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De son étude, enfin, je veux qu'elle se cache,
Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos.
Je respecte beaucoup madame votre mère;
Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,
Et me rendre l'écho des choses qu'elle dit,
Aux encens qu'elle donne à son héros d'esprit.
Son monsieur Trissotin me chagrine, m'assomme,
Et j'enrage de voir qu'elle estime un tel homme,
Qu'elle nous mette au rang des grands et beaux esprits
Un benêt dont partout on siffle les écrits,
Un pédant dont on voit la plume libérale
D'officieux papiers fournir toute la halle.

HENRIETTE.

Ses écrits, ses discours, tout m'en semble ennuyeux,
Et je me trouve assez votre goût et vos yeux;
Mais, comme sur ma mère il a grande puissance,
Vous devez vous forcer à quelque complaisance.
Un amant fait sa cour où s'attache son cœur;
Il veut de tout le monde y gagner la faveur;
Et, pour n'avoir personne à sa flamme contraire,
Jusqu'au chien du logis il s'efforce de plaire.

CLITANDRE.

Oui, vous avez raison; mais monsieur Trissotin
M'inspire au fond de l'âme un dominant chagrin.
Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,
A me déshonorer en prisant ses ouvrages:
C'est par eux qu'à mes yeux il a d'abord paru,
Et je le connoissois avant que l'avoir vu.

Je vis, dans le fatras des écrits qu'il nous donne,
Ce qu'étale en tous lieux sa pédante personne,
La constante hauteur de sa présomption,

Cette intrépidité de bonne opinion,

Cet indolent état de confiance extrême,

Qui le rend en tout temps si content de soi-même,
Qui fait qu'à son mérite incessamment il rit,
Qu'il se sait si bon gré de tout ce qu'il écrit,
Et qu'il ne voudroit pas changer sa renommée
Contre tous les honneurs d'un général d'armée.

HENRIETTE.

C'est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

CLITANDRE.

Jusques à sa figure encor la chose alla,

Et je vis, par les vers qu'à la tête il nous jette,

De quel air il falloit que fût fait le poëte;
Et j'en avois si bien deviné tous les traits.
Que, rencontrant un homme un jour dans le Palais',
Je gageai que c'étoit Trissotin en personne,

Et je vis qu'en effet la gageure étoit bonne.

Quel conte!

HENRIETTE.

CLITANDRE.

Non; je dis la chose comme elle est :
Mais je vois votre tante. Agréez, s'il vous plaît,
Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,
Et gagne sa faveur auprès de votre mère.

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Souffrez, pour vous parler, madame, qu'un amart
Prenne l'occasion de cet heureux moment,

Et se découvre à vous de la sincère flamme....

BÉLISE.

Ah! tout beau: gardez-vous de m'ouvrir trop votre âme.
Si je vous ai su mettre au rang de mes amans,
Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchemens,
Et ne m'expliquez point, par un autre iangage,
Des désirs qui, chez moi, passent pour un outrage.
Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas;
Mais qu'il me soit permis de ne le savoir pas.
Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,
Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes;
Mais, si la bouche vient à s'en vouloir mêler,
Pour jamais de ma vue il vous faut exiler.

CLITANDRE.

Des projets de mon cœur ne prenez point d'alarme.
Henriette, madame, est l'objet qui me charme;
Et je viens ardemment conjurer vos bontés
De seconder l'amour que j'ai pour ses beautés.
BÉLISE.

Ah! certes, le détour est d'esprit, je l'avoue :
Ce subtil faux-fuyant mérite qu'on le loue;
Et, dans tous les romans où j'ai jeté les yeux,
Je n'ai rien rencontré de plus ingénieux.

1. Le Palais de Justice, dont les galeries étaient un lieu de promenade

à la mode.

CLITANDRE.

Ceci n'est point du tout un trait d'esprit, madame,
Et c'est un pur aveu de ce que j'ai dans l'âme.
Les cieux, par les liens d'une immuable ardeur,
Aux beautés d'Henriette ont attaché mon cœur;
Henriette me tient sous son aimable empire,
Et l'hymen d'Henriette est le bien où j'aspire.
Vous y pouvez beaucoup; et tout ce que je veux,
C'est que vous y daigniez favoriser mes vœux.
BÉLISE.

Je vois où doucement veut aller la demande,
Et je sais sous ce nom ce qu'il faut que j'entende.
La figure est adroite; et, pour n'en point sortir,
Aux choses que mon cœur m'offre à vous repartir,
Je dirai qu'Henriette à l'hymen est rebelle,

Et que, sans rien prétendre, il faut brûler pour elle.

CLITANDRE.

Eh! madame, à quoi bon un pareil embarras?
Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n'est pas ?
BÉLISE.

Mon Dieu! point de façons. Cessez de vous défendre
De ce que vos regards m'ont souvent fait entendre.
Il suffit que l'on est contente du détour
Dont s'est adroitement avisé votre amour,
Et que, sous la figure où le respect l'engage,
On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,
Pourvu que ses transports, par l'honneur éclairés,
N'offrent à mes autels que des vœux épurés.

Mais...

CLITANDRE.

BÉLISE.

Adieu. Pour ce coup, ceci doit vous suffire, Et je vous ai plus dit que je ne voulois dire.

Mais votre erreur....

CLITANDRE.

BÉLISE.

Laissez. Je rougis maintenant,

Et ma pudeur s'est fait un effort surprenant.

CLITANDRE.

Je veux être pendu, si je vous aime; et sage....

BÉLISE.

Non, non, je ne veux rien entendre davantage.

SCENE V. CLITANDRE, seul.

Diantre soit de la folle avec ses visions!

A-t-on rien vu d'égal à ses préventions?

Allons commettre un autre au soin que l'on me donne,
Et prenons le secours d'une sage personne.

ACTE DEUXIÈME.

SCENE I. ARISTE, quittant Clitandre, et Oui, je vous porterai la réponse au plus tôt; J'appuierai, presserai, ferai tout ce qu'il faut. Qu'un amant, pour un mot, a de choses à direi Et qu'impatiemment il veut ce qu'il désire! Jamais....

i parlant encore.

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Non; mais, si vous voulez, je suis prêt à l'entendre.

ARISTE.

Depuis assez longtemps vous connoissez Clitandre?

CHRYSALE.

Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous.

ARISTE.

En quelle estime est-il, mon frère, auprès de vous?

CHRYSALE.

D'homme d'honneur, d'esprit, de cœur et de conduite,
Et je vois peu de gens qui soient de son mérite.

ARISTE.

Certain désir qu'il a, conduit ici mes pas,
Et je me réjouis que vous en fassiez cas.

CHRYSALE.

Je connus feu son père en mon voyage à Rome.

Fort bien.

On le dit.

ARISTE.

CHRYSALE.

C'étoit, mon frère, un fort bon gentilhomme.

ARISTE.

CHRYSALE.

Nous n'avions alors que vingt-huit ans,
Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galans.

'Je le cois.

ARISTE.

CHRYSALE.

Nous donnions chez les dames romaines,
Et tout le monde, là, parloit de nos fredaines:
Nous faisions des jaloux.

ARISTE.

Voilà qui va des mieux; Mais venons au sujet qui m'amène en ces lieux.

SCENE III.

BELISE, entrant doucement, et écoutant;
CHRYSALE, ARISTE.

ARISTE.

Clitandre auprès de vous me fait son interprète,
Et son cœur est épris des grâces d'Henriette.

Quoi! de a fille?

CHRYSALE.

ARISTE.

Qui; Clitandre en est charmé,

Et je ne vis jamai. amant plus enflammé.

BELISE, à Ariste.

Non, non; je vous entends. Vous ignorez l'histoire,
Et l'affaire n'est pas ce que vous pouvez croire.

ARISTE.

BÉLISE.

Comment, ma sœur?

Clitandre abuse vos esprits,

Et c'est d'un autre objet que son cœur est épris.

ARISTE.

BÉLISE.

Vous raillez. Ce n'est pas Henriette qu'il aime?

Non; j'en suis assurée.

Hé! oui.

ARISTE.

Il me l'a dit lui-même.

BÉLISE.

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