Images de page
PDF
ePub

(Affaire d'avril 1834.)

le poste de la Quarantaine est resté au pouvoir des soldats jusqu'au moment où les premiers coups de feu ont été tirés et que les barricades ont été élevées. Ce point est très important. J'ai vécu à Lyon, je sais ce qui s'y est passé, et je crois que le poste de la Quarantaine a tenu jusqu'au moment où les premières hostilités ont commencé. Je voudrais que le témoin dît à la Cour si les rapports ont été précis à cet égard.

M. le général Aymard. Les rapports ont été très précis. Tous les postes ont été désarmés avant le commencement des hostilités. Tels sont les rapports que j'ai reçus.

Mo JULES FAVRE. M. le général Aymard a-t-il su, par ses rapports, comment les barricades ont été construites sur la place Saint-Jean? A quelle heure le feu se serait engagé sur cette place? Car si les rapports qui ont été faits sont fidèles, il eût peut-être été facile à la troupe de détruire les barricades à mesure qu'elles se faisaient. L'archevêché était antérieurement rempli de troupes, il y en avait sur le parvis de la place Saint-Jean et sur les combles de l'église, dominant les toits des maisons qui entourent cette place. Les militaires n'ont donc pas été pris à l'improviste; une barricade ne se fait pas sans qu'on s'en aperçoive, et je demande comment ces barricades ont pu être construites sans qu'on y opposât aucune résistance; car le préfet, M. de Gasparin, vous a dit que les personnes qui ont construit les premières barricades étaient

sans armes.

Ainsi, je désire que M. le général nous dise s'il sait comment on les a détruites, si le feu commencé de la part des militaires ou de ceux qui avaient élevé les barricades, et qui, au dire du préfet, n'étaient pas armés.

M. le général Aymard. Je chargeai le général Buchet de la défense de la place Saint-Jean, et c'est lui qui pourra répondre péremptoirement sur ce qui s'est passé. D'après le rapport officiel qui m'a été fait, un coup de fusil était parti du côté des insurgés sur un agent de police qui se trouvait, je crois, sur la barricade. Au reste, je pense que M. le général Buchet sera entendu et qu'il édifiera la Cour sur ce qui s'est passé.

M JULES FAVRE. Je demande à M. le général Aymard si la troupe avait pour consigne, aussitôt qu'elle aurait à repousser la force par la force, de tirer indistinctement sur tous les individus qui seraient dans la rue, armés ou non. M. le général Aymard. Allons donc ! c'est absurde.

M JULES FAVRE. Je suis bien aise d'entendre cette réponse, et je dirai que je me trouvais au tribunal lorsque les premiers coups de feu se firent entendre, je voulus sortir. J'étais accompagné du président et des juges, j'étais en robe. Eh bien, pour sortir de la place Saint-Jean on fut obligé d'envoyer des ordonnances aux soldats qui occupaient les débouchés des rues voisines, pour que ces soldats ne me tirassent pas dessus. Un avocat en robe ne peut pas cependant être pris pour un insurgé.

M. DE LA TOURNELLE, substitut. Nous sommes tous sortis...

M JULES FAVRE. Qu'est-ce que cela fait, Messieurs? Vous le verrez plus tard!

M. DE LA TOURNELLE, substitut. Nous n'avons pas dit cela, vous avez mal entendu.

(Vingt-huitième audience.)

Me JULES FAVRE. Je demande encore s'il sait qu'elle est la nature des événements qui se sont passés à Vaise, lors de la prise de ce faubourg, et s'il lui a été fait un rapport de ces faits.

M. le général Aymard. Oui, le rapport de la prise de ce faubourg m'a été fait; il a été attaqué sur deux colonnes et enlevé; on y a trouvé beaucoup de barricades et une grande résistance.

Mo JULES FAVRE. Je demande encore au géné ral s'il sait qu'à la prise de Vaise et dans d'autres localités, les soldats sous ses ordres aient fusillé des prisonniers.

M. le général Aymard. Est-il possible de supposer que le soldat français fusille des prisonniers et surtout des Français ? A l'étranger même cela ne s'est jamais vu.

M JULES FAVRE. Je suis heureux d'entendre ces sentiments généreux exprimés par le général; mais je prouverai par des faits incontestables que ces sentiments n'ont pas été partagés par les hommes sous ses ordres.

M. le général Aymard. Je me suis conduit de manière à éviter les plus grands malheurs, si je suis resté sur la défensive, c'est pour prévenir des attaques trop meurtrières qui auraient exaspéré le soldat et auraient pu le porter à des excès. Quant à des assassinats, car c'est ainsi que je qualifie les faits dont on parle, je ne les aurais pas soufferts; et s'il en était venu à ma connaissance, j'aurais livré les coupables à un conseil de guerre pour qu'ils fussent fusillés eux-mêmes dans les vingt-quatre heures.

Me JULES FAVRE. Ces sentiments sont dignes d'un Français; mais ils n'ont pas été dans tous les cœurs...

Le général Aymard. Des hommes accusés d'avoir pris quelques effets chez une femme ont été traduits et condamnés à cinq ans de fer.

M. MARTIN (du Nord), procureur général. Nous ne savons pas jusqu'à quel point le général Aymard a besoin des éloges qui lui sont donnés par l'avocat; mais nous lui demandons s'il aurait pu ignorer de pareils faits s'ils avaient eu lieu.

Le général Aymard. Je n'étais pas partout où j'étais, je n'ai rien vu de semblable; des rapports m'ont été faits par les officiers commandant sur les autres points. Rien de semblable ne s'y trouve; cela n'est pas français.

Me JULES FAVRE. Non, mais c'est vrai.

M. MARTIN (du Nord), procureur général. C'est une chose singulière de voir un avocat se constituer témoin dans la cause pour attaquer l'armée, et sur des faits qu'il n'a pas vus.

Plusieurs accusés: Tout Lyon le sait.

Me JULES FAVRE. La Cour connaît assez mon caractère pour savoir que quand je dis un fait de ce genre, c'est que j'en suis sûr; mais, après mon témoignage, il y en a d'autres; j'ai entre les mains des certificats qui prouvent que des prisonniers ont été fusillés.

M. MARTIN (du Nord), procureur général. Si des faits de cette nature étaient parvenus à la connaissance d'un citoyen, son devoir était de les faire connaître à l'autorité; il est bien singulier qu'un avocat qui a la faculté de faire entendre des témoins vienne parler de certificats.

M JULES FAVRE. Vous voulez des témoins, eh bien! vous en aurez tant que vous voudrez. Il

(Affaire d'avril 1834.)

est public à Lyon que la troupe a commis ce que le général Aymard appelle des assassinats. On dit qu'il n'y a pas eu de plaintes; mais il y avait terreur, et ceux qui avaient souffert se cachaient plutôt que de s'adresser à l'autorité; mais cependant le parquet a été averti. Le procureur du roi vous a dit lui-même que j'avais été lui dénoncer des faits de cette nature; les journaux en ont parlé tous les jours. Y a-t-il eu une enquête? Non! Et bien plus, un journal, qui représente jusqu'à un certain point la volonté de l'Administration, a soutenu cette thèse horrible, que les militaires avaient bien fait de fusiller les prisonniers, parce que le jury les aurait acquittés. Oui, cette doctrine infâme a été publiee, et le ministère public, si avide de poursuivre les théories qui lui semblent anti-sociales, a laissé passer celle-là, il lui a donné l'approbation de son silence.

Peut-être le parquet lui-même était-il enchaîné. Ainsi, un journal légitimiste, le Réparateur, a eu ses presses brisées par des militaires. Il a porté plainte...

M CHEGARAY, avocat général. Il n'a pas porté plainte.

M JULES FAVRE Je ne suis pas au courant de la bureaucratie de M. le procureur du roi.

Vous comprenez comment moi, Lyonnais, je dois être ému en parlant de ces faits, moi qui ai vu tirer sur des femmes... (Murmures et marques de dénégation parmi les membres de la Cour.)

(Les accusés se lèvent et réclament vivement contre ces murmures; ils s'écrient: Nous demandons que des témoins soient entendus, pour prouver ces faits!)

Me JCLES FAVRE. J'ai lu dans le Réparateur le fait dont je parle. Un exemplaire de ce journal est déposé tous les jours sur le bureau de M. le procureur du roi; il en a eu connaissance. Des poursuites ont-elles été dirigées? Je ne le pense pas; mais je n'en fais pas un crime à M. le procureur du roi; car je comprends très bien que, dans l'exaspération de la victoire, on se livre à des excès. C'est un malheur qui tient à cette position; mais au moins il savoir faut distinguer ce qu'il y a eu de nécessaire de ce qu'il y a eu d'exagéré.

J'avais donc indiqué qu'on avait écrit dans les journaux des lettres desquelles il résultait que des actes de cruauté, de barbarie, avaient été commis. M. le procureur du roi a soumis à la Cour une prétendue information qui a été faite par le commissaire de police. Je n'ai pas voulu répondre à cette pièce à l'avant-dernière audience, pour ne pas abuser de la patience de la Cour; mais cette pièce m'a étrangement surpris. Comment! quand un citoyen vient publiquement déclarer qu'on a assassiné dans sa maison, M. le procureur du roi se contente d'un procèsverbal de commissaire de police, dans lequel il est dit que l'individu qui se plaint a des relations avec le serpent de la paroisse, et qu'alors il a pu être poussé par les carlistes ou par les prêtres ! et c'est derrière une semblable excuse que M. le procureur du roi voudrait cacher sa responsabilité! Nous lui disons qu'il y avait à Lyon notorieté publique que ces faits se sont passés, et qu'il y avait dans l'esprit du peuple des sentiments légitimes de vengeance.

M. le procureur du roi nous répond qu'on ne lui a pas fait de plainte. Eh! Messieurs, ne saiton pas que dans les mauvais jours de la révo

(Vingt-huitième audience.)

lution, on n'osa pas élever de plainte? Alors les autorités avaient aussi la prétention d'être paternelles, et d'accueillir les plaintes des citoyens ! Je dis qu'à Lyon, les esprits étaient tellement affaissés par la terreur, qu'on n'osait se plaindre. J'avais, moi, un grand désir de faire connaître la vérité; j'avais engagé des citoyens à me prêter leur témoignage. Eh bien! ces citoyens s'y sont refusés, dans la crainte d'être victimes de leur dévouement! Et pourtant je les connaissais; j'étais sûr de leur probité; je savais qu'ils étaient incapables de mentir.

M. le procureur du roi pense que nous voulons calomnier. Alors pourquoi n'a-t-il pas dénoncé de pareils faits à la justice? Il s'est arrêté parce que les faits étaient vrais. S'il soutient qu'ils sont faux, je lui demanderai pourquoi il a reculé devant l'accomplissement du plus saint de ses devoirs; pourquoi n'a-t-il pas poursuivi ceux qui ont ainsi déversé l'injure et la calomnie?

La justice, après la victoire d'avril, a eu plus de sympathie pour les vainqueurs que pour les vaincus; elle a pensé que la répression n'avait pu être paternelle, qu'il avait fallu rétablir l'ordre par la terreur. C'est une opinion que, dans ma conscience, je trouve monstrueuse; mais il faut bien que cette opinion ait existé, pour que la justice se soit tue. Nous qui sommes en présence du premier corps de l'Etat, nous qui sommes venus pour chercher, à l'ombre de votre institution, la garantie qui nous a manqué, pendant six mois, dans notre malheureuse cité, nous ne devions pas nous attendre à rencontrer des murmures, alors que dans le devoir de notre défense, nous viendrions vous faire connaître des faits semblables, et vous dire qu'ils ont pu légitimer la défense.

Lorsque je plaiderai, j'aurai peut-être l'occasion de prouver à la Cour qu'il y a des circonstances tellement impérieuses, que malgré soi on se sent porté à la résistance, qu'on désapprouve.

Voilà ce que je voulais dire à la Cour. Je n'avais pas l'intention d'occuper si longtemps ses moments. J'étais sûr que M. le général Aymard viendrait dire qu'il n'avait pas donné à ses soldats de pareilles consignes; j'étais sur que lorsqu'on parlerait de la fusillade de prisonniers sans défense, l'âme d'un vieux guerrier s'indignerait. Mais en même temps je fais toutes les réserves, et si M. le procureur général traite avec ce dédain léger les certificats que j'apporte tout couverts de sang des victimes, je pourrai faire paraître devant la Cour des témoins dignes de foi, des citoyens honorables.

M. MARTIN (du Nord), procureur général. Je ne traite pas avec légèreté des faits de cette nature. Je m'étonne, et j'ai droit de m'étonner, qu'on vienne parler devant vous de faits à l'égard desquels on vient apporter son témoignage, quand on est obligé d'avouer que soi-même on n'a pas été témoin de ces faits. Je m'étonne qu'on vienne ici changeant de rôle tourner la défense en accusation. Je m'étonne de ces expressions qui, à chaque instant, sortent de la bouche de l'avocat auquel je réponds. Qu'est-ce que ces expressions de batailles, de vainqueurs, de vaincus? Je l'ai déjà dit; mais il est des vérités qu'il faut répéter pour certaines personnes qui ne les comprennent pas ou qui ne veulent pas les comprendre. Il y a eu la bataille de l'ordre public contre l'insurrection, et lorsqu'on cherche constamment à cette dernière, on commet une fa

(Affaire d'avril 1834.)

faute il est du devoir du ministère public de la signaler à l'opinion.

Nous ne répondrons pas à toutes les insinuations qui ont été dirigées contre la marche du ministère public. Quand nous déclarons positivement que nous dédaignons de répondre, nous ne craignons pas non plus que nos collaborateurs, que l'opinion publique fixe les yeux sur la marche que nous avons suivie; mais nous nous étonnons toujours de voir que constamment on se constitue ici comme accusateur, lorsqu'on a une défense à présenter, et qui doit toujours être présentée dans les termes que la loi permet. Voilà notre réponse.

Quant à ces faits dont on a parlé, ces malheurs que la guerre civile entraîne après elle, et que M. le président, dans ses éloquentes paroles, a déplorés avec nous, il est vrai de dire que s'ils avaient existés, et pour mon compte, je pense, d'après les déclarations de M. le général Aymard, qu'ils n'ont pas existé, le reproche devrait peser sur ceux qui ont provoqué la malheureuse insurrection de Lyon.

(Vives réclamations au banc des accusés.) L'accusé Albert (se levant). Il fallait nous laisser nous défendre; nous l'aurions prouvé.

L'accusé Carrier. Je demande la parole. M. le Président. Vous avez la parole. L'accusé Carrier. On pourrait entendre les personnes qui habitent dans le voisinage des postes que M. le général Aymard a cités. Il n'y a qu'un moyen de connaître la vérité; c'est de faire une enquête sur les lieux. Le ministère public vous a dit qu'il assumait toute la responsabilité sur la tête des auteurs de ces meurtres. Nous nous joignons au ministère public pour appeler sur eux toute la vindicte publique.

M. le général Aymard. Il est assez extraordinaire que pas un seul citoyen ne se soit adressé à la première autorité militaire qui commandait là, pour se plaindre de ces assassinats. Je sais bien qu'on peut avoir recours au procureur du roi, où au maire, qui est le tuteur de la ville; mais personne n'est venu; je n'ai eu connaissance d'aucun fait pareil.

J'aurais fait faire une enquête militaire pour en découvrir les auteurs. Il se peut que des insurgés aient été passés par les armes, au moment de la défense; mais pour des prisonniers de guerre, je ne puis pas le supposer. Cela est tout à fait contraire au caractère généreux du soldat français, caractère qui est bien connu de toute l'Europe. Et vous voulez qu'ils se comportent ainsi au milieu de leurs compatriotes! Cela me révolte. La ville de Lyon a été si reconnaissante de ce qu'a fait la garnison, qu'aussitôt après l'insurrection une députation du conseil municipal est venue lui offrir les remerciements qui avaient été votés par le conseil, et les citoyens se sont cotisés pour faire une souscription en faveur des soldats blessés. La souscription s'est élevée à 160,000 francs. Cela prouve assez les sentiments qui animaient la population lyonnaise.

M. le Président. Connu comme l'est le général Aymard par son amour pour la discipline, son respect pour la loi, par ce vieil esprit militaire qui vit en lui, il est vraiment incroyable que si des crimes pareils à ceux qu'on a argués ont été commis, personne ne soit venu en demander je ne dis pas compte, mais justice, à ce

(Vingt-huitième audience.)

suprême dispensateur de la justice militaire, qui n'aurait reculé devant aucun des devoirs qu'elle lui impose.

Je demanderai au général combien de soldats ont été tués, dans les troupes qu'il commandait, et combien ont été blessés.

M. le général Aymard. Je crois qu'en tout il y a eu 360 hommes mis hors de combat.

M. le Président. Je demanderai à M. Aymard s'il sait combien il y a de morts du côté des insurgés.

M. le général Aymard. Je ne sais le nombre précis; cependant, d'après la comparaison qui fut faite, le nombre se montait à peu près au même chiffre de part et d'autre.

Me CHEGARAY, avocat général. Nous pouvons donner des renseignements précis. Le nombre des militaires blessés ou tués a été de 322, sur lesquels environ la moitié sont morts sur le coup.

Le nombre des personnes de l'ordre civil qui ont été tuées, s'élève à 109: savoir, à Vaise, 46; à la Guillotière, 15; à la Croix-Rousse, 15; et dans trois faubourgs, 2.

Un accusé. J'en ai compté 54.

Un autre accusé. Ils ont été tués après le combat.

Me CHEGARAY, avocat général. Le nombre des personnes qui ont succombé à Vaise est de 46, pas un de plus. Sur ces 46, 30 ont été trouvés nantis de munitions ou d'armes.

Un accusé. C'est faux!

M. le Président. N'interrompez donc pas!

M. CHEGARAY, avocat général. C'est un point sur lequel la Cour peut entendre le commissaire de police de Vaise, le général Fleury, M. Chevrot, M. Clérisseau, secrétaire de la mairie. Les états nominatifs sont en notre possession, nous les lirons, si la Cour le désire.

L'accusé Reverchon. Mardi, on m'a parlé, par l'organe de M. le président, de la longanimité de la Cour; je crois aussi avoir fait preuve d'une certaine patience, lorsque j'ai gardé le silence, malgré tout ce qui a été dit soit par l'organe du ministère public, soit par le général Aymard.

Je vais citer un fait qui m'est personnel. Mercredi soir, ma femme sortit de son domicile, seule, puisque j'étais à ma campagne; elle passa à travers la fusillade, pour se rendre chez une dame de ses amies, rue Saint-Jean, no 3; elle était au troisième étage. Pendant toute la journée du jeudi, des soldats qui étaient sur les toits ont tire contre les croisées du troisième et du quatrième, et cela parce qu'ils avaient vu un métier d'ouvrier. Ils ont criblé la fenêtre au point que le propriétaire a été obligé de la changer. Si ces faits sont déniés, je pourrai en fournir la preuve; c'est dans la maison où demeure l'avocat Charel.

M. le général Aymard. Voici de quelle manière le 7° léger était dans ce quartier: il recevait très peu de pain, et cependant au-dessus des barricades qu'ils avaient emportées sur les insurgés, les soldats faisaient passer la moitié de leur ration aux femmes ou aux sœurs de ceux qui se battaient contre la troupe.

L'accusé Reverchon. Nous avons secouru vos soldats prisonniers, nous ne les avons pas fusillés.

Mo CHEGARAY, avocat général. Nous avons com

(Affaire d'avril 1834.)

mis involontairement une erreur de chiffre, que nous nous empressons de rectifier. Le nombre des individus non militaires qui ont succombé à Vaise était de 45; il y a en outre quatre individus appartenant au détachement disciplinaire. Le témoin Chevrot (Philibert), entendu dans une précédente audience, est introduit et demande à parler. Personne n'est plus affligé que moi des malheurs qui sont arrivés à Vaise. Je ne suis pas venu ici pour accabler le malheur, j'ai toujours cherché au contraire à en être le protecteur; mais j'ai entendu Me Favre parler de faits qu'il ne connaît pas bien. (Bruit au banc des accusés.)

L'accusé Reverchon. Je me levais pour mieux entendre le témoin, et on veut me prendre violemment par les bras pour me forcer à m'asseoir. Le témoin Chevrot. Beaucoup d'hommes ont été arrêtés à Vaise, coupables ou innocents, ce n'est pas à moi à en juger. Comme membre du conseil municipal de Vaise, je fis tout mon possible pour diminuer le nombre de ceux qui se trouvaient entre les mains des chefs militaires. Un chef de bataillon du 18° me rendit tous ceux que je pus réclamer.

M. le Président. Reverchon, vous avez demandé la parole: qu'avez-vous à dire?

L'accusé Reverchon. J'ai à dire que MM. Gasparin et Aymard viennent d'être admis à déposer sur ce qu'ils n'ont pas vu, et que mercredi, un témoin que j'avais fait assigner a été empêché de finir sa déposition, parce que, disait-on, il rendait compte de rapports, et non de ce qu'il avait vu lui-même.

M. le Président. Vous confondez deux choses différentes. M. de Gasparin et M. le général Aymard ont déposé tous les deux de choses que leur position, que leurs fonctions, que leur devoir les obligeaient de savoir, pour lesquelles ils avaient des agents spéciaux. Le témoin qui, qnoique vous disiez, a été entendu jusqu'à la fin, rapportait une infinité de choses qui lui étaient arrivées par son bon vouloir, par des témoins bénévoles qui lui en avaient rendu compte; il sortait de sa qualité de témoin; ce qui cependant n'a pas empêché qu'il ne fût entendu jusqu'au bout, et avec une très grande attention.

(L'audience est levée, et renvoyée à demain.)

[blocks in formation]
[blocks in formation]

M. Cauchy, greffier en chef, procède à l'appel nominal des membres de la Cour.

Cet appel constate la présence des 137 pairs qui assistaient à la séance d'hier.

(Avant que le débat soit repris sur les faits généraux, l'accusé Lafond demande et obtient la parole.)

L'accusé Lafond. Comme les dépositions qui ont été faites contre moi attaquaient mon honneur et celui de ma famille, je désirerais qu'on fit venir les quatre témoins à décharge que j'ai demandés, et qui m'ont été refusés; ils attesteront de mon innocence.

Je prendrai part aux débats, puisque l'on m'accuse de pillage; je tiens à me justifier.

M CHEGARAY, avocat général. Nous n'avons pas pensé qu'il fut indispensable de faire comparaitre ces témoins, dont il y en a déjà de détenus pour des condamnations pour crime; la Cour verra ce qu'elle doit faire.

M. le Président. Vous ne pouvez faire comparaître des témoins déjà détenus pour des condamnations pour crime.

L'accusé Lafond. Il y a des soldats d'Alger qui étaient prisonniers comme moi; je désirerais qu'ils fussent entendus.

Mo CHEGARAY, avocat général. Si la Cour veut ordonner leur comparution, nous ne nous y opposons point.

L'accusé Lafond. Je le demande à titre de renseignement.

M. le Président. Cela ne peut être que comme cela. La Cour va reprendre l'audition des témoins indiqués par le ministère public pour déposer des faits généraux concernant l'attentat commis à Lyon, au mois d'avril 1834.

(M. le Président donne l'ordre de faire introduire l'un de ces témoins, le sieur Prat, qui a déjà été entendu sur les faits particuliers à l'accusé Despinas.)

(Avant que cet ordre soit exécuté, Me Jules Favre demande et obtient la parole.)

Mo JULES FAVRE. Lorsque l'audience d'hier a été levée, deux questions sont demeurées indécises la première, d'après la direction qu'ont prise les débats, touche à notre honneur personnel; la Cour peut la regarder comme petite,

(Affaire d'avril 1834.) mais elle nous permettra d'y attacher quelque importance.

La Cour a pu croire que, guidé par notre zèle de la défense, nous avions témérairement ajouté foi à des bruits que le ministère public a taxés dans cette enceinte de simples allégations. Messieurs, s'il en eût été ainsi, notre conduite eût été bien condamnable; nous connaissons trop bien les devoirs qui nous sont imposés devant la Cour, pour commettre une semblable faute; et si, après avoir avancé des faits d'une gravité telle que ceux que nous avons révélés à la Cour, nous demeurions dans l'impossibilité d'en fournir les preuves, nous n'oserions pas paraître à vos yeux, nous n'occuperions pas la place que nous donne la conviction basée sur notre conscience.

Il est donc nécessaire que les preuves se fassent, qu'elles se fassent régulièrement, que ce débat soit vidé, et qu'il le soit complètement.

M. le général Aymard a été en notre nom interpellé par M. le président. Nous avons demandé d'abord s'il était vrai qu'au premier coup de feu de l'insurrection, l'ordre eût été donné à la troupe de faire feu sur tous les citoyens armés ou désarmés ; en second lieu, il a été demandé au général Aymard s'il était vrai que des prisonniers, que des vaincus, comme on voudra les nommer, eussent été fusillés d'après le commandement de ceux qui étaient sous ses ordres.

Nous avons affirmé les faits. Le général Aymard a répondu à cette double question par une dénégation; et quand nous invoquions nos souvenirs, le ministère public s'est élevé, en disant que nous n'avions pas le droit de les faire entendre devant la Cour, en disant que nous devions nous appuyer sur des témoignages désintéressés.

Messieurs, si nous étions à Lyon, ces témoignages seraient nombreux; et si nous avions eu, dès l'ouverture des débats, toute la liberté nécessaire pour faire nos preuves, nous n'en serions pas réduits aux témoignages des trois personnes qui sont devant la Cour.

Cependant, si la Cour le désire, si, comme j'en suis sûr, elle veut tout savoir, et du côté de la défense comme de celui de l'accusation, je peux lui déclarer que les preuves ne lui manqueront pas. Dans la séance d'hier, on nous a porté un défi, on nous a jeté le gant; nous l'avons ramassé avec empressement.

Nous avons assigné quatre témoins le premier, A. Gaspard Aynès, avocat à la Cour royale de Paris, secrétaire de M. Lauzet. Le deuxième, M. Poton, médecin à Paris; le troisième, M. Chamaris, avocat ; et le quatrième, M. Petetin, homme de lettres, demeurant à....

Ces témoins, nous avons pu les assigner, car leurs noms ont été régulièrement signifiés à M. le procureur général vingt-quatre heures avant l'ouverture des débats. Seulement, il se présente une difficulté que je vais lever à l'instant, à l'égard du premier témoin, M. Gaspard Aynės.

M. Gaspard Aynès, le premier témoin, était chargé d'un rôle dans l'affaire de Saint-Etienne; il était chargé de la défense de l'un des coaccusés. Mais comme, en raison de la maladie de Caussidière fils, l'affaire de Saint-Etienne devra être renvoyée, je ne pense pas qu'il puisse s'élever la moindre difficulté à l'audition de M. Gaspard Aynès. Sans renoncer au rôle qu'il a choisi à l'appui qu'il a promis à l'un des accusés, il

(Vingt-neuvième audience.)

pourra faire connaître les faits dont il a été témoin. Je laisse à la sagesse de la Chambre de se prononcer sur ma demande.

Quant à moi, j'ai dû faire assigner les quatre témoins dans l'intérêt de la défense.

M. le Président. Je comprends parfaitement que dans un combat tel que celui qu'engage si malheureusement une guerre civile, les scènes de violence auxquelles il est impossible que la défense de l'ordre public ne soit pas quelquefois entraînée, soient présentées comme une sorte d'excuse pour les violences de même nature qui ont pu être commises par ceux que la force armée réprime.

Mais il y a dans cette affaire une circonstance importante qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est la date des faits. Cette date détermine leur caractère. Il importe de bien préciser celle des faits qui ont été hier l'occasion des débats, faits qu'on promet de pouvoir établir, qui sont loin de l'être encore, et qui, selon toutes les apparences, ne le seront pas; car ils ont été contredits de la manière la plus formelle par les témoignages les plus considérables. Ces faits, en les admettant vrais, auraient eu lieu les troisième et quatrième jours de l'insurrection; ils seraient en quelque sorte arrivés à la clôture de Lyon a été le théâtre, et il serait impossible cette déplorable guerre civile, dont la ville de pour les insurgés de les invoquer comme excuse; ils ne peuvent avoir provoqué une collision armée dont ils ont été la suite et la conséquence; la responsabilité en est à ceux qui ont provoqué la guerre civile.

Telle est donc la véritable situation des choses, que ces faits, en les supposant vrais, tendent seulement à prouver toute l'étendue des malheurs causés par la révolte, et à porter la justice à l'indulgence envers ceux qui en ont été victimes. Mais ces faits postérieurs à l'insurrection ne sauraient changer la nature du crime, ils ne sauraient en faire perdre la mémoire, ni empêcher que ceux qui l'ont commis ne doivent compte de leur conduite à la justice du pays. Ses arrêts seront rendus avec une profonde équité, mais son action ne saurait être paralysée par des considérations secondaires.

L'accusé Marigné. Je demande la parole pour signaler un fait au ministère public: c'est l'assassinat du sieur Raymond par les soldats. Il n'a été fait aucune enquête; le Courrier de Lyon a seulement dit que c'était un malheur.

M. le Président. La Cour est juge de l'attentat contre la sûreté de l'Etat, et dans ce cas, les militaires ne peuvent être accusés de cet attentat, puisqu'ils combattaient pour le maintien de l'ordre et la répression de la révolte.

M JULES FAVRE, Monsieur le Président, j'insiste pour que les quatre témoins que j'ai cités soient entendus.

M. le Président. Quant au premier, il ne peut être à la fois témoin et défenseur.

C'est une question secondaire qui a beaucoup d'importance. La qualité de témoin est incompatible avec celle de défenseur. Et je suis convaincu que le défenseur lui-même sera pénétré de cette vérité, que le caractère du témoin nuirait au caractère du défenseur, lui ôterait même de sa liberté. Il y a une grande différence dans ces deux positions.

M JULES FAVRE. Les dispositions de l'arti

« PrécédentContinuer »