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« ait présidé à la confection de ce roman, pourquoi les Juifs se « sont-ils interdit tout commerce avec les étrangers, et leur ont-ils « dérobé si longtemps la connaissance de leurs livres et de leur • religion? Pourquoi a-t-on mêlé à cette histoire un si grand nom«bre de faits capables de déshonorer la nation juive et ses ancêtres? « Quelle gloire la famille d'Aaron et la tribu de Ruben pouvaient« elles se promettre des crimes et du supplice de Nadab, d'Abiu, « de Dathan et d'Abiron? Et l'adoration du veau d'or, et les mur« mures continuels des Israélites, et les reproches amers du légis«lateur, et l'arrêt qui condamne toute cette génération à errer pendant quarante ans et à périr dans le désert, sans pouvoir en<< trer dans la terre promise, sont-ce là des traits destinés à conci«lier aux Hébreux l'estime des autres peuples (1) ? » Évidemment on doit rejeter comme absurde la supposition d'un complot entre le peuple juif et son législateur, tendant à tromper la postérité.

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Résumons: Moyse n'a pu se tromper sur les faits qu'il rapporte dans la seconde partie du Pentateuque; il n'a pas voulu tromper les Israélites; il n'aurait pas pu les tromper quand même il l'aurait voulu: donc les faits et les miracles dont il nous a fait le récit sont vrais, certains, incontestables.

169. Cette conclusion se trouve confirmée par des institutions, des monuments qui rendent l'histoire de Moyse sensible à tous les yeux. La fête de Pâques, celles de la Pentecôte et des Tabernacles; l'usage de racheter les premiers-nés; les cantiques sacrés en usage chez les Hébreux, tel que celui où Moyse célèbre le passage de la mer Rouge; le vase plein de manne et la verge miraculeuse d'Aaron, déposés dans le Tabernacle; les deux Tables de la loi, placées dans l'Arche d'alliance; les lames d'airain, attachées à l'autel comme un mémorial du crime et de la mort des lévites téméraires qui avaient voulu usurper le sacerdoce; une foule de rites et de cérémonies publiques, tout cela rappelait aux Juifs et leur rendait comme présents les prodiges qui avaient signalé leur sortie d'Egypte, la promulgation de la loi, et le séjour de la nation dans le désert. « Il y a, en quelque sorte, deux histoires de Moyse: l'une « qui est écrite dans les livres qui portent son nom, l'autre qui est « comme gravée dans les cérémonies et dans les lois observées par << les Juifs, dont la pratique était une preuve vivante du livre qui

(1) Duvoisin, l'Autorité des livres de Moyse, part. 1. ch. шu. Voyez aussi le Discours sur les preuves des livres de Moyse, imprimé à la suite des Pensées de Pascal; la Défense du Christianisme, par l'évêque d'Hermopolis; conf. sur le Pentateuque; Bergier, etc.

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« les ordonnait, et même de ce qu'il contient de plus merveil« leux (1). » Sans doute les monuments, s'ils sont de beaucoup postérieurs aux événements, ne sont pas toujours par eux-mêmes une preuve décisive; mais lorsque, dans une nation, son histoire, ses traditions orales, ses fêtes religieuses et civiles, ses institutions, remontent à la même époque, au même temps où les faits se sont accomplis, comment n'être pas frappé de leur accord, et ne pas convenir que cet ensemble parfait a sur tout esprit raisonnable une force invincible?

§ II. De la vérité des faits rapportés dans la Genèse.

170. L'histoire des Hébreux, depuis leur sortie d'Égypte jusqu'à leur entrée dans la terre promise, est digne de foi : Moyse est donc l'envoyé de Dieu. De l'aveu de tous, cette histoire, une fois admise comme véritable, nous offre les preuves les plus frappantes de la divinité de sa mission; ce législateur se présente de la part de Dieu, il parle et agit au nom de Dieu, et donne pour lettres de créance les miracles qu'il fait au nom de Dieu. Aussi a-t-il toujours été regardé chez les Juifs comme l'envoyé de Dieu, comme un législateur inspiré de Dieu, comme un auteur sacré. Or, ce même Moyse est l'auteur de la Genèse comme des autres livres du Pentateuque; c'est celui-là même dont l'inspiration divine est si bien établie, qui a écrit l'histoire de la création, du déluge et des patriarches: donc les faits rapportés dans l'histoire de la Genèse sont vrais; Dieu ne saurait permettre que celui qui commande à la nature en son nom enseigne l'erreur: autrement l'erreur retomberait sur Dieu même.

171. Cependant il ne faut pas croire que le législateur des Juifs ait manqué de moyens humains pour composer l'histoire de la Genèse. Les traditions du genre humain conservées par les patriarches, les monuments, les cantiques, qui étaient en usage chez les Hébreux comme chez les autres peuples, et vraisemblablement les mémoires écrits dans les premiers temps, ont pu l'instruire des faits passés, sans qu'il eût besoin d'une révélation particulière et immédiate de la part de Dieu, pour tout ce qu'il raconte dans cette première partie du Pentateuque. « Voilà, dit Bossuet, les moyens << dont Dieu s'est servi pour conserver jusqu'à Moyse la mémoire « des choses passées. Le grand homme, instruit par tous ces moyens, « et élevé au-dessus par le Saint-Esprit, a écrit les œuvres de Dieu

(1) Bossuet, Discours sur l'hist. univ., part. 11, no шi.

« avec une exactitude et une simplicité qui attire la croyance, non « pas à lui, mais à Dieu même (1). » Pour recueillir l'histoire des siècles passés, celle d'Adam, celle de Noé, celle d'Abraham, celle d'Isaac, celle de Jacob et celle de Joseph, il ne lui fallut pas déterrer de loin toutes les traditions de ses ancêtres. Il naquit cent ans après la mort de Jacob. Les vieillards de son temps avaient pu converser avec ce patriarche; la mémoire de Joseph et des merveilles que Dieu avait faites par ce grand ministre du roi d'Égypte était encore récente. La vie de trois ou quatre hommes remontait jusqu'à Noé, qui avait vu les enfants d'Adam, et touchait, pour ainsi dire, à l'origine des choses.

172. D'ailleurs, les traditions primitives, répandues parmi les anciens peuples, se trouvent d'accord avec la narration de Moyse sur les principaux faits de l'histoire de la Genèse, savoir sur la formation du monde, sur la création de l'homme, son innocence et sa félicité dans le paradis terrestre, sa chute et sa dégradation, sur la longévité des patriarches, sur le déluge et la renaissance du monde par les trois enfants de Noé, sur la tour de Babel, la confusion des langues et la dispersion des hommes. Ces faits, ainsi que plusieurs autres, quoique plus ou moins altérés, sont rapportés par les anciens auteurs profanes, et on en trouve des vestiges chez toutes les nations.

173. Selon la Genèse, Dieu créa le ciel et la terre : la terre était toute nue, inanis et vacua; les ténèbres couvraient la face de l'abîme d'eau, où la terre était comme absorbée. L'Esprit de Dieu, c'est-à-dire, suivant plusieurs interprètes, le souffle de Dieu, un vent violent était porté sur les eaux, les disposant à produire les êtres qui en devaient sortir. Le verbe hébreu marque l'action d'un oiseau qui couve ses œufs. On y voit aussi que la terre et la mer produisirent les animaux. Or nous trouvons les vestiges de ce récit dans les fragments qui nous restent des plus anciens historiens. Sanchoniaton, auteur phénicien, antérieur à la ruine de Troie, parle du chaos ou d'un air ténébreux qui a précédé la naissance du monde. Il nous montre ensuite une essence spirituelle, éternelle, donnant la forme et le mouvement à la matière. Il dit que l'univers était alors dans le limon comme dans un œuf; ce qui se rapporte bien à ce que dit Moyse, lorsqu'il nous représente l'action de l'Esprit de Dieu sur la matière par l'idée d'un oiseau qui s'excite à la production. Macrobe dans ses Saturnales, Linus et Anaxagore nous

(1) Ibid.

donnent le même emblème de l'origine du monde. Les Égyptiens, suivant Diogène Laërce et Diodore de Sicile, pensaient que le monde, à sa naissance, n'offrait qu'une masse confuse, un chaos d'où les éléments ont été tirés par voie de séparation, et d'où les animaux ont été formés. Ils avaient aussi connaissance d'un grand mouvement imprimé à l'air, et semblable à celui dont parle Moyse. Hésiode, Euripide, Épicharme, Aristophane, Ovide, nous représentent le monde, à son origine, comme un chaos duquel l'Esprit créateur a tiré toutes choses.

174. La séparation de l'eau et de la terre, dont il est parlé dans le premier chapitre de la Genèse, est mentionnée dans Anaximandre et dans Phérécide, qui avait tiré cette tradition des Syriens. Anaxagore et Linus enseignent qu'au commencement tout était mêlé et confus, mais que l'Esprit avait tout arrangé. Numénius, cité par Porphyre, parle de l'Esprit de Dieu, du vent qui agissait sur les eaux. Pythagore, Thalès, Platon, Zénon, Cléanthe, Chrysippe, Posidonius, Sénèque, Chalcide, ont reconnu, sinon la création proprement dite, du moins une intelligence suprême, comme principe de l'ordre qui existe dans l'univers. Au rapport de Mégasthènes, les Indiens croyaient que l'eau avait produit les animaux, et que Dieu gouvernait toutes choses. Cette idée, assez généralement répandue, sur l'eau considérée comme l'élément premier d'où les êtres animés auraient été originairement tirés, émane visiblement de ce qui est rapporté par Moyse sur la création. Nous ferons remarquer aussi, d'après Shuckford, que le chaos, chez les anciens auteurs, pouvait s'appeler eau, du mot grec xéo, qui signifie verser, répandre; et qu'ainsi l'on se méprend peut-être lorsqu'on fait dire à Homère et à Thalès que l'eau simplement est le principe de toutes choses, tandis qu'ils voulaient dire le chaos; ce qui a encore plus de rapport avec le récit de Moyse. Selon l'Edda ou la théologie islandaise, commune aux anciens peuples du Nord, un être éternel a créé le ciel et la terre en animant par un souffle de chaleur la matière, qui, au commencement des siècles, n'était qu'un vaste abîme, sans forme, sans plantes et sans germes, où tous les éléments étaient confondus. Dans cette description du chaos, l'Edda fait mention de la séparation de la terre d'avec les eaux, de la distinction des jours, des temps et des années.

175. L'auteur du livre de la Genèse parle des ténèbres avant la création de la lumière; il donne le soir et non le matin comme le commencement du jour, et la création du soleil comme postérieure à la lumière. Sanchoniaton, Thalès, Hésiode, enseignent que la

nuit a précédé la lumière. La description qu'Ovide et Aristophane nous ont laissée du chaos, suppose également la lumière postérieure aux ténèbres. L'Érèbe, enfant du Chaos, et dont le nom répond au mot hébreu qui signifie nuit, est placé dans la théologie païenne au rang des premières divinités qui en ont produit d'autres. De là plusieurs nations, comme les Athéniens, les Numides, les Italiens, les Allemands, les Bohémiens, les Polonais et les Gaulois, commençaient la mesure du jour par la nuit, de même que les Hébreux. Cet usage, conforme à la tradition des Phéniciens et des Grecs, s'accorde, comme on le voit, avec l'histoire sacrée.

176. Suivant le même historien, l'homme est le dernier ouvrage du Créateur. Dieu forma son corps avec de la terre, répandit sur son visage un souffle de vie en lui donnant une âme raisonnable; il le fit à son image et ressemblance, et soumit tous les animaux à son empire. Ovide ne parle de la création de l'homme qu'après avoir fait l'énumération des autres créatures; et il dit que le Créateur a formé l'homme avec du limon, qu'il l'a fait à sa ressemblance, et l'a établi maître de tous les animaux. Hésiode, Homère, Callimaque, Euripide, Démocrite, Cicéron, Juvénal et Martial, font mention de la boue qui à servi de matière au corps du premier homme. Euripide s'exprime exactement comme Moyse sur l'origine d'Adam : « Le corps de l'homme, dit-il, a été formé de terre et il retourne en terre; mais son âme doit retourner au ciel. » Horace appelle l'ame humaine une portion de l'Esprit divin, divinæ particulam aura; le mot aura, quoique inexact, ainsi que le mot particula, nous rappelle ce que dit la Genèse Deus inspiravit in faciem ejus spiraculum vitæ. Selon Virgile, c'est une raison, un sens céleste, æthereus sensus. Platon, Cicéron, Pline et Juvénal lui attribuent une origine divine; et Eurisus, philosophe pythagoricien, dit que Dieu s'est pris lui-même pour modèle lorsqu'il donna l'être à l'homme.

177. On lit dans la Genèse que Dieu mit six jours pour la création; qu'il bénit le septième et le sanctifia, voulant qu'il fût, dans la suite, spécialement consacré à son service. L'usage de compter les jours par sept ou par semaine se fait remarquer chez les anciens peuples. De même, non-seulement les Juifs, mais les Égyptiens, les Grecs et les Latins, les Indiens, les Chinois, les Celtes, c'est-àdire, les Germains, les Slaves et les peuples de la Grande-Bretagne, se sont toujours accordés à fêter le septième jour: Josèphe et Philon n'ont pas craint d'avancer que le septième jour était un jour de féte pour tous les peuples du monde.

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