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qui pèche. Elle trahit encore le tumulte d'une époque de désordre et de confusion. Le poëte le déclare lui-même:

Si quelqu'un me reprend que mes vers échauffés
Ne sont rien que de meurtre et de sang étoffés.
Qu'on n'y lit que fureur, que massacre et que rage,
Qu'horreur, malheur, poison, trahison et carnage,
Je lui réponds ami, ces mots que tu reprends
Sont les vocables d'art de ce que j'entreprends.
Les flatteurs de l'amour ne chantent que leurs vices,
Que vocables choisis à peindre les délices,

Que miel, que ris, que jeux, amours et passe-temps:
Une heureuse folie à consumer le temps....

Ce siècle, autre en ses mœurs, demande un autre style:
Cueillons des fruits amers desquels il est fertile.
Non, il n'est plus permis sa veine déguiser,

La main peut s'endormir, non l'âme reposer.

Qu'il est beau néanmoins, quand sa pensée, dissipant les nuages d'une expression laborieuse et triste, éclate tout à coup, comme un glaive qui sort du fourreau! avec quel'enthousiasme il glorifie les martyrs étouffés dans les flammes des bûchers!

Les cendres des brûlés sont précieuses graines,
Qui, après les hivers noirs d'orage et de pleurs,
Ouvrent, aux doux printemps, d'un million de fleurs
Le baume salutaire, et sont nouvelles plantes,
Au milieu des parvis de Sion florissantes.
Tant de sang, que les rois épanchent à ruisseaux,
S'exhale en douce pluie et en fontaines d'eaux,
Qui, coulantes aux pieds de ces plantes divines,
Donnent de prendre vie et de croitre aux racines,

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Il était évident que la réforme de Ronsard et de la Pléiade n'était pas définitive. C'était un effort violent qui succédait à une torpeur extrême: la révolution avait passé le but sans l'atteindre. Il lui fallait un modérateur. Elle en eut deux, Régnier et Malherbe: tous deux doués d'un talent original, tous deux grands écrivains, l'un plus poëte, l'autre plus grammairien; tous deux réformateurs, l'un par instinct, l'autre par système. Ni l'un ni l'autre n'eurent pleine conscience de leur œuvre; Régnier crut défendre Ronsard, par attachement pour Desportes, son oncle: en réalité il défendit et reproduisit Marot, dont il avait la libre allure, avec plus d'énergie et de couleur. Malherbe crut ruiner l'école de la Pléiade et ses innovations gréco-latines; il en assura le succès en le réglant. Vainement biffa-t-il tout Ronsard, il n'accomplit pas moins ce que Ronsard avait tant souhaité; il donna à l'idiome vulgaire toute la noblesse des langues antiques.

Régnier1, par inspiration vraie, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à la bonne loi naturelle, revint au simple, au vrai, et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise, qu'il enrichit toutefois d'heureuses imitations. Il suivit par génie l'excellent précepte de du Bellay; « il transforma en soi les meilleurs auteurs, et, après les avoir digérés, les

4. Mathurin Régnier, né à Chartres en 1573, chanoine de l'église de NotreDame en cette ville, mourut à Rouen en 1613. — OEuvres : seize satires, trois épitres, cinq élégies, odes, stances, épigrammes.

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convertit en sang et nourriture. Il fut le premier en France qui écrivit de véritables satires à l'imitation d'Horace et des poëtes bernesques1. Mais son imitation n'était plus le calque servile imaginé par la Pléiade, c'était la féconde émulation, la puissante rivalité du talent. Régnier, il est vrai,

Règle sa médisance à la façon antique;

mais les ridicules et les vices qu'il fait poser devant nous n'ont plus rien de latin; ce ne sont pas les contemporains d'Auguste, mais bien ceux de Henri IV. Ne reconnaissez-vous pas ce hobereau

Au feutre empanaché, relevant sa moustache;

et ce poëte crotté, qui, alléché par les succès de Desportes et de Bertaud,

Méditant un sonnet, médite un évêché?

Plus loin, voici le disciple de Barthole, qui,

Une cornette au col, debout dans un parquet
A tort et à travers va vendre son caquet;

ou bien le médecin qui reçoit une belle pièce de monnaie à la fin de sa consultation, et

Dit, en serrant la main : « Dame il n'en fallait point! »

Au milieu de ces esquisses légères se trouve un vrai chefd'œuvre, Macette, la vieille hypocrite. Déjà au treizième siècle, Jean de Meung avait ébauché Faux-Semblant; bientôt au dix-septième Molière créera Tartuffe. Il semble que la poésie française ait toujours été heureuse en touchant à ce sujet, comme

Par un arrêt du ciel qui hait l'hypocrisie.

4. L'excellente édition des OEuvres de Mathurin Régnier, par M. Viollet-leDuc indique avec soin les passages que le poëte français a pris pour modèles, et met ainsi le lecteur à même d'apprécier le mérite de l'imitation.

A part cet admirable tableau, où manquent toutefois encore la vraisemblance et la vie du dialogue, il faut avouer que le pinceau de Régnier s'arrête volontiers à la surface des choses. C'est de lui qu'on peut dire qu'il se joue autour du cœur humain. Sa poésie n'a rien de bien profond, de bien philosophique; ce sont les jeux innocents de la satire: ses contemporains l'avaient jugé ainsi. Ce prédécesseur de Boileau était pour eux le bon Régnier; et lui-même nous explique, quoique avec trop de modestie, cette qualification:

Et ce surnom de bon me va-t-on reprochant,

D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.

a

Ce n'est certes pas l'esprit qui manque à Régnier, ni l'enjouement, ni la verve. Mais il est artiste bien plus que moraliste; il s'occupe plus de la peinture que de la leçon. Sa plus belle création, c'est son style; on en a fait un bel et juste éloge en le rapprochant de celui de Montaigne. Régnier est en effet le Montaigne de notre poésie. Lui aussi, en n'ayant pas l'air d'y songer, s'est créé une langue propre, toute de sens et de génie, qui, sans règle fixe, sans évocation savante, sort comme de terre à chaque pas nouveau de la pensée, et se tient debout, soutenue du seul souffle qui l'anime. Les mouvements de cette langue inspirée n'ont rien de solennel ni de réfléchi; dans leur irrégularité naturelle, dans leur brusquerie piquante, ils ressemblent aux éclats de voix, aux gestes rapides d'un homme franc et passionné qui s'échauffe en causant. Les images du discours étincellent de couleurs plus vives que fines, plus saillantes que nuancées. Elles se pressent, elles se heurtent entre elles. L'auteur peint toujours, et quelquefois, faute de mieux, il peint avec de la lie et de la boue. D'une trivialité souvent heureuse, il prend au peuple ses proverbes pour en faire de la poésie, et lui envoie en échange ces vers nés proverbes, médailles de bon aloi, où l'on reconnaît encore, après deux siècles, l'empreinte de celui qui les a frappées'.

4. Circum præcordia ludit. Perse.

2. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au D. 160.

seizième siècle, t. I,

Malherbe.

Le talent de Malherbe a un caractère tout diffèrent1. Moins ingénieux que sage, moins fécond que judicieux, toute son invention consiste à bien choisir, toute sa richesse à se dépouiller à propos. Critique plutôt qu'artiste, c'est à quarantecinq ans qu'il commence sa carrière; son œuvre est un code plus qu'un poëme, et, comme tout législateur, il s'attache surtout à ce qu'on doit éviter. Ainsi que le chef des stoïciens, il prend pour devise: abstiens-toi. Il s'enorgueillit d'être appelé le tyran des mots et des syllabes. Le culte de la langue est sa religion; il la prêche encore au lit de mort à sa gardemalade. Malherbe est sévère dans ses préceptes. Il proscrit en vers l'hiatus, sans circonstances atténuantes, interdit à jamais l'enjambement ou suspension, pose la césure au sixième pied de l'alexandrin, comme une sentinelle impassible, repousse dédaigneusement les rimes trop faciles: rien ne sent plus son grand poëte que de rimer difficilement. Désormais plus de licence en poésie; plus d'inversions hasardées; les vers bien faits seront beaux comme de la prose. La gloire de Malherbe c'est d'avoir connu le premier en France le sentiment et la théorie du style, d'avoir fait sciemment ce que Régnier exécutait par instinct. S'il procéda surtout par négation, c'est que son époque, non moins que son génie, lui en faisait une nécessité. La richesse était faite dans la poésie, il n'y manquait que l'ordre, cette seconde richesse. Malherbe inventa le goût: ce fut là sa création. Dans les matériaux confus qu'avaient entassés ses devanciers, il fit une langue noble, par choix et par exclusion. Le principe qui présida à ce triage atteste sa haute intelligence de la vraie nature des langues; il répudia également la cour et le collége, la mode et l'érudition, et prit pour guide l'instinct du peuple de Paris. « Quand on lui demandoit son avis sur quelques mots françois, il renvoyoit ordinairement aux crocheteurs du port au foin et disoit que c'étoient

4. François de Malherbe naquit à Caen vers 1555, et mourut à Faris en 1628. OEuvres odes, paraphrases, psaumes, stances, épigrammes, chansons, lettres; traduction de quelques traités de Sénèqne et du XXXIII livre de Tite-Live.-Edition Chevreau, 1723, 3 vol. in-12. Lefèvre, 1825, 1 vol. in-8.

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