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LIVRE XIII.

Des rapports que la levée des tributs et la grandeur des revenus publics ont avec la liberté.

L'impôt est toujours un mal.

Il nuit de plusieurs manières différentes à la liberté et à la richesse.

Suivant sa nature et les circonstances, il affecte diverseinent différentes classes de citoyens.

Pour bien juger de ses effets, il faut savoir que le travail est la seule source de toutes nos richesses, que la propriété territoriale n'est en rien différente de toute autre propriété, et qu'un champ n'est qu'un outil comme un autre.

MONTESQUIEU a abordé là un grand et magnifique sujet, qui à lui seul embrasse toutes les parties de la science sociale; mais j'ose dire qu'il ne l'a point traité. Il a bien vu cependant qu'il y a une énorme absurdité à croire que la grandeur des impôts est une chose bonne en elle-même, et qu'elle excite et favorise l'industrie. Il est singulier qu'il faille lui tenir compte de n'avoir pas professé une erreur si grossière. Mais tant d'hommes, éclairés d'ailleurs, ont fait cette faute; tant d'écrivains de la secte des économistes ont prétendu que

la consommation est une source de richesses, et que les causes de la fortune publique sont d'une nature toute différente de celles de la fortune des particuliers, que l'on doit savoir gré à notre auteur de ne s'ètre pas laissé séduire par leurs sophismes, et embarrasser par les subtilités de leur mauvaise métaphysique.

Quoiqu'il ne se soit pas donné la peine de les réfuter, ce qui pourtant aurait été utile, il dit nettement que les revenus de l'état sont une portion, que chaque citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de l'autre ; qu'il faut que cette portion soit la plus petite possible; qu'il ne s'agit pas d'enlever aux hommes tout ce à quoi ils peuvent renoncer, ou tout ce qu'on peut leur arracher, mais seulement ce qui est indispensable aux besoins de l'état; et qu'enfin, si on use de toute la possibilité que les citoyens ont de faire des sacrifices, on doit au moins n'en pas exiger d'eux de tels, qu'ils altèrent la reproduction au point qu'ils ne puissent plus se répéter annuellement. En effet, il faut qu'une société abuse étrangement de ses forces pour seulement demeurer stationnaire; car il y a dans la nature humaine une prodigieuse capacité d'accroître rapidement ses jouissances et ses moyens, sur-tout quand elle est déja arrivée à un certain degré de lumières.

Montesquieu remarque en outre que plus il y a de liberté dans un pays, plus on peut le charger d'impôts, et rendre sévères les peines fiscales, soit parce que la liberté, laissant agir l'activité et l'industrie, augmente les moyens, soit parce que plus un gouvernement est aimé, plus il peut, sans risques, être exigeant. Mais il remarque aussi que les gouvernements de l'Europe ont énormément abusé de cet avantage, ainsi que de la ressource dangereuse du crédit; que presque tous se livrent à des expédients dont rougirait le fils de famille le plus dérangé; qu'ainsi tous les gouvernements modernes courent à leur ruine prochaine, qu'accélère encore la manie de tenir constamment sur pied des armées innombrables.

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Tout cela est vrai, mais c'est à-peu-près à quoi se réduit ce livre treizième. Or, ce petit nombre de vérités sans développement, entremêlées de quelques assertions douteuses ou fausses, et de quelques déclamations vagues contre les traitants, ne fait pas assez connaître quel doit être l'esprit des lois relatives à l'impôt. Cela ne suffit même pas pour remplir le titre du livre; car il faut bien d'autres données que celles-là, pour voir réellement quelle est l'influence de la liberté politique

sur les besoins et les moyens de l'état, ou seulement quelle réaction a sur cette même liberté la nature des tributs et la grandeur des revenus publics. Je vais donc risquer de présenter quelques idées, que je crois utiles et même nécessaires à la pleine intelligence du sujet.

1° Je montrerai pourquoi et comment l'impôt est toujours un mal. Cela est d'autant plus à propos, que Montesquieu lui-même paraît avoir ignoré la meilleure partie des raisons qui motivent cette assertion, puisque, dans d'autres endroits de son ouvrage, il parle de l'excès de la consommation, comme d'une chose utile et d'une source de richesses. (Voy. le livre septième.)

2° J'expliquerai quels sont les inconvénients particuliers à chaque espèce d'impôt.

3o Je tâcherai de faire voir sur qui tombe réellement et définitivement la perte résultante de chaque impôt.

4° J'examinerai pourquoi les opinions ont été si divergentes, principalement sur ce dernier point, et quels sont les préjugés qui ont masqué la vérité, quoiqu'elle pût se reconnaître à des signes certains.

Toutes les fois que la société, sous une forme ou sous une autre, demande un sacrifice quel

conque à quelques-uns de ses membres, c'est une masse de moyens qui est enlevée à des particuliers, et dont le gouvernement s'attribue la disposition. Pour juger de ce qui en résulte, il s'agit donc uniquement de savoir quel est l'usage que le gouvernement fait de ces moyens dont il s'empare; car s'il les emploie d'une manière qu'on puisse dire profitable, il est manifeste que l'impôt est une cause d'accroissement dans la masse de la richesse nationale; si c'est le contraire, il faudra tirer une conclusion opposée.

Dans le livre septième, à propos du luxe, nous avons fait, sur la production et la consommation, des remarques qui vont nous donner la solution de cette question. Nous avons vu que le seul trésor des hommes est l'emploi de leurs forces, le travail; que tout le bien des sociétés humaines est dans la bonne application du travail, tout le mal dans sa déperdition; que le seul travail qui produise l'accroissement du bien-être, est celui qui produit des richesses supérieures à celles que consomment ceux qui s'y livrent; et qu'au contraire tout travail qui ne produit rien est une cause d'appauvrissement, puisque tout ce que consomment ceux qui l'exécutent, était le résultat de travaux productifs antérieurs, et

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