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avait établi un autre Dieu comme chef de tous les esprits célestes; que ce second Dieu, qu'ils appelaient conducteur, est une sagesse qui transforme et convertit en elle toutes les intelligences (1). « II « est manifeste, dit Ramsay, que les Égyptiens admettaient un seul principe et un Dieu mitoyen, semblable au Mithra des Perses. L'idée d'un esprit préposé par la Divinité suprême pour être le << chef et le conducteur de tous les esprits est très-ancienne (2). » Au rapport de Plutarque (3), le Mithra des Perses était le médiateur entre le bon principe auteur du bien, et le mauvais principe auteur du mal. Parmi les differents Hermès révérés en Égypte, il y en avait un que les Chaldéens appelaient le Sauveur des hommes (4). Les Sabéens, divisés en plusieurs sectes, reconnaissaient tous la nécessité de quelque médiateur entre l'homme et la Divinité (5). C'était aussi la croyance des Arabes : fondés sur une tradition antique, ils attendaient un libérateur qui devait venir pour sauver les peuples (6). Une ancienne croyance de la Chine était qu'au culte des idoles, qui avait corrompu la religion primitive, succéderait la dernière religion, celle qui devait durer jusqu'à la destruction du monde (7). Il est parlé dans l'Edda, qui est la théologie des anciens peuples du Nord, d'un premier-né du Dieu suprême, comme d'une divinité moyenne, d'un médiateur entre Dieu et l'homme, qui devait combattre avec la mort, et écraser la tête du grand serpent (8). 589. Les Grecs et les Romains étaient dans la même attente. Dans le Second Alcibiade de Platon, Socrate, après avoir montré que Dieu n'a point d'égard à la multiplicité et à la magnificence des sacrifices, mais qu'il regarde uniquement la disposition du cœur de celui qui les offre, n'ose pas entreprendre d'expliquer quelles sont ces dispositions, et ce qu'il faut demander à Dieu. « Il serait à « craindre, dit-il, qu'on se trompât en demandant à Dieu de véri« tables maux qu'on prendrait pour des biens. Il faut donc attendre, « jusqu'à ce que quelqu'un nous enseigne quels doivent être nog << sentiments envers Dieu et envers les hommes. Alcibiade. Quel « sera ce maître, et quand viendra-t-il? Je verrai avec une grande joie cet homme, quel qu'il soit. Socrate. C'est celui à qui dès « à présent vous êtes cher; mais pour le connaitre il faut que les ténèbres qui offusquent votre esprit, et qui vous empêchent de dis

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(1) Jamblique, De mysteriis Ægyptiorum. — (2) Discours sur la mythologie. (3) Liv. sur Isis et Osiride. (4) Herbelot, Bibliothèque orientale, art.

Hermès. — (5) Brucker, Historia critica philosophiæ.

- (6) Boulainvilliers,

Vie de Mahomet, liv. 11. — (7) De Guignes, Mémoires de l'Académie des inscriptions, tom LXV. -(8) Fabul. x1, xxv et xxvu.

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cerner clairement le bien du mal, soient dissipées, de même que Minerve, dans Homère, ouvre les yeux de Diomède pour lui faire distinguer le dieu caché sous la figure d'un homme. Alcibiade. « Qu'il dissipe donc cette nuée épaisse; car je suis prêt à faire tout « ce qu'il m'ordonnera pour devenir meilleur. — Socrate. Je vous « le dis encore, celui dont nous parlons désire infiniment votre « bien. — Alcibiade. Alors il me semble que je ferai mieux de a remettre mon sacrifice jusqu'au temps de sa venue. Socrate.

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« Certainement cela est plus sûr que de vous exposer à déplaire à « Dieu. Alcibiade. Eh bien! nous offrirons des couronnes et les « dons que la loi prescrit, lorsque je verrai ce jour désiré; et j'espère de la bonté des dieux qu'il ne tardera pas à venir. » On voit, par ce dialogue, que l'attente d'un docteur universel du genre humain était, au temps de Platon, un dogme reçu, qui ne souffrait point de contradiction (1).

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590. Virgile, rappelant les anciens oracles, célèbre le retour de la Vierge, la naissance du grand ordre que doit établir le fils de Dieu descendu du ciel. « La grande époque s'avance; tous les vestiges du crime étant effacés, la terre sera pour jamais délivrée de la crainte. L'enfant divin qui doit régner sur le monde pacifié recevra pour premiers présents les simples fruits de la terre, et le serpent expirera près de son berceau (2). » Quelque temps après, Suétone (3) et Tacite (4) nous montrent << tous les peuples de a l'Orient les yeux fixés sur la Judée, d'où, disaient-ils, une anti« que et constante tradition annonçait que devait sortir en ce temps-là le dominateur du monde.

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Une tradition aussi répandue tant en Occident qu'en Orient, et dont on ne peut d'ailleurs assigner l'origine, remonte nécessairement au temps où les hommes ne formaient qu'un peuple, une seule famille; l'attente du genre humain relativement à un libérateur est donc fondée sur la promesse que Dieu en a faite à nos premiers parents.

(1) Voyez Fabbé Faucher, Mémoires de l'Académie des inscriptions; tom. LXXI. (2) Eglog. iv. (3) In Vespasianum. (4) Hist., lib. v, n° xшI.

CHAPITRE VII.

De la croyance générale sur l'existence d'une autre vie.

591. La croyance de l'immortalité de l'âme remonte jusqu'au premier âge du monde; elle est aussi ancienne que la religion. Partout où l'on découvre un culte religieux, on trouve en même temps le dogme de l'existence d'un Dieu vengeur du crime et rémunérateur de la vertu, avec l'existence d'une autre vie pour l'homme et l'immortalité de l'âme. Bolingbroke, auteur non suspect, avoue que « la doctrine de l'immortalité de l'âme et d'un « état futur de récompenses et de châtiments paraît se perdre dans les ténèbres de l'antiquité : elle précède, dit-il, tout ce que nous « savons de certain. Dès que nous commençons à débrouiller le «< chaos de l'histoire ancienne, nous trouvons cette croyance, de « la manière la plus solide, dans l'esprit des premières nations que « nous connaissions (1). »

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En effet, l'immortalité de l'àme a toujours été un dogme fondamental de la religion chez les chrétiens, les Hébreux et les patriarches. On trouve la même croyance chez les autres peuples, même chez les peuples les plus barbares. Les Scythes, les Indiens, les Gaulois, les Germains et les Bretons, aussi bien que les Grecs et les Romains, croyaient que les hommes passent de cette vie à une autre, et que les âmes sont immortelles (2). Timée le pythagoricien félicite Homère d'avoir consacré dans ses poëmes le souvenir de cette croyance antique des nations (3).

592. Socrate, dans Platon, s'attache à prouver l'immortalité de l'âme par des raisonnements philosophiques; mais il ne prétend pas être l'inventeur de cette doctrine; il en parle comme d'une tradition ancienne et respectable; il dit dans le Phédon : « J'espère « qu'il y aura encore quelque chose après la mort, et que, comme «on le dit depuis longtemps, la vie future sera meilleure pour les hommes vertueux que pour les méchants (4). » Platon pensait comme son maitre : « On doit croire aux opinions anciennes et

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(1) OEuvres de Bolingbroke, tom. v. Voyez Leland, Nouv.démonstration évangélique, part. m, c. n. — · (2) Ibidem — (3) Traité de l'âme du monde. -(4) Phédon de Platon.

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sacrées qui enseignent que l'âme est immortelle, et qu'après cette « vie elle sera jugée et punie sévèrement, si elle n'a pas vécu «< comme il convient à un être raisonnable (1). » Aristote, cité par Plutarque, parle du bonheur des hommes après cette vie, comme d'une opinion dont on ne peut assigner ni l'origine ni l'auteur, et qui vient d'une tradition qui se perd dans l'obscurité des âges les plus reculés (2). Suivant Cicéron, « l'immortalité de l'âme a « été soutenue par des savants de la plus grande autorité, ce qui est « d'un grand poids en quelque cause que ce soit; c'est une opi« nion commune à tous les anciens, à ceux qui, approchant de « plus près des dieux par l'ancienneté de leur origine, étaient « d'autant plus en état de connaître la vérité 3). » Il prouve d'ailleurs l'immortalité de l'âme par le consentement de toutes les nations (4); et Sénèque, prouvant le même dogme, s'appuie sur le même raisonnement (5).

593. Si nous passons des philosophes aux poëtes, qui étaient les théologiens du peuple, nous les entendons tenir un langage uniforme sur l'existence d'une vie future, sur les récompenses des bons et les châtiments des méchants. Homère et Virgile nous en ont laissé la description, où l'on trouve, avec la croyance des anciens, les fables et les superstitions de l'idolatrie (6). D'ailleurs, le respect pour les tombeaux, les honneurs rendus aux morts, l'apothéose de ceux qui s'étaient distingués par leurs vertus ou leurs services envers la patrie, sont autant de preuves bien frappantes de la croyance de l'antiquité au dogme de l'immortalité.

591. Et cette croyance s'est transmise aux peuples modernes : lorsque les voyageurs européens ont découvert l'Amérique et d'autres pays lointains, ils n'ont trouvé aucune nation qui fùt privée de la notion d'un état à venir. « Les histoires anciennes « et modernes, comme l'a remarqué Bossuet, font foi que cette « idée de vie immortelle se trouve confusément dans toutes les <«< nations qui ne sont pas tout à fait brutes (7). » Il est vrai que la tradition primitive s'étant altérée chez les Gentils, tous les peuples n'ont pas eu des notions également justes et précises sur le dogme de l'immortalité de l'âme mais que les uns croient à la métempsycose, que les autres croient à la refusion des âmes dans l'âme universelle du monde, qu'ils placent les ombres des morts

(1) Lettre vi. — (2) Plutarque, De consol. ad Apollonium. (3) Tuscul., lib. 1, c. XII. — (4) De legibus, lib. 1. (5) Lettre cxvII. - · (6) Voyez Leland, Nouv. démonst. évangél., part. 1, c. n. Dieu et de soi-même, part. in, etc.

(7) Traité de la connaissance de

dans les nuages ou leurs mânes dans les enfers; toujours est-il que tous croient que l'âme survit au corps, et qu'elle trouve, au delà du trépas, une existence nouvelle, heureuse ou malheureuse, suivant qu'elle a bien ou mal joui de la vie sur la terre (1). Telle est la croyance du genre humain.

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595. Une croyance aussi générale et aussi constante remonte à l'origine du monde : « Elle faisait partie de la religion primitive, communiquée par une révélation expresse de Dieu aux premiers parents, afin qu'ils la transmissent à leur postérité. C'est la pensée de Grotius, qui dit que la tradition de l'immortalité de l'âme passa de nos premiers pères aux nations les plus civilisées : quæ antiquissima traditio a primis (unde enim alioqui?) parentibus ad populos moratiores pene omnes manavit (2). Il « est en effet difficile de concevoir que dans ces premiers âges, « où les hommes grossiers et ignorants étaient incapables de faire des raisonnements abstraits et subtils, ils fussent parvenus euxmêmes à se former des notions de la nature d'un être imma«tériel qui devait survivre à la mort du corps, et continuer de « penser après la destruction des organes corporels (3). » Les patriarches n'étaient pas philosophes; il faut que Dieu leur ait révélé le dogme de la vie future, puisqu'ils l'ont connu (4).

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596. On voit, par ce qui vient d'être dit dans la troisième partie de ce traité, que la religion des anciens comprenait le dogme de l'unité de Dieu, une Providence qui gouverne le monde, la croyance aux bons et aux mauvais anges, la chute de l'homme et la disgrâce du genre humain, l'attente d'un médiateur qui devait réconcilier le ciel avec la terre, et l'immortalité de l'âme. Parcourez les nations, remontez aux premiers âges du monde; vous trouverez partout des vestiges, des fragments, pour ainsi dire, des principaux dogmes de la religion. Or, cet accord général et constant de tous les peuples ne peut s'expliquer que par une tradition antérieure à la dispersion des hommes et à la fondation des empires. Et cette tradition suppose nécessairement une révélation primitive, extérieure et surnaturelle. Un système de religion où tout se lie, et qui rend raison de tout, du monde physique comme du monde moral, n'a pu être l'ouvrage de l'homme, si on le suppose privé de tout com

(1) M. Laurentie, Introduction à la philosophie, c. IV, § 11; Leland, Nouv. démonst. évangél., tom. iv, ch. 11. (2) De veritate religionis christianæ, lib. 1, c. xx. (3) Leland, Nouv. démonstration évangél., tom. iv, c. II. — (4) Bergier, Traité de la vraie religion, tom. ш, pag. 218, édit. de 1780.

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