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grandeur convenable et suffisamment éloignées les unes des autres, vous la verrez couverte de nations industrieuses et riches, sans armées de terre, par conséquent régies par des gouvernements modérés, ayant entre elles les communications les plus commodes, et pouvant à peine se nuire, autrement qu'en troublant leurs relations réciproques; égarement qui cesse bientôt par l'effet de leurs besoins mutuels. Au contraire, imaginez la terre sans mer, vous verrez les peuples sans commerce, toujours en armes, craignant les nations voisines, ignorant l'existence des autres, et vivant sous des gouvernements militaires. La mer est un obstacle pour toute espèce de mal, et une facilité pour toute espèce de bien.

Après la mer, la meilleure limite naturelle est la cime des plus hautes chaînes de montagnes, en prenant pour ligne de démarcation le point de partage des eaux qui coulent des sommets les plus élevés et par conséquent les plus inaccessibles. Cette limite est encore trèsbonne en ce qu'elle est d'une précision suffisante, en ce que les communications sont si difficiles d'un revers de montagnes à l'autre, qu'en général les relations sociales et commerciales s'établissent toujours en suivant le cours des eaux; et enfin, en ce que, quoiqu'elle

doive être défendue par des troupes de terre, du moins elle en exige un moindre nombre que les pays de plaines, puisque, pour la protéger, il suffit d'occuper les gorges formées par les principaux mamelons qui partent de la grande chaîne.

Enfin, à défaut des mers et des montagnes, on peut se contenter des grands fleuves, en ne les prenant qu'à un endroit où ils soient déja un peu considérables, et en les suivant jusqu'à la mer, mais des grands fleuves seulement; car s'il s'agit de rivières affluentes dans d'autres dont on ne dispose pas, ce sont autant d'artères coupées, par lesquelles la circulation ne peut plus se faire, et qui paralysent souvent une grande étendue de pays. De plus, ces rivières ne sont pas en général assez considérables, au moins dans une partie de leurs cours, pour être de vraies barrières contre les entreprises hostiles. Je sais que grands fleuves mêmes ne sont pas une limite très-précise, parce que leur cours change incessamment, et engendre mille contestations; qu'ils ne sont qu'une défense bien peu sûre; qu'un ennemi entreprenant les passe toujours; qu'en un mot ils sont bien plus faits par la nature pour unir leurs riverains, que pour les séparer. Mais enfin il est des localités où

les

il faut bien se contenter de ces limites. Quoi qu'il en soit, une société politique doit toujours, pour son bonheur, travailler à se procurer ses limites naturelles, et ne jamais se permettre de les dépasser.

A l'égard du degré de puissance dont elle a besoin pour se conserver, il n'est que relatif, et dépend beaucoup des forces de ses voisins. Ceci nous amène naturellement au sujet du livre suivant.

LIVRE IX.

Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la force défensive.

La fédération produit toujours moins de force que l'union intime, et vaut mieux que la séparation absolue.

LE titre de ce livre semblerait annoncer qu'on trouvera ici la théorie des lois relatives à l'organisation de la force armée, et au service que les citoyens doivent à la patrie pour sa défense; mais ce n'est point ce dont Montesquieu s'est occupé. Il ne parle que des mesures politiques que peut prendre un état pour se mettre à l'abri des entreprises de ses voisins. Nous ne ferons que le suivre.

Prévenu de l'idée qu'une république, soit démocratique, soit aristocratique, ne peut jamais être qu'un petit état, il ne voit pour elle de moyen de défense, que de s'unir à d'autres états par un lien fédératif; et il fait un grand éloge des avantages de la constitution fédérative, qui lui paraît la meilleure invention possible pour conserver la liberté audedans et au-dehors. Sans doute il vaut mieux

pour un état trop faible se joindre à plusieurs autres par des alliances, ou par une fédération, qui est la plus étroite des alliances, que rester isolé mais si tous ces états réunis n'en formaient qu'un seul, ils seraient certainement plus forts. Or, cela se peut au moyen du gouvernement représentatif. Nous nous trouvons bien en Amérique du systême fédératif, parce que nous n'avons pas de voisins redoutables; mais si la république française avait adopté ce mode comme on le lui a proposé, il est douteux qu'elle eût pu résister à toute l'Europe, comme elle l'a fait, en demeurant une et indivisible. Règle générale : un état gagne en forces en se joignant à plusieurs autres; mais il gagnerait encore davantage, en ne faisant qu'un avec eux, et il perd en se subdivisant en plusieurs parties, quelque étroitement qu'elles demeurent unies.

On pourrait soutenir, avec plus de vraisemblance, que la fédération rend l'usurpation du pouvoir souverain plus difficile, que l'indivisibilité; cependant elle n'a pas empêché la Hollande d'être asservie par la maison d'Orange. Il est vrai que c'est sur-tout l'influence étrangère, qui a rendu le stathoudérat héréditaire et tout-puissant; et cela rentre dans les inconvénients des états faibles.

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