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l'art. 389 semblent impliquer une solution affirmative. L'art. 389 est ainsi conçu: «< Sera puni de la réclusion «< celui qui, pour commettre un vol, aura enlevé ou dé<< placé des bornes servant de séparation aux propriétés. >>

103. M. Faustin Hélie (1) soutient que cet article est applicable au maraudage, prévu par l'art. 475, § 10; « car, « dit-il, le maraudage est un véritable vol et les termes gé« néraux de l'art. 389 ne permettent pas de douter qu'il << ne s'applique à tous les vols commis dans les champs. 104. M. Carnot au contraire soutient que, dans ce cas, le déplacement de bornes constitue le délit prévu par l'art. 456, derrière lequel s'efface le maraudage (2).

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105. C'est à cette dernière solution que nous nous rangeons; il nous paraît d'abord impossible de supposer, que dans l'esprit du législateur, la même circonstance aggravante ne produise pas toujours la même conséquence. Or, dans le système de l'affirmative, le déplacement de bornes fait, de la contravention punie d'une amende de 6 à 10 francs, un crime frappé de la réclusion, peine afflictive et infamante, tandis que la même circonstance aggravante n'élèverait que d'un degré la peine applicable au vol de récoltes déjà détachées du sol, de meules de grains faisant partie de récoltes, ou bien enfin au vol de récoltes non encore détachées du sol, mais alors commis à l'aide de paniers. Ces délits sont en effet punis d'un emprisonnement correctionnel par l'art. 388. Ce serait pour ainsi dire le seul exemple d'une circonstance aggravante produisant un tel effet. Dans les vols ordinaires, il faut une et souvent deux circonstances aggravantes pour

P. 191.

(1) Théorie du Code pénal, t. V,
(2) Commentaire sur le Code pénal, t. II, p. 328.

élever la peine d'un degré; dans les matières de faux, de coups et blessures, etc., la même progression se présente.

Et d'ailleurs, si les termes de l'art. 389 sont généraux, faut-il en conclure qu'ils s'appliquent au maraudage comme aux vols prévus par l'art. 388 ? Nous ne le pensons pas. La position de l'art. 389, suivant immédiatement l'article 388, l'époque à laquelle il a été rendu (même date que l'art. 388), prouvent que tous deux ont été faits dans un même esprit, ne forment pour ainsi dire qu'un article, et que le législateur a eu seulement en vue, en édictant l'article 389, de compléter l'article précédent; il n'a pas entendu l'appliquer à l'art. 475, autrement il s'en serait formellement expliqué.

Il est encore utile de remarquer, que si au point de vue intentionnel le maraudage est un vol, néanmoins la loi pénale ne le considère pas positivement comme tel, puisqu'elle ne le place pas sous la rubrique des crimes et des délits contre la propriété; c'est à ses yeux une simple contravention de police. Or, comme d'après l'article que nous discutons, il faut que l'enlèvement de bornes ait eu lieu pour commettre un vol, on peut dire que les termes mêmes de l'article repoussent son application au maraudage.

106. Nous pensons avec M. Carnot, que s'il y a à la fois maraudage et enlèvement de bornes, il y a deux faits distincts: l'un, le maraudage, prévu par l'art. 475, § 10; l'autre, l'enlèvement de bornes, prévu par l'art. 456; le premier puni de 6 à 11 francs d'amende, le second d'un mois à une année d'emprisonnement.

Les deux peines devront être prononcées dans ce cas spécial, car il n'y a pas lieu à l'application de l'art. 365 du Code d'instr. crimin. ainsi conçu : « En cas de con

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<<<viction de plusieurs crimes ou délits la peine la plus « forte sera seule appliquée. » Il est de jurisprudence constante que le cumul des peines peut avoir lieu en cas de conviction d'un délit et d'une contravention, le but du législateur ayant été, en édictant l'art. 365, d'éviter que le nombre des délits et des crimes pût prolonger indéfiniment l'emprisonnement du prévenu ou de l'accusé; il est aujourd'hui reconnu que l'amende (peine pécuniaire), peut être cumulée avec l'emprisonnement (1).

107. Il est des cas où le maraudage puni par l'article 475, § 10, comme simple contravention, devient un délit; ce sont ceux où il a lieu «< soit avec des pa<<<niers ou autres objets équivalents, soit la nuit, soit à <<< l'aide de voitures et d'animaux, soit par plusieurs per<< sonnes. » La peine est alors de 15 jours à 2 ans d'emprisonnement (2).

108. Les termes de cet article prouvent évidemment, selon nous, qu'une seule des circonstances énoncées élève le maraudage à la hauteur d'un délit, c'est ce que démontre l'expression soit, placée entre chacune d'elles. Aussi

(1) Legraverend, Législation criminelle, t. II, p. 611.

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(2) Code pénal, art. 388, § 5. La peine appliquée à ce fait a bien souvent varié. D'après la loi du 28 septembre-6 octobre 1791, art. 35, elle était d'une amende double du dédommagement et d'un emprisonnement qui pouvait aller jusqu'à trois mois. D'après la loi du 25 frimaire an VIII, art. 10 et 11, le minimum de l'emprisonnement était de 3 mois, le maximum d'un an, si le vol était commis le jour, et de 6 mois à 2 ans, s'il était commis la nuit. D'après le Code pénal de 1810 (art. 388), on appliquait la peine de réclusion. D'après la loi du 25 juin 1824, la peine était la même, mais la Cour d'assises pouvait accorder des circonstances atténuantes. Enfin, c'est à l'époque de la révision du Code pénal, en 1832, que fut édicté l'article actuellement en vigueur. - Voir no 186.

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comprenons-nous avec peine comment M. Carnot, (1) a pu être amené à dire que pour qu'il y ait lieu à l'application de cet article, il faut « que le vol ait eu lieu avec << des paniers ou des sacs ou d'autres objets équivalents << et qu'il ait été commis, soit de nuit, soit à l'aide de voi«<tures ou d'animaux de charge, soit par plusieurs per«sonnes. » M. Carnot va jusqu'à dire « que le vol << aurait été commis de nuit, par plusieurs personnes et à <«<l'aide de voitures et d'animaux de charge, que s'il ne «<l'avait pas été avec des paniers ou autres objets équi<«< valents, le fait ne rentrerait pas dans la disposition de <«<l'art. 388, § 5. » Ainsi, d'après lui, il n'y aurait qu'une simple contravention punissable de 6 à 10 fr. d'amende dans le fait de voler la nuit en réunion de plusieurs personnes des charretées entières de blé jusque-là non détaché du sol.

Il suffit de se reporter au texte de la loi et surtout d'en consulter l'esprit pour repousser une pareille interprétation. La grayité du délit est en raison directe de l'importance du dommage que l'on a voulu causer; or il est évident que le vol commis la nuit, par plusieurs personnes avec des voitures ou animaux de charge est beaucoup plus coupable que le vol commis avec des paniers ou autres objets équivalents (2).

109. Nous devons remarquer que dans les mots objets équivalents, les tribunaux comprennent les tabliers de femme qui peuvent, étant relevés, servir à cacher des objets soustraits.

110. Aux vols prévus par l'art. 388, § 5, peut

(1) Commentaire sur le Code pénal, t. II, p. 325, no 11. (Obs. addit.)

(2) Voir no 186.

venir se joindre la circonstance aggravante de déplacement de bornes, prévue par l'art. 389, ainsi conçu : << Sera puni de la réclusion, celui qui, pour commettre <«< un vol, aura enlevé ou déplacé des bornes servant de << séparation aux propriétés. »

En ce cas, le délit devient un crime, et la peine correctionnelle se change en une peine afflictive et infamante (1).

111. Mais il faut, pour que l'art. 389 soit applicable, que le déplacement de bornes ait eu lieu bien évidemment, pour commettre le vol.

D'un autre côté, il faut attacher au mot bornes son acception la plus étroite; la loi n'y comprend pas ici, comme dans l'art. 456 du même Code tout ce qui peut servir à séparer les propriétés, c'est-à-dire, « les pierres, <«< arbres, haies, piliers, fossés et autres choses plantées <«< ou faites à cette fin (2); » elle ne veut parler que des pierres enfoncées dans le sol et destinées à marquer les limites respectives des terrains de chacun. « Il y avait, dit << M. Carnot, un motif puissant de restreindre la disposi<«<tion de l'art. 389 aux simples bornes, leur enlèvement «ne devant laisser aucune trace lorsque la destruction « des autres limites en laisse nécessairement de faciles à << reconnaître; il peut, d'une autre part, s'élever des con<<< testations assez sérieuses sur le point de savoir si les << autres marques auraient dû nécessairement servir de <«< limites, lorsque les bornes en font foi par elles« mêmes (3). >>

(1) Voir no 187.

(2) Jousse, Traité de la Justice criminelle, t. III, p. 338.
(3) Commentaire sur le Code pénal, t. II, p. 326. Voir no 188.

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