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LIVRE XII.

Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen.

La liberté politique ne saurait subsister sans la liberté individuelle et la liberté de la presse, et celles-ci sans la procédure par jurés.

Le livre précédent est intitulé par Montesquieu: Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution. Nous avons vu que sous ce titre, il traite des effets que produisent sur la liberté des hommes les lois qui forment la constitution de l'état, c'està-dire, qui réglent la distribution des pouvoirs politiques. Ces lois sont en effet les principales de celles qui régissent les intérêts généraux de la société; et en y joignant celles qui réglent l'administration et l'économie publique, c'est-à-dire, celles qui dirigent la formation et la distribution des richesses, on aurait le code complet qui gouverne les intérêts du corps politique, pris en masse, et qui influe sur le bonheur et la liberté de chacun par les effets qu'il produit sur le bonheur et la liberté de

tous.

Ici il s'agit des lois qui atteignent directement chaque citoyen dans ses intérêts privés. Ce n'est plus la liberté publique et politique qu'elles attaquent ou qu'elles protégent immédiatement; c'est la liberté individuelle et particulière. On sent que cette seconde espèce de liberté est bien nécessaire à la première, et lui est intimement liée. Car il faut que chaque citoyen soit en sûreté contre l'oppression dans sa personne et dans ses biens, pour pouvoir défendre la liberté publique; et il est bien clair que si, par exemple, une autorité quel conque était en droit ou en possession d'ordonner arbitrairement des emprisonnements, des bannissements ou des amendes, il serait impossible de la contenir dans les bornes qui pourraient lui être prescrites par la constitution, l'état en eût-il une très - précise et trèsformelle. Aussi Montesquieu dit que, sous le rapport dont il s'agit, la liberté consiste dans la sûreté, et que la constitution peut être libre, (c'est-à-dire contenir des dispositions favorables à la liberté) et le citoyen ne l'être pas; et il ajoute avec beaucoup de raison, que dans la plupart des états (il pourrait dire dans tous) la liberté individuelle est plus génée, choquée, ou abattue, que leur constitution ne le demande. La raison en est que les autorités, voulant

toujours aller au-delà des droits qui leur sont concédés, ont besoin de peser sur cette espèce de liberté pour opprimer l'autre.

De même que ce sont les lois constitutionnelles principalement, et ensuite les lois administratives qui influent sur la liberté générale, ainsi ce sont les lois criminelles, et subsidiairement les lois civiles qui disposent de la liberté individuelle. Le sujet que nous avons à traiter rentre presque entièrement dans celui du livre sixième, où Montesquieu s'est proposé d'examiner les conséquences des principes des différents gouvernements, par rapport à la simplicité des lois civiles et criminelles, la forme des jugements et l'établissement des peines. Un meilleur ordre dans la distribution et l'enchaînement de ses idées, aurait réuni ce livre avec celui-ci, et même avec le vingt-neuvième qui traite de la manière de composer les lois, et en même temps de la manière d'apprécier leurs effets. Mais nous nous sommes assujettis à suivre l'ordre adopté par notre auteur. Chacun pour son compte fera bien de le réformer et de refondre son ouvrage et le nôtre, pour se composer un systême de principes suivi et complet.

Nous sommes convenus, au commencement de ce livre sixième, que, malgré les grandes

et belles vues qu'il renferme, nous n'y trouvions pas toute l'instruction que nous aurions dû en attendre. Nous sommes obligés de faire le même aveu au sujet de celui-ci. Il devrait naturellement renfermer l'exposition et l'appréciation des principales institutions, les plus favorables ou les plus contraires à la sûreté de chaque citoyen, et au libre exercice de ses droits naturels, civils et politiques. Or, c'est ce qu'on n'y trouve pas. Montesquieu, à son ordinaire, dans une multitude de petits chapitres décousus, parcourt tous les temps et tous les pays, et sur-tout les temps anciens et les contrées mal connues. Certainement il tire de tous ces faits des conséquences qui, le plus souvent, sont très-justes. Mais il ne fallait pas tant de recherches et tant d'esprit, pour nous apprendre que l'accusation de magie est absurde; que les fautes purement religieuses doivent être réprimées par des punitions purement religieuses aussi; que, dans les monarchies, on a souvent abusé du crime de lèse - majesté jusqu'à la barbarie et jusqu'au ridicule; qu'il est tyrannique de punir les écrits satiriques, les paroles indiscrètes, et jusqu'aux pensées; que les jugements par commissaires, l'espionnage, et les délations anonymes, sont des choses atroces et odieuses, etc. S'il a été

obligé d'user d'adresse pour oser dire de telles vérités, et s'il lui a été impossible d'aller plus loin, il faut le plaindre; mais il ne faut pas nous y arrêter.

Je ne trouve au milieu de tout cela qu'une seule réflexion profonde, c'est celle-ci : Qu'il est du plus grand danger pour les républiques de multiplier les punitions pour cause du crime de lèse - majesté ou de lèse-nation. Sous prétexte de la vengeance de la république, dit Montesquieu, on établirait la tyrannie des vengeurs. Il n'est pas question de détruire celui qui domine, mais la domination. Il faut rentrer, le plutôt qu'on peut, dans ce train ordinaire du gouvernement, où les lois protégent tous, et ne s'arment contre personne. Ces paroles sont admirables. La preuve tirée des faits est sans réplique. Chez les Grecs, pour n'avoir pas agi ainsi, l'exil ou le retour des exilés furent toujours des époques qui marquèrent le changement de la constitution. Que d'événements modernes viendraient à l'appui, s'il en était besoin!

Mais, à côté de ces décisions si sages, j'en trouve une bien dangereuse, contraire à l'avis formel de Cicéron; c'est qu'il y a des occasions où l'on peut faire une loi expresse contre un seul homme; et qu'il y a des cas où il faut

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