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LIVRE XIX.

Des lois dans le rapport qu'elles ont avec les principes qui forment l'esprit général, les mœurs et les manières d'une nation.

Pour les meilleures lois, il est nécessaire que les esprits y soient préparés. C'est pour cela qu'il faut que le pouvoir législatif soit exercé par des députés, librement élus, pour un temps limité sur toutes les parties du territoire.

Il y a bien de l'esprit dans ce livre. Le portrait des Français est une jolie plaisanterie; celui des Anglais est très-bien fait pour prouver que ce qui est, doit être, et quelquefois pour rendre raison de ce qui n'est pas. Mais tout cela n'est-il point plus éblouissant que solide, et entremêlé d'assertions insoutenables?

Il ne faut pas tout corriger, sans doute. Pourquoi? de peur de faire pis. Mais s'ensuitil que la vanité est un bon ressort pour un gouvernement, et qu'à force de se rendre l'esprit frivole, on augmente sans cesse les branches de son commerce? Les nations les plus commerçantes ne sont pas les plus légères. Sur-tout doit-on établir en thèse générale que

tous les vices moraux ne sont pas des vices politiques? J'ose dire que cela est faux, si la politique est la science du bonheur des hommes. Si elle est l'art de les dépraver pour les opprimer, je n'ai rien à objecter; je ne m'occupe pas de cette politique.

Est-il donc très-singulier, comme le dit l'auteur, qu'un peuple comme les Chinois, asservi jusque dans ses manières, et toujours occupé de démonstrations cérémonieuses, soit trèsfourbe? et pour expliquer un fait si simple, peut-on se permettre d'affirmer qu'à la Chine il est permis de tromper? Pour moi, jose assurer qu'on a trompé par-tout, et que jamais les lois n'y ont autorisé nulle part, pas même à Lacédémone, malgré les prétendus vols permis.

J'ose encore affirmer que ce n'est pas la détestable manière d'écrire des Chinois qui a pu établir parmi eux l'émulation, la fuite de l'oisiveté, et l'estime pour le savoir. Elle a sans doute contribué à leur respect pour les rites, en les rendant incapables d'apprendre rien autre chose, c'est-à-dire, qu'elle a aidé à les asservir en les abrutissant. Mais si c'est en cela que le gouvernement chinois triompha, comme le dit notre auteur, ce n'était pas à lui à chanter ce triomphe. Un philosophe doit accorder ses éloges avec plus de discernement.

N'y a-t-il pas aussi un peu d'irréflexion à touer sans restriction Rhadamante de ce qu'il expédiait tous les procès avec célérité, déférant seulement le sérment sur chaque chef? Je crois que nous savons assez mal, malgré le secours de Platon, ce que faisait Rhadamante; mais nous savons très-bien, et nous l'avons vu dans le livre sixième, que les lois peuvent plus facilement être simples, suivant que la société est moins avancée et que les intérêts sont moins compliqués; et nous sommes assurés de même que, moins on sait écrire, plus on est obligé d'employer la preuve testimoniale et l'affirmation par serment. Il ne faut donc pas toujours prendre l'ignorance pour l'innocence, et la rusticité pour la vertu.

Une autre assertion singulière est celle-ci : Une nation libre peut avoir un libérateur; une nation subjuguée ne peut avoir qu'un autre oppresseur. Il s'ensuivrait qu'une nation, une fois opprimée, ne peut jamais cesser de l'être; et d'ailleurs il est difficile de comprendre ce que c'est que le libérateur d'une nation déja

libre.

Ces distractions n'empêchent pas que notre auteur n'ait grande raison, quand il dit que c'est une très-mauvaise politique de changer par les lois ce qui doit étre changé par les

manières. C'est pour cela que, contre son avis, j'ai désapprouvé les lois somptuaires. Voyez le livre septième.

A l'égard du fameux mot de Solon, dont les défenseurs de toutes les institutions reconnues mauvaises, ont toujours invoqué l'autorité, j'ai dit, livre onzième, à quoi on doit le réduire, et ce qu'on peut en penser. J'ai même, à cette occasion, expliqué comment des institutions, mauvaises en elles-mêmes, peuvent avoir une bonté relative, et pourquoi au contraire de très-bonnes lois peuvent être inadmissibles dans une situation donnée. Ainsi je pense complétement comme notre auteur, que pour les meilleures lois, il est nécessaire que les esprits y soient préparés. Je professe sincèrement ce principe, qui me paraît excellent, et le seul bon qu'on trouve dans ce dixneuvième livre. J'en tire cette conséquence, qu'il est très-essentiel que le pouvoir législatif soit exercé par des députés librement élus, pour un temps limité, sur toutes les parties du territoire d'une nation. Car c'est cette manière qui donne le plus la certitude que les lois seront bien assorties à l'esprit général qui règne dans cette nation.

LIVRES XX, XXI.

Des lois dans le rapport qu'elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions.

Des lois dans le rapport qu'elles ont avec le commerce considéré dans les révolutions qu'il a eues dans le monde.

Les négociants sont les agents du commerce. L'argent en est l'instrument. Mais ce n'est pas là le commerce. Le commerce consiste dans l'échange. Il est la société toute entière. Il est l'attribut de l'homme. Il est la source de tout bien. Sa prineipale utilité est de développer l'industrie. C'est lui qui a civilisé le monde, c'est lui qui a affaibli l'esprit de dévastation. Les prétendues balances de commerce sont des illusions ou des minuties.

De même que j'ai joint ensemble les quatre livres qui traitent de la nature du climat, je réunis actuellement ces deux-ci qui ont rapport au commerce. Mais j'avoue que je ne sais comment aborder les questions qui y sont, non pas traitées, mais tranchées. Je ne puis ni voir la connexion qu'elles ont entre elles, ni trouver dans les unes les éléments de la solution des autres, comme cela devrait être, si elles étaient bien éclaircies et bien liées. Cela me

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