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de suite il explique tout le mécanisme du gouvernement anglais, tel qu'il le conçoit dans son admiration. Il est vrai qu'à l'époque où il écrivait, l'Angleterre était extrêmement florissante et glorieuse, et que son gouvernement était de tous ceux connus jusque alors, celui qui produisait ou paraissait produire les plus heureux résultats sous tous les rapports. Cependant ces succès, en partie réels, en partie apparents, en partie effets de causes étrangères, ne devaient pas faire illusion à une aussi forte tête, au point de lui masquer les défauts de la théorie de ce gouvernement, et de lui faire accroire qu'elle ne laissait absolument rien à desirer.

Cette prévention en faveur des institutions et des idées anglaises, lui fait oublier d'abord que les fonctions législatives, exécutives et judiciaires, ne sont que des fonctions déléguées, qui peuvent bien donner du pouvoir ou du crédit à ceux à qui elles sont confiées, mais qui ne sont pas des puissances existantes par elles-mêmes. Il n'y a en droit qu'une puissance, la volonté nationale; et en fait il n'y en a pas d'autre, que l'homme ou le corps chargé des fonctions exécutives, lequel disposant nécessairement de l'argent et des troupes, a en main toute la force physique. Montes

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quieu ne nie pas cela, mais il n'y songe pas. Il ne voit que ses trois prétendus pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Il les considère toujours comme des puissances indépendantes et rivales, qu'il ne s'agit que de concilier et de limiter les unes par les autres, pour que tout aille bien, sans faire entrer dn tout en ligne de compte la puissance nationale.

Ne faisant point attention que la puissance exécutive est la seule réelle de fait, et qu'elle emporte toutes les autres, il approuve sans discussion qu'elle soit confiée à un seul homme, même héréditairement dans sa famille, et cela par l'unique raison qu'un homme seul est plus propre à l'action que plusieurs. Quand il en serait ainsi, il aurait été bon d'examiner s'il n'y est pas tellement propre, que bientôt il ne laisse plus aucune autre action libre autour de lui, et si d'ailleurs cet homme, choisi par le hasard, est toujours suffisamment propre à la délibération qui doit précéder toute action.

Il approuve aussi que la puissance législative soit confiée à des représentants temporaires, librement élus par la nation dans toutes les parties de l'empire. Mais ce qui est plus extraordinaire, il approuve qu'il existe dans le sein de cette nation un corps de privilégiés héréditaires, et que ces privilégiés composent

à eux seuls et de droit, une section du corps législatif, distincte et séparée de celle qui représente la nation, et ayant le droit d'empêcher, par son veto, l'effet des résolutions de celle-ci. La raison qu'il en donne est curieuse. C'est, dit-il, que leurs prérogatives sont odieuses en elles-mêmes, et qu'il faut qu'ils puissent les défendre. On croirait plutôt devoir conclure qu'il faut les abolir.

Il croit de plus que cette seconde section du corps législatif est encore très-utile pour lui confier tout ce qu'il y a de vraiment important dans la puissance judiciaire, le jugement des crimes d'état; par-là elle devient, comme il le dit, la puissance réglante', dont la puissance exécutive et la puissance législative ont besoin pour se tempérer réciproquement. Il ne s'aperçoit pas, ce dont pourtant toute l'histoire d'Angleterre fait foi, que la chambre des pairs n'est rien moins qu'une puissance indépendante et réglante, mais qu'elle est seulement un appendice et une avant-garde du pouvoir exécutif, dont elle a toujours suivi le sort; et qu'ainsi, en lui donnant le veto et un pouvoir judiciaire, on ne fait autre chose que le donner au parti de la cour, et rendre à-peu-près impossible la punition des criminels d'état qu'il favorise

la

Malgré ces avantages, et malgré les forces réelles dont dispose la puissance exécutive, il croit nécessaire qu'elle possède encore le droit d'apposer son veto sur les résolutions, même unanimes, des deux sections du corps législatif, et qu'elle puisse le convoquer, le proroger, et le dissoudre; et il pense que partie populaire de ce corps trouve suffisamment de quoi se défendre, dans la précaution de ne jamais voter les impôts que pour un an; comme s'il ne fallait pas toujours les renouveler chaque année, sous peine de voir la société se dissoudre, et dans l'attention à ne souffrir ni camps, ni casernes, ni places fortes comme si on ne pouvait pas à chaque instant l'y obliger en en faisant naître la nécessité.

Montesquieu termine ce long exposé par cette phrase aussi embarrassée qu'embarrassante: Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif étant composé de deux parties, l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. A quoi il ajoute cette singulière réflexion: Ces trois puissances. devraient former un repos ou une inaction. Mais comme par le mouvement nécessaire des

choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert. J'avoue que je ne sens pas du tout la nécessité de cette conclusion. Il me paraît au contraire très-manifeste que rien ne pourrait aller, si tout était réellement enchevêtré comme on le dit, si le roi n'était pas effectivement le maître du parlement, et s'il n'était pas inévitable qu'il le mène, comme il a toujours fait, ou par la crainte ou par la corruption. A la vérité, je ne trouve rien dans tout ce fragile échafaudage qui l'en empêche. Aussi je ne vois en faveur de cette organisation, à mon avis trèsimparfaite, qu'une seule chose dont on ne parle pas; c'est la ferme volonté de la nation, qui entend qu'elle subsiste; et, comme en même temps elle a la sagesse d'être extrêmement attachée au maintien de la liberté individuelle et de la liberté de la presse, presse, elle conserve toujours la facilité de faire connaître hautement l'opinion publique; en sorte que, quand le roi abuse trop du pouvoir dont il est réellement en possession, il est bientôt renversé par un mouvement général qui se fait en faveur de ceux qui lui résistent, comme cela est arrivé deux fois dans le dix-septième siècle, et comme cela est toujours assez aisé dans une île, où il n'existe jamais de raison

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