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jours sous la main du Créateur, tiré du néant par sa parole, conservé par sa bonté, gouverné par sa sagesse, puni par sa justice, délivré par sa miséricorde, et toujours assujetti à sa puissance.

Ce n'est pas ici l'univers tel que l'ont conçu les philosophes; formé, selon quelques-uns, par un concours fortuit des premiers corps ; ou qui, selon les plus sages, a fourni sa matière à son auteur; qui par conséquent n'en dépend, ni dans le fond de son être, ni dans son premier état, et qui l'astreint à certaines lois que luimême ne peut violer.

Moïse et nos anciens pères, dont Moïse a recueilli les traditions, nous donnent d'autres pensées. Le Dieu qu'il nous a montré a bien une autre puissance : il peut faire et défaire ainsi qu'il lui plaît ; il donne des lois à la nature, et les renverse quand il veut.

Si pour se faire connaître, dans le temps que la plupart des hommes l'avaient oublié, il a fait des miracles étonnants, et a forcé la nature à sortir de ses lois les plus constantes, il a continué par là à montrer qu'il en était le maître absolu, et que sa volonté est le seul lien qui entretient l'ordre du monde.

C'est justement ce que les hommes avaient oublié : la stabilité d'un si bel ordre ne servait plus qu'à leur persuader que cet ordre avait toujours été, et qu'il était de soi-même; par où ils étaient portés à adorer ou le monde en général, ou les astres, les éléments, et enfin tous ces grands corps qui le composent. Dieu donc a témoigné au genre humain une bonté digne de lui, en renversant dans des occasions éclatantes cet ordre, qui nonseulement ne les frappait plus, parce qu'ils y étaient accoutumés, mais encore qui les portait, tant ils étaient aveuglés, à imaginer hors de Dieu l'éternité et l'indépendance.

L'histoire du peuple de Dieu, attestée par sa propre suite, et par la religion tant de ceux qui l'ont écrite que de ceux qui l'ont conservée avec tant de soin, a gardé comme dans un fidèle registre la mémoire de ces miracles, et nous donne par là l'idée véritable de l'empire suprême de Dieu, maître tout-puissant de ses créatures, soit pour les tenir sujettes aux lois générales qu'il a établies, soit pour leur en donner d'autres quand il juge qu'il est nécessaire de réveiller par quelque coup surprenant le genre humain endormi.

Voilà le Dieu que Moïse nous a proposé dans ses écrits comme le seul qu'il fallait servir; voilà le Dieu que les patriarches ont adoré avant Moïse; en un mot, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; à qui notre père Abraham a bien voulu immoler son fils unique; dont Melchisédech, figure de Jésus-Christ, était le pontife; à qui notre père Noé a sacrifié en sortant de l'arche; que le juste Abel avait reconnu en lui offrant ce qu'il avait de plus précieux; que Seth, donné à Adam à la place d'Abel, avait fait connaître à ses enfants, appelés aussi les enfants de Dieu; qu'Adam même avait montré à ses descendants comme celui des mains duquel il s'était vu récemment sorti, et qui seul pouvait mettre fin aux maux de sa malheureuse postérité.

La belle philosophie que celle qui nous donne des idées si pures de l'auteur de notre être! la belle tradition que celle qui nous conserve la mémoire de ses œuvres magnifiques! Que le peuple de Dieu est saint, puisque, par une suite non interrompue depuis l'origine du monde jusqu'à nos jours, il a toujours conservé une tradition et une philosophie si sainte!

CHAPITRE II.

Abraham et les patriarches.

Mais comme le peuple de Dieu a pris sous le patriarche Abraham une forme plus réglée, il est nécessaire, Monseigneur, de vous arrêter un peu sur ce grand homme.

Il naquit environ trois cent cinquante ans après le déluge, dans un temps où la vie humaine, quoique réduite à des bornes plus étroites, était encore très-longue. Noé ne faisait que de mourir; Sem, son fils aîné, vivait encore; et Abraham a pu passer avec lui presque

toute sa vie.

Représentez-vous donc le monde encore nouveau, et encore pour ainsi dire tout trempé des eaux du déluge, lorsque les hommes, si près de l'origine des choses, n'avaient besoin, pour connaître l'unité de Dieu et le service qui lui était dû, que de la tradition qui s'en était conservée depuis Adam et depuis Noé; tradition d'ailleurs si conforme aux lumières de la raison, qu'il semblait qu'une vérité si claire et si importante ne pût jamais être obscurcie ni oubliée parmi les hommes. Tel est le premier état de la religion, qui dure jusqu'à Abraham, où, pour connaître les grandeurs de Dieu, les hommes n'avaient à consulter que leur raison et leur mémoire.

Mais la raison était faible et corrompue; et à mesure qu'on s'éloignait de l'origine des choses, les hommes brouillaient les idées qu'ils avaient reçues de leurs ancêtres. Les enfants, indociles ou mal-appris, n'en voulaient plus croire leurs grands-pères décrépits, qu'ils ne connaissaient qu'à peine après tant de générations; le sens humain abruti ne pouvait plus s'élever aux

BOSS. HIST. UNIV.

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choses intellectuelles; et les hommes ne voulant plus adorer que ce qu'ils voyaient, l'idolâtrie se répandait par tout l'univers.

L'esprit qui avait trompé le premier homme goûtait alors tout le fruit de sa séduction, et voyait l'effet entier de cette parole: « Vous serez comme des dieux. » Dès le moment qu'il la proféra, il songeait à confondre en l'homme l'idée de Dieu avec celle de la créature, et à diviser un nom dont la majesté consiste à être incommunicable. Son projet lui réussissait. Les hommes, ensevelis dans la chair et dans le sang, avaient pourtant conservé une idée obscure de la puissance divine, qui se soutenait par sa propre force, mais qui, brouillée avec les images venues par leurs sens, leur faisait adorer toutes les choses où il paraissait quelque activité et quelque puissance. Ainsi le soleil et les astres, qui se faisaient sentir de si loin, le feu et les éléments, dont les effets étaient si universels, furent les premiers objets de l'adoration publique. Les grands rois, les grands conquérants qui pouvaient tout sur la terre, et les auteurs des inventions utiles à la vie humaine, eurent bientôt après les honneurs divins. Les hommes portèrent la peine de s'être soumis à leurs sens : les sens décidèrent de tout, et firent, malgré la raison, tous les dieux qu'on adora sur la terre.

Que l'homme parut alors éloigné de sa première institution, et que l'image de Dieu y était gâtée! Dieu pouvait-il l'avoir fait avec ces perverses inclinations qui se déclaraient tous les jours de plus en plus? et cette pente prodigieuse qu'il avait à s'assujettir à toute autre chose qu'à son seigneur naturel, ne montrait-elle pas trop visiblement la main étrangère par laquelle l'œuvre de Dieu avait été si profondément altérée dans l'esprit humain, qu'à peine pouvait-on y en reconnaître quelque

trace? Poussé par cette aveugle impression qui le dominait, il s'enfonçait dans l'idolâtrie, sans que rien le pût retenir. Un si grand mal faisait des progrès étranges. De peur qu'il n'infectât tout le genre humain, et n'éteignit tout à fait la connaissance de Dieu, ce grand Dieu appela d'en haut son serviteur Abraham, dans la famille duquel il voulait établir son culte, et conserver l'ancienne croyance tant de la création de l'univers que de la providence particulière avec laquelle il gouverne les choses humaines.

Abraham a toujours été célèbre dans l'Orient. Ce n'est pas seulement les Hébreux qui le regardent comme leur père : les Iduméens se glorifient de la même origine. Ismaël, fils d'Abraham, est connu parmi les Arabes comme celui d'où ils sont sortis1. La circoncision leur est demeurée comme la marque de leur origine, et ils l'ont reçue de tout temps, non pas au huitième jour, à la manière des Juifs, mais à treize ans, comme l'Écriture nous apprend qu'elle fut donnée à leur père Ismaël 2: coutume qui dure encore parmi les mahométans. D'autres peuples arabes se ressouviennent d'Abraham et de Cétura, et ce sont les mêmes que l'Écriture fait sortir de ce mariage 3. Ce patriarche était Chaldéen; et ces peuples, renommés pour leurs observations astronomiques, ont compté Abraham comme un de leurs plus savants observateurs". Les historiens de Syrie l'ont fait roi de Damas, quoique étranger et venu des environs de Babylone; et ils racontent qu'il quitta le royaume de Damas pour s'établir dans le pays des Chananéens, depuis ap

I Gen., XVI, XVII. 2 Ibid., xvii, 25; Joseph., Ant., lib. 1, cap. 13, al. 12. 3 Ibid., xxv; Alex. Polyh., apud Jos., Ant., lib. 1, cap. 16, al. 15. -4 Beros., Hecat., Eupol., Alex. Polyh. et al. apud Jos., Ant. lib. 1, cap. 8, al. 7; et Euseb., Præp. Ev., lib., Ix, c. 16, 17, 18, 19, 20, etc.

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