux de ménagerie chez les barbares, alternativement despotes et victimes chez les peuples livrés à la vanité et à la frivolité. Ce n'est que dans les pays où règnent la liberté et la raison, qu'elles sont les heureuses compagnes d'un ami de leur choix, et les mères respectées d'une famille tendre, élevée par leurs soins.

Ni les mariages Samnites (ou Sunnites) (1), ni les danses de Sparte ne produisent un pareil effet. Il est inconcevable qu'on ait été tant de temps avant de sentir l'énorme ridicule de ces niaiseries, et toute l'horreur du tribunal

(1) Voltaire a remarqué, dans son commentaire sur l'Esprit des Lois, que l'histoire de ces singuliers mariages est tirée de Stobée, et que Stobée parle des Sunnites, uple de Scythie, et non pas des Samnites. Au reste, cela est fort indifférent.

domestique des Romains. Les femmes ne sont faites ni pour dominer, ni pour servir, non plus que les hommes. Ce ne sont point là des sources de bonheur et de vertu; et l'on peut affirmer qu'elles n'ont produit nulle part ni l'un ni l'autre.

LIVRE VIII.

De la corruption des principes des trois gouvernements.

L'étendue convenable à un état est d'avoir une force suffisante avec les meilleures limites possibles.

La mer est la meilleure de toutes.

AUCUN livre de l'Esprit des Lois ne prouve mieux que celui-ci, combien est vicieuse la classification des gouvernements qu'a adoptée Montesquieu, et combien nuit à la profɔndeur et à l'étendue de ses idées l'usage qu'il a fait de cette classification systématique, en adaptant exclusivement à chacun de ces gouvernements un sentiment qui se trouve plus ou moins dans tous, dont il fait le principe unique de chacun d'eux, et dont il tire, pour ainsi dire par force, la raison de tout ce qu'ils font et de tout ce qui leur arrive.

En effet, dans ce livre huitième, la première chose dont on est frappé, c'est qu'en n'annonçant que trois espèces de gouvernements, il commence par en distinguer quatre,

qui sont en effet très-différents, et il finit par en réunir deux sous le nom de républicain, qui n'ont réellement nulle ressemblance sous le rapport dont il est question, celui de l'étendue du territoire.

Ensuite, vu qu'aucune institution humaine n'est exempte de défauts, on s'attend qu'il va nous dire quels sont les vices inhérents et propres à chacune des formes sociales, et nous enseigner les moyens de les combattre. Point du tout en vertu de son arrangement systématique il se tient dans les abstractions; il n'est point question encore des gouvernements, il ne s'agit que de leurs principes. Et que nous apprend-il relativement à ces principes? le voici :

Le principe de la démocratie, dit-il, se corrompt, non-seulement lorsqu'on perd l'esprit d'égalité, mais encore lorsque chacun veut étre égal à ceux qu'il choisit pour lui commander: et il explique cette seconde idée par beaucoup d'exemples et de raisonnements. Mais, toute juste qu'elle est, a-t-elle quelque rapport particulier avec la vertu démocratique qu'il a caractérisée ailleurs, l'abnégation de soi-même, plus qu'avec tout autre principe politique? Est-il une société quelconque qui puisse subsister, quand tout le monde

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