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de demander la résiliation de la vente avec dommagesintérêts; Que les sieurs Aquarone fils et compagnie reconnaissent eux-mêmes ce droit, puisqu'ils offrent de régler les dommages-intérêts, par la différence entre le prix convenu et celui de la marchandise, à l'époque de fin mai... (1) »

387. Une question délicate est celle de savoir quelle somme doit être accordée en ce cas, à titre de dommagesintérêts. Il peut arriver que, comptant sur la livraison qui devait être faite à une époque déterminée, l'acheteur ait lui-même fait une revente à terme des mêmes marchandises.

Les dommages-intérêts seront-ils, en ce cas, de la différence entre le prix convenu et celui des grains ou farines au moment où devait avoir lieu la livraison? Seront-ils au contraire de la différence entre le prix convenu et le prix de la revente?

Le tribunal de commerce de Marseille appelé à juger cette question n'a adopté ni l'une ni l'autre de ces bases.

« Attendu, dit-il, que, si, d'une part, l'aléatoire dont les parties étaient convenues pour la livraison, rend l'offre des sieurs Aquarone et compagnie (vendeurs) insuffisante (2), d'autre part, la prétention du sieur Estienne (acheteur) de prendre pour base des dommages-intérêts qu'il demande, le prix convenu dans une revente étrangère aux sieurs Aquarone fils et compagnie, est contraire aux principes en matière de dommages-intérêts; — Qu'en

(1) Jugement du 3 juillet 1844 (Lehir, Annales de la science et du droit commercial, 1845, 2o part., p. 429).

(2) On a vu au numéro précédent que les vendeurs proposaient à titre de dommages-intérêts la différence entre le prix convenu et celui des denrées au moment où aurait dû avoir lieu la livraison.

cet état, c'est au tribunal qu'il appartient d'arbitrer les dommages-intérêts dus au sieur Estienne, en prenant en considération les diverses circonstances de la cause (1). »

Cette question est, nous le comprenons, plutôt une question de fait qu'une question de droit; cependant il est des principes posés par la loi, pour servir de base en pareil cas à la fixation des dommages-intérêts; ainsi, d'après l'art. 1149 C. Nap., « les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, » et d'après l'art. 1150, « le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée. »

La seule question se réduit donc à rechercher si on a pu prévoir, lors de la conclusion du marché, une vente postérieure par l'acheteur des mêmes grains et farines; cela ne nous semble pas contestable. Non-seulement on a pu, mais très-souvent on a dû la prévoir, puisque pour tout autre que le manipulateur, elle est le seul moyen de faire un bénéfice. Aussi croyons-nous que dans l'espèce soumise au tribunal de Marseille, l'acheteur était en droit de demander à titre de dommages-intérêts, la différence entre le prix convenu et celui de la revente. D'un côté en effet, il établissait d'une manière certaine le gain légitime que l'inexécution du premier marché l'empêchait de faire, et de l'autre côté, l'inexécution était sinon un fait dolosif, du moins une faute lourde de la part des vendeurs qui n'avaient fait aucune diligence pour exécuter leur engagement.

(1) Jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 juillet 1844 (Annales de la science et du droit commercial, 1845, 2. part., p. 429).

Nous croyons qu'il est urgent, dans l'intérêt du commerce, de se montrer sévère à l'égard des vendeurs qui ne font pas tous leurs efforts pour effectuer la livraison dans le délai voulu ; l'inexécution des marchés, qui souvent se suivent et forment pour ainsi dire une chaîne, peut amener dans le commerce des céréales, plus que dans tout autre, une perturbation générale. La sévérité des tribunaux, dans de tels cas, n'est du reste que juste, car sans elle le vendeur pourrait s'enrichir impunément aux dépens de l'acheteur. Si en effet les dommages-intérêts n'étaient pas très-élevés, le vendeur aurait souvent avantage à ne pas livrer et à revendre secrètement à d'autres en payant à l'acheteur frustré, des dommages-intérêts relativement peu considérables, Le salut du commerceet, en matière de subsistances, le sort de tout un pays, sont dans le respect le plus strict des engagements.

388. Il est à remarquer que ces droits accordés à l'acheteur existent dans le cas seulement où l'inexécution résulte du fait volontaire du vendeur.

En effet, le droit accordé à l'acheteur par l'art. 1610 Code Napoléon, est le résultat de la condition résolutoire prévue par l'art. 1184 ainsi conçu ; « La condition résolutoire est toujours sous-entendue, dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à ses engagements. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit..... La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai suivant les circonstances. » D'ailleurs, disait Merlin devant la Cour de cassation, « le droit de résoudre la vente et le droit d'exiger des dommages-intérêts pour le préjudice résultant du défaut de livraison vont absolument de pair; et dès que celui-ci ne peut pas être exercé

contre le vendeur, le vendeur est nécessairement à l'abri de celui-là (1). » Or, on ne pourrait demander des dommages-intérêts au vendeur pour un retard de livraison occasionné par un cas fortuit ou une force majeure, puisque, d'après l'art. 1148 (Code Napoléon), il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé.

Cette opinion, adoptée par la généralité des auteurs (2), a été consacrée par la Cour de cassation, dans une espèce où il s'agissait d'avoines que le vendeur s'était obligé de rendre à Maisons, près Saint-Germain en Laye, au plus tard le 1er avril 1807, sur le bord de la Seine.

pas effec

La navigation étant devenue impossible à cette époque à cause de la crue des eaux, la livraison ne fut tuée dans le délai déterminé par le marché.

Sur la demande formée par l'acheteur, le tribunal de commerce de la Seine rendit le jugement suivant :

<<< Attendu que la convention portée au marché, par laquelle le vendeur s'était obligé à rendre lesdites avoines à Maisons, sur le bord de la Seine, excluait toute idée qu'il eût été entendu entre les parties, qu'elles fussent voiturées par terre;

<«< Attendu qu'il n'est pas dénié, et qu'il résulte même des faits de la cause, que le retard de l'arrivée desdites avoines à Maisons a été occasionné par les grosses eaux, dont la crue a suspendu forcément le passage sous les ponts de Paris, et que sans cette suspension il serait arrivé

(1) Merlin, Répert., vo Marchés à terme.

(2) MM. Favard de Langlade, Répert., vo Vendeur, sect. ire, § 3, no 1, 2 et 3; Duvergier, De la Vente, t. I, nos 264 et 265.

dans le temps fixé, et attendu que ce retard ne peut être imputé au vendeur... »

Ce jugement ayant été confirmé par la Cour de Paris, l'acheteur se pourvut contre l'arrêt; mais la Cour de cassation rejeta le pourvoi, par cette considération, que si l'art. 1610 du Code civil autorise l'acheteur auquel la livraison de la chose vendue n'a pas été faite dans le temps convenu, à demander la résiliation du marché, l'art. 1184 du même Code décide que cette résiliation doit être demandée en justice, et qu'il peut être accordé au défendeur un délai suivant les circonstances (1). ›

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389. D'après les usages de la place du Havre, la faculté stipulée entre un acheteur et un vendeur de livrer les marchandises vendues par proportions de termes, du 1er au 15 de chaque mois, est en faveur du vendeur qui peut toujours attendre jusqu'au 15 pour la livraison (2). Nous devons dire que dans l'espèce jugée par le tribunal du Havre, la convention portait que la faculté était accordée au vendeur, afin qu'il pût livrer des fromages, provenant du dernier voyage du bateau de Rotterdam. Mais il est à remarquer que le jugement vise l'usage de la place du Havre (3).

(1) Arrêt du 8 octobre 1807 (Devill. et Carette, Collection nouv., t. II, 1re part., p. 436).

(2) Jugement du tribunal de commerce du Havre du 12 mars 1844 (Lehir, Annales de la science et du droit commercial, 1845, 2o part., p. 427).

(3) Ce jugement est ainsi conçu : « Attendu que par convention verbale intervenue entre les parties le 15 novembre 1843, il a été stipulé que chaque livraison devait avoir lieu du 1er au 15 de chaque mois; Attendu que cette faculté ne peut s'appliquer qu'au vendeur auquel ces quinze jours étaient utiles, afin de pouvoir livrer des fromages provenant du dernier voyage du bateau à vapeur, ainsi que cela résulte même de ladite conven

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