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« donc pourrait croire qu'une si grande sottise, une si grande folie soit jamais entrée dans notre esprit? Les cardinaux aussi, << dans une lettre écrite d'Anagni aux ducs, comtes et nobles du « royaume de France, justifièrent le pape en ces termes : Nous « voulons que vous teniez pour certain que le souverain pontife « notre seigneur n'a jamais écrit audit roi qu'il dút lui être sou« mis temporellement à raison de son royaume, ni le tenir de « lui (1). »

1205. Gerson, qu'on n'accusera pas d'avoir exagéré les droits de la puissance pontificale, s'était exprimé dans le même sens. Voici ses paroles : « On ne doit pas dire que les rois et les princes « tiennent du pape et de l'Église leurs terres ou leurs héritages, ⚫ de sorte que le pape ait sur eux une autorité civile et juridique, « comme quelques-uns accusent faussement Boniface VIII de l'a« voir pensé. Cependant tous les hommes, princes et autres, sont « soumis au pape en tant qu'ils voudraient abuser de leur juri« diction, de leur temporel et de leur souveraineté contre la loi « divine et naturelle; et cette puissance supérieure du pape peut « être appelée directive et régulatrice, plutôt que civile et juridique ; « et potest superioritas illa nominari potestas directiva et ordi« nativa potius quam civilis vel juridica (2). »

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1206. En effet, comme le dit encore Fénelon, « c'était chez les « nations catholiques un principe reçu et profondément gravé dans « les esprits, que le pouvoir suprême ne pouvait être confié qu'à << un prince catholique; et que c'était une loi ou une condition du « contrat (tacite) entre les peuples et le prince, que les peuples « n'obéiraient au prince qu'autant que le prince obéirait lui-même « à la religion catholique. En vertu de cette loi, tous pensaient « que la nation était déliée du serment de fidélité, lorsque, au « mépris de ce pacte, le prince se tournait contre la religion (3). › Toutefois, dans la crainte de se faire illusion, voulant d'ailleurs prévenir la guerre civile et les malheurs qui en sont la suite, les peuples recouraient au pape, l'interprète né du serment, qui est un acte de religion, et des pactes considérés dans leurs rapports avec la morale et la conscience. « Ainsi, ajoute l'immortel archevêque de Cambrai, l'Église ne destituait point et n'instituait point les princes laïques; elle répondait seulement aux peuples qui la consultaient sur ce qui touche la conscience, à raison du

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(1) De summi pontificis auctoritate, c. xxvII. - (2) Sermo de pace et unione Græcorum, consid. v. (3) De summi pontificis auctoritate, c. xxix.

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« contrat et du serment: Itaque Ecclesia neque destituebat neque « instituebat laïcos principes, sed tantum consulentibus gentibus respondebat quid ratione contractus et sacramenti consciena tiam attineret (1). » Rapportant ensuite l'exemple du premier concile général de Lyon sur ces paroles d'Innocent IV, qui déclare l'empereur Frédéric II déchu de l'empire, Nous déclarons tous ceux qui lui sont liés par le serment de fidélité, etc.; le même prélat ajoute que c'est comme si le pape avait dit : Nous déclarons l'empereur indigne, à cause de ses crimes et de son impiété, de gouverner des peuples catholiques (2). Et c'est, en effet, ce que pape a dit lui-même : « Propter suas iniquitates a Deo ne regnet « vel imperet est abjectus; suis ligatum peccatis et abjectum, omnique honore vel dignitate privatum a Domino ostendimus, « denuntiamus, ac nihilominus sententiando pronuntiamus (3). » 1207. Enfin, le premier des quatre articles se termine par la déclaration que la doctrine qu'il exprime est nécessaire pour la tranquillité publique, et non moins avantageuse à l'Église qu'à l'État, et qu'elle doit être inviolablement suivie comme conforme à la parole de Dieu, à la tradition des saints Pères, et aux exemples des saints. A part l'anathème, dont on a cru devoir s'abstenir, il était difficile de condamner d'une manière plus expresse, nonseulement le sentiment des docteurs qui ne pensaient point comme les auteurs de la déclaration, mais encore les actes des papes et des conciles, qui ont cru que les peuples pouvaient être déliés du serment de fidélité à l'égard des princes, soit lorsque ceux-ci abusaient du pouvoir, soit lorsque le bien général d'une nation réclamait impérieusement un changement de dynastie ou de gou

vernement.

1208. On dit que la doctrine contenue dans le premier article est nécessaire à la tranquillité publique et au bien de l'État; mais, de deux choses l'une ou le pouvoir suprême une fois acquis est inamissible, ou il ne l'est pas. La première hypothèse, quoique soutenue par les auteurs gallicans, est évidemment insoutenable; elle est anti-sociale, absurde, révoltante. Non, l'on n'admettra jamais qu'un prince, quel qu'il soit, puisse impunément user et abuser des biens et de la vie de ses sujets. Dans le second cas, qui prononcera sur les différends qui pourront s'élever entre le peuple et les dépositaires du pouvoir? La force sans doute. Mais que n'at-on pas à craindre du prince ou du peuple, lorsque le prince ou

(1) Ibidem. — (2) Ibidem, c. xxxix.

·(3) Labbe, tom. xi, col. 645.

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le peuple ne règne qu'au nom de la loi du plus fort? Et, pour ce qui regarde les rois, pouvaient-ils sérieusement croire leurs couronnes en danger, parce que le Vicaire de Jésus-Christ leur rappelait leurs devoirs et leurs serments? Il n'y a pas de milieu: ou il fallait qu'ils fussent, dans l'exercice de leur pouvoir, absolument indépendants, ce qui ne convient, après Dieu, qu'à l'Église, parce que seule elle a des promesses de Dieu même ; ou il fallait qu'en renonçant à l'intervention du pouvoir spirituel du pape, ils dépendissent de leurs sujets. Mais alors qu'arrive-t-il ? Bossuet, celui même qui a rédigé l'article en question, va nous l'apprendre. « On montre, plus clair << que le jour, dit-il, que s'il fallait comparer les deux sentiments, celui qui soumet le temporel des souverains au pape (dans le sens « dont nous venons de parler), et celui qui le soumet au peuple, <«< ce dernier parti, où la fureur, ou le caprice, ou l'ignorance et « l'emportement dominent le plus, serait aussi, sans hésiter, le

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plus à craindre. L'expérience a fait voir la vérité de ce sentiment, « et notre âge seul a montré, parmi ceux qui ont abandonné les « souverains aux cruelles bizarreries de la multitude, plus d'exema ples et plus tragiques contre la personne des rois, qu'on n'en «< trouve, durant six à sept cents ans, parmi les peuples qui, en «< ce point, ont reconnu le pouvoir de Rome. » Nous ne citons ce passage de Bossuet que pour montrer que, vu l'impossibilité qu'il y a d'admettre l'indépendance absolue des souverains, ou de ceux qui gouvernent, il n'y avait pas de raison, ni pour Louis XIV, de provoquer la déclaration de 1682, ni pour les évêques de France, de lui accorder ce qu'il demandait.

§ III. Observations sur le deuxième article de la déclaration de 1682.

1209. Suivant cet article, la pleine puissance du siége apostolique et des successeurs de saint Pierre est telle, que les décrets de la Ive et ve session du concile de Constance, approuvés par le saint-siége et confirmés par la pratique des pontifes romains et de toute l'Église, conservent toute leur force; et l'Église de France n'approuve pas ceux qui portent atteinte à ses décrets, en disant qu'ils sont d'une autorité douteuse, ou qu'ils ne regardent que le temps de schisme. Ainsi, d'après le second article, un concile général serait supérieur au pape. Mais comment concilier cette proposition avec l'Évangile, qui nous représente saint Pierre comme le fondement de l'Eglise de Jésus-Christ? Ce n'est

pas l'édifice qui soutient le fondement, mais bien le fondement qui soutient l'édifice. Comment la concilier, soit avec les clefs du pouvoir souverain qui n'a été donné qu'à saint Pierre, soit avec l'ordre que saint Pierre a reçu de Notre-Seigneur, de paître les agneaux et les brebis, c'est-à-dire tout le troupeau, et d'affermir ses frères, les apôtres mêmes, dans la foi? Est-il naturel que le pasteur soit au-dessous du troupeau qui lui est confié, ou que ceux qui ont besoin d'être affermis dans la foi soient au-dessus de celui qui est à leur tête? Comment la concilier avec les titres que les Pères, les souverains pontifes, les conciles même œcuméniques, donnent à saint Pierre et à ses successeurs? Saint Pierre est appelé le prince des apótres, et le pape le prince des évêques, le père et le docteur de tous les chrétiens, le chef, la tête de toutes les Eglises, de l'Eglise catholique. Or, est-ce au corps à commander au chef, ou au chef à commander à tout le corps? Le pape est le vicaire de Jésus-Christ, le représentant de Jésus-Christ. Or, les évêques ne sont-ils pas obligés d'obéir à celui qui tient parmi eux la place de Jésus-Christ, comme à Jésus-Christ luimême? Aux termes du deuxième concile général de Lyon, le pape a une primauté suprême et entière avec la souveraineté, et la plénitude de puissance sur tout l'univers. Toutes les Églises lui sont soumises, et les évéques de toutes les Églises lui doivent respect et obéissance. La prérogative de l'Église romaine ne peut étre violée ni dans les conciles généraux, ni dans les autres conciles (1). Le concile de Florence n'est pas moins exprès ; il a défini que le pontife romain a reçu de Jésus-Christ, dans la personne de saint Pierre, une pleine puissance pour paître, régir et gouverner l'Église universelle (2). De quel droit donc l'assemblée du clergé de 1682, convoquée et agissant par ordre de Louis XIV, vient-elle déclarer que la puissance pleine, entière et souveraine du pape est subordonnée à l'autorité du concile général, c'est-àdire que cette puissance n'est point une puissance pleine, entière et souveraine? Comment concilier le second article, soit avec ce que dit le pape Gélase lorsqu'il écrivait à Faustus, que les canons consacrent dans toute l'Église les appels au siége apostolique en même temps qu'ils défendent d'appeler de ce méme siége; qu'étant lui-même juge de toute l'Église, il n'est soumis à aucun jugement, et que ses sentences ne peuvent être réformées (3); soit avec la lettre de Nicolas Ier à l'empereur Michel, dans laquelle il (1) Voyez, ci-dessus, le n° 1158. (2) Voyez, ci-dessus, le n° 1159.—(3) Ipsi sunt canones, qui appellationes totius Ecclesiæ ad hujus sedis examen voluere

enseigne que les jugements du saint-siége sont irréformables (1); soit avec celle de saint Avite, qui disait, au nom des évêques des Gaules, au sujet de la persécution suscitée au pape Symmaque, qu'on ne conçoit pas facilement pour quelle raison ou en vertu de quelle loi un supérieur serait jugé par un inférieur (2); soit avec l'opinion et la conduite des évêques du concile de Rome, au nombre de soixante-seize, qui refusèrent de juger Symmaque, ajoutant que l'évêque de cette ville n'est point soumis au jugement des autres évêques, qui sont ses subalternes (3)? Que répondront enfin les gallicans à ce que dit Léon X, conjointement avec le cinquième concile général de Latran, sacro approbante concilio, savoir, que le pontife romain seul a autorité sur tous les conciles, auctoritatem super omnia concilia, ayant le plein droit et pouvoir de les convoquer, de les transférer et de les dissoudre, conciliorum indicendorum, transferendorum ac dissolvendorum plenum jus et potestatem habere (4)?

1210. On prétend que les décrets de la iv et vR session du concile de Constance ont été approuvés par le saint-siege apostolique. Mais cela n'est point certain. La bulle par laquelle Martin V a confirmé les actes de ce concile ne parle que de la condamnation des crreurs de Wiclef, de Jean Hus et de Jérôme de Prague. Il est vrai que ce pape a déclaré verbalement qu'il approuvait et ratifiait tout ce qui s'était fait à Constance, conciliairement, conciliariter, en matière de foi, in materia fidei. Mais comment prouver que cette formule comprend les décrets dont nous parlons? Le pape approuve ce qui a été décrété conciliairement, conciliariter facta, et non autrement, ou d'une autre manière, et non aliter nec alio modo. Il n'approuve que ce qui a été décrété en matière de foi, in materia fidei. Or, ne peut-on pas dire que les décrets de la iv et ve session n'ont point été portés conciliariter, vu que le concile n'était

defcrri. Ab ipsa vero nusquam prorsus appellari debere sanxerunt; ac per hoc illam de tota Ecclesia judicare, ipsam ad nullius commeare judicium, nec de ejus unquam præceperunt judicio judicari, sententiamque illius constituerunt non oportere dissolvi cujus potius decreta sequenda mandarunt. Lettre iv. Labbe, tom. IV, col. 1169, etc.— (1) Patet profecto sedis apostolicæ, cujus auctoritate major non est, judicium a nemine fore retractandum, neque cuiquam de ejus liceat judicare judicio; siquidem ad illam de qualibet mundi parte canones appellari voluerunt, ab illa autem nemo sit appellare permissus. Labbe, tom. VIII, col. 319. — (2) Non facile datur intelligi qua ratione vel lege ab inferioribus eminentior judicetur. Ibidem, tom. iv, col. 1363. - (3) Scientes nec ante dicta sedis Antistitem minorum subjacere judicio. Ibidem, col. 1323. (4) Voyez, ci-dessus, le n° 1160.

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