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En effet, si un commissionnaire avait acheté au nom et pour compte d'un négociant des denrées qui ne se débitent jamais à l'intérieur, par exemple, les fèves cultivées dans certaines parties de la France pour être exportées en Angleterre, et si l'exportation des légumes secs venait à être interdite, le contrat devrait être résilié, car il n'aurait plus de raison d'être, la commune intention des parties ayant été évidemment de conclure un marché pour l'exportation.

La question dont nous nous occupons est donc une question de fait laissée à l'appréciation des tribunaux, qui doivent toujours rechercher si l'exportation est la partie substantielle du marché.

595. Les marchés à terme sur les grains se font souvent à la charge pour le vendeur de désigner dans un temps déterminé le navire porteur des blés vendus. Les parties conviennent, au moment de la conclusion du marché, de la quantité et de la qualité des blés qui en forment l'objet, et le vendeur s'engage à désigner le navire avant un délai parfaitement fixé entre les parties.

596. Dans ces sortes de marchés, le délai déterminé pour la désignation du navire est fatal et de rigueur; c'est une partie substantielle de l'acte, à tel point que, si la désignation n'a pas eu lieu à l'époque fixée, le contrat est regardé comme non exécuté.

C'est ce qu'a décidé le tribunal de commerce de Marseille, par deux jugements consécutifs que la Cour d'Aix a confirmés sans motifs nouveaux (1).

merce de Rouen du 7 octobre 1853 (Lehir, Annales de la science et du droit commercial, 1853, 2o part., p. 658).

(1) Jugement du 19 avril 1847, confirmé par arrêt du 17 mai 1847, et jugement du 30 avril même année, confirmé par arrêt du 10 juin (Annales de la science et du droit commercial, 1847, 2e part., p. 321 et note).

Le premier jugement, en date du 19 avril 1847, est ainsi motivé : «< Attendu que, dans les marchés de la nature de celui dont il s'agit, la condition de désigner, dans le délai convenu, le navire qui sera porteur de la marchandise, est, dans l'intention commune des parties, comme dans ses résultats, substantielle de la vente, puisqu'elle fixe l'acheteur sur l'étendue des chances qu'il consent à courir; - Que cette obligation est pareille à celle de la délivrance, puisque son effet est de spécialiser la chose vendue, dont la propriété est, dès lors, transférée de droit à l'acheteur, sauf les risques de la navigation, le vendeur ne pouvant, dans aucun cas, offrir, ou l'acheteur exiger, pour l'exécution du marché, un blé autre que celui chargé sur le navire qui a été régulièrement désigné;-Que le marché devient plus avantageux après que la désignation a été faite, parce que l'opération est plus avancée et que les contractants peuvent assurer les chances de son exécution;

<«< Attendu qu'il n'est pas nécessaire, que la convention contienne la clause résolutoire, ni une clause pénale pour le cas de la non-désignation, puisque l'art. 1610 C. Nap., spécial à la matière, donne à l'acheteur le droit absolu de demander à son choix, la résolution de la vente ou sa mise en possession, avec dommages-intérêts dans les deux cas, s'il éprouve un préjudice de l'inexécution ou du retard; que d'autre part, aucun délai ne saurait être accordé au vendeur pour désigner un navire, l'acheteur n'ayant consenti à courir les risques que d'un navire désigné dans les limites fixées par le contrat; - Qu'il suit de là, que cette désignation ne peut, dans l'esprit et la nature du traité, être faite que dans le délai précisément convenu; que ce délai est fatal et que toute désignation

postérieure est nulle comme s'il n'en avait pas été fait... » 397. Si dans un marché à livrer, le vendeur a présenté le navire qui doit apporter les grains ou farines comme effectuant son retour, alors qu'il n'avait pas quitté la France, l'acheteur averti plus tard et avant l'arrivée du navire, de cette circonstance, est fondé à signifier son refus d'exécuter le marché et à refuser de prendre livraison à l'arrivée du navire. En effet, le consentement de l'acheteur n'avait pas été donné librement, puisque ce dernier avait été induit en erreur par son vendeur; si l'acheteur avait connu cette circonstance, il n'aurait peutêtre pas fait le marché, dans la crainte d'un terme trop long pour la livraison; c'est du reste ce qu'a décidé le tribunal de commerce du Havre par un jugement du 11 septembre 1843. Le tribunal, après avoir énoncé les faits, motive ainsi son opinion... « Attendu que de Conninck et compagnie (vendeurs) avaient connaissance de ces faits et qu'en les laissant ignorer à Massinot (commissionnaire des acheteurs), celui-ci a dû penser que le Vaillant (navire désigné) était en cours de voyage et sur le point d'effectuer son retour; Attendu de Conninck et compagnie ne pouvaient stipuler dans le marché que le navire le Vaillant était attendu, puisque ce navire n'avait pas commencé son voyage pour le Sénégal; Attendu que Gaulefret et compagnie, pour le compte desquels Massinot avait agi en qualité de commissionnaire, eussent été fondés à considérer comme nul et non avenu le marché verbal, et à faire signifier à Massinot, qui l'a reporté à de Conninck et compagnie, qu'ils n'entendaient pas exécuter ce marché (1). »

que

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(1) Lehir, Annales de la science et du droit commercial, 1844, p. 351.

398. Dans les ventes de denrées à livrer à désignation d'un navire, l'acheteur se réserve ordinairement la faculté d'annuler ou de proroger à son choix le marché, pour le cas où le navire n'arriverait pas à l'époque fixée.

Lors donc que l'acheteur a manifesté son intention de proroger, et qu'un advenant de prorogation a été accepté par le commissionnaire à la vente, la prorogation doit continuer (1); tel est du moins l'usage de la place de Marseille.

C'est ce qui a été décidé par le tribunal de commerce de cette ville, dont un jugement, en date du 7 mars 1849, est ainsi conçu :

«< Attendu, en fait, que le sieur W. Payot a vendu le 2 novembre dernier, d'ordre et pour compte des sieurs Cresbessac et Descot, de Bordeaux, au sieur Daumas d'Alléon, la quantité (dans l'espèce, c'était du nitrate de soude) pour lui être livrée à Bordeaux, et provenant du chargement du navire l'Amélie, capitaine Gayac, à son heureuse arrivée, fixée au plus tard au 10 décembre dernier, avec faculté à l'acheteur d'annuler ou de proroger une ou plusieurs fois le marché, dans le cas où le navire ne serait pas arrivé à l'époque fixée; Attendu que l'arrivée dudit navire n'ayant pas eu lieu, ni avant l'époque du 10 décembre, ni après, jusqu'à ce jour, il convenait néanmoins au sieur Daumas d'Alléon, en la faveur qui avait lieu sur cet article de maintenir son marché, ainsi qu'il en avait le droit;-Que trois ad venants pour fixer des délais à cette prolongation sont intervenus entre les parties: le premier, en date du 10 décembre dernier, qui proroge jusqu'au 31 du même mois; le

(1) Code Napoléon, art. 1134.

deuxième, du 4 janvier dernier, prorogeant jusqu'au 31 du même mois; enfin le troisième, du 6 mars dernier, qui proroge jusqu'à fin avril suivant; - Attendu qu'il est d'usage constant sur la place de Marseille, et conforme à la jurisprudence du tribunal, que dans les marchés de cette nature, lorsque l'acheteur ne déclare pas vouloir annuler, la prorogation est de plein droit; Que les advenants qui interviennent entre les parties pour fixer un délai de prorogation, à la volonté de l'acheteur, sont au profit du vendeur, puisque, dans cet intervalle de temps, l'acheteur s'interdit la faculté d'annuler; - Qu'à l'expiration des advenants, l'acheteur rentre dans la jouissance de son droit primitif, si un nouvel advenant n'est pas consenti (1). »

399. Dans les marchés à désignation, les denrées d'un navire (les céréales, par exemple,) voyagent aux risques et périls du vendeur, quoique la désignation du navire ait eu pour effet de spécialiser la chose vendue, en ce sens que c'est cette chose déterminée qu'il a droit de se faire livrer.

400. Ainsi, c'est le vendeur qui subit les pertes résultant, dans les transports sur mer, du vice propre de la chose.

C'est entre lui et l'assureur, que se règlent également les contestations relatives aux avaries, fortunes de mer et relâches forcées.

401. A ce propos s'élèvent des questions importantes. On se demande, par exemple, quel principe doit être adopté pour le règlement des avaries ou fortunes de mer, en cas de transport des céréales essentiellement sujettes, on

(1) Lehir, Annales de la science et du droit commercial, 1852, 2o part., p. 55.

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