Images de page
PDF
ePub

niche, d'où les côtés du plafond s'élevoient encore de huit pieds jusques au dernier enfoncement. Il étoit couvert de feuilles par dehors, et, par dedans, paré de riches tapisseries que le sieur du Metz, intendant des meubles de la couronne, avoit pris soin de faire disposer de la manière la plus belle et la plus convenable pour la décoration de ce lieu. Du haut du plafond pendoient trente-deux chandeliers de cristal, portant chacun dix bougies de cire blanche. Autour de la salle étoient plusieurs siéges disposés en amphithéâtre, remplis de plus de douze cents personnes; et, dans le parterre, il y avoit encore sur des bancs une plus grande quantité de monde. Cette salle étoit percée par deux grandes arcades, dont l'une étoit vis-à-vis du théâtre, et l'autre du côté qui va vers la grande allée. L'ouverture du théâtre étoit de trente-six pieds, et, de chaque côté, il y avoit deux grandes colonnes torses, de bronze et de lapis, environnées de branches et de feuilles de vigne d'or; elles étoient posées sur des piédestaux de marbre, et portoient une grande corniche aussi de marbre, dans le milieu de laquelle on voyoit les armes du roi sur un cartouche doré, accompagné de trophées; l'architecture étoit d'ordre ionique. Entre chaque colonne, il y avoit une figure: celle qui étoit à droite représentoit la Paix, et celle qui étoit à gauche figuroit la Victoire; pour montrer que Sa Majesté est toujours en état de faire que ses peuples jouissent d'une paix heureuse et pleine d'abondance, en établissant le repos dans l'Europe, ou d'une victoire glorieuse et remplie de joie, quand elle est obligée de prendre les armes pour soutenir ses droits. Lorsque Leurs Majestés furent arrivées dans ce lieu, dont la grandeur et la magnificence surprit toute la cour, et quand elles eurent pris leurs places sur le haut dais qui étoit au milieu du parterre, on leva la toile qui cachoit la décoration du théâtre; et alors, les yeux se trouvant tout à fait trompés, l'on crut voir effectivement un jardin d'une beauté extraordinaire.

A l'entrée de ce jardin on découvroit deux palissades si ingénieusement moulées, qu'elles formoient un ordre d'architecture dont la corniche étoit soutenue par quatre Termes qui représentoient des Satyres. La partie d'en bas de ces Termes, et ce qu'on appelle gaîne, étoient de jaspe, et le reste de bronze doré. Ces Satyres portoient sur leurs têtes des corbeilles pleines de fleurs; et, sur les piédestaux de marbre qui soutenoient ces mêmes Termes, il y avoit de grands vases dorés, aussi remplis de fleurs.

Un peu plus loin, paroissoient deux terrasses revêtues de marbre blanc, qui environnoient un long canal. Au bord de ces terrasses, I y avoit des masques dorés qui vomissoient de l'eau dans le canal; et, au-dessus de ces masques, on voyoit des vases de bronze doré, d'où sortoient aussi autant de véritables jets d'eau.

On montoit sur ces terrasses par trois degrés; et, sur la même ligne où étoient rangés les Termes, il y avoit, d'un côté et d'autre,

une longue allée de grands arbres, entre lesquels paroissoient des cabinets d'une architecture rustique. Chaque cabinet couvroit un grand bassin de marbre, soutenu sur un piédestal de même matière, et de ces bassins sortoient autant de jets d'eau.

Le bout du canal le plus proche étoit bordé de douze jets d'eau, qui formoient autant de chandeliers; et, à l'autre extrémité, on voyoit un superbe édifice en forme de dôme. Il étoit percé de trois grands portiques, au travers desquels on découvroit une grande étendue de pays.

D'abord l'on vit sur le théâtre une collation magnifique d'oranges de Portugal, et de toutes sortes de fruits chargés à fond et en pyramides dans trente-six corbeilles, qui furent servies à toute la cour par le maréchal de Bellefonds, et par plusieurs seigneurs pendant que le sieur de Launay, intendant des menus plaisirs et affaires de la chambre, donnoit de tous côtés des imprimés qui contenoient le sujet de la comédie et du ballet.

Bien que la pièce qu'on représenta doive être considérée comme un impromptu, et un de ces ouvrages où la nécessité de satisfaire. sur-le-champ aux volontés du roi ne donne pas toujours le loisir d'y apporter la dernière main, et d'en former les derniers traits, néanmoins il est certain qu'elle est composée de parties si diversifiées et si agréables, qu'on peut dire qu'il n'en a guère paru sur le théâtre de plus capable de satisfaire tout ensemble l'oreille et les yeux des spectateurs. La prose dont on s'est servi, est un langage très-propre pour l'action qu'on représente; et les vers qui se chantent entre les actes de la comédie conviennent si bien au sujet, et expriment si tendrement les passions dont ceux qui les récitent doivent être émus, qu'il n'y a jamais rien eu de plus touchant. Quoiqu'il semble que ce soient deux comédies que l'on joue en même temps, dont l'une soit en prose et l'autre en vers, elles sont pourtant si bien unies à un même sujet, qu'elles ne sont qu'une même pièce, et ne représentent qu'une seule action.

L'ouverture du théâtre se fait par quatre bergers1 déguisés en valets de fêtes, qui, accompagnés de quatre autres bergers 2 qui jouent de la flûte, font une danse, où ils obligent d'entrer avec eux un riche paysan qu'ils rencontrent, et qui, mal satisfait de son mariage, n'a l'esprit rempli que de fâcheuses pensées aussi l'on voit qu'il se retire bientôt de leur compagnie, où il n'a demeuré que par contrainte.

Climène et Chloris, qui sont deux bergères amies, entendant le

1. Beauchamp, Saint-André, La Pierre, Favier.

2. Descouteaux, Philbert, Jean et Martin Hottere.

3. Mile Hilaire.

4. Mlle Desfronteaux.

son des flûtes, viennent joindre leurs voix à ces instrumens, et

chantent :

L'autre jour, d'Annette
J'entendis la voix,

Qui, sur sa musette,
Chantoit dans nos bois :
Amour, que sous ton empire
On souffre de maux cuisans !
Je le puis bien dire,
Puisque je le sens.
La jeune Lisette",
Au même moment,
Sur le ton d'Anette,
Reprit tendrement :
Amour, si, sous ton empire,
Je souffre des maux cuisans,
C'est de n'oser dire

Tout ce que je sens.

Tircis et Philène 2, amans de ces deux bergères, les abordent pour les entretenir de leur passion, et font avec elles une scène en musique.

1. Blondel.

2. Gaye.

CHLORIS.

Laissez-nous en repos, Philène.
CLIMÈNE.

Tircis, ne viens point m'arrêter.
TIRCIS ET PHILÈNE.
Ah! belle inhumaine,
Daigne un moment m'écouter!

CLIMÈNE ET CHLORIS.

Mais que me veux-tu conter?

LES DEUX BERGERS.

Que d'une flamme immortelle,
Mon cœur brûle sous tes lois.
LES DEUX BERGÈRES.

Ce n'est pas une nouvelle :
Tu me l'as dit mille fois.
PHILENE, à Chloris.

Quoi! veux-tu, toute ma vie,
Que j'aime et n'obtienne rien?

CHLORIS.

Non; ce n'est pas mon envie
N'aime plus; je le veux bien.

TIRCIS, à Climène.

Le ciel me force à l'hommage
Dont tous ces bois sont témoins.
CLIMÈNE.

C'est au ciel, puisqu'il t'engage,
A te payer de tes soins.

PHILENE, à Chloris.

C'est par ton mérite extrême
Que tu captives mes vœux.

CHLORIS.

Si je mérite qu'on m'aime,
Je ne dois rien à tes feux.

LES DEUX BERGERS.

L'éclat de tes yeux me tue.
LES DEUX BERGÈRES.
Détourne de moi tes pas.

LES DEUX BERGERS.

Je me plais dans cette vue.
LES DEUX BERGÈRES.
Berger, ne t'en plains donc pas.
PHILÈNE.

Ah! belle Climène!

TIRCIS.

Ah! belle Chloris!

PHILENE, à Climène.

Rends-la pour moi plus humaine.
TIRCIS, à Chloris.

Dompte pour moi ses mépris.
CLIMENE, à Chloris.

Sois sensible à l'amour que te porte Philène.
CHLORIS, à Climène.

Sois sensible à l'ardeur dont Tircis est épris.
CLIMENE, à Chloris.
Si tu veux me donner ton exemple, bergère,
Peut-être je le recevrai.

CHLORIS, à Climène.

Si tu veux te résoudre à marcher la première, Possible que je te suivrai.

CLIMENE, à Philène.

Adieu, berger.

CHLORIS, à Tircis.

Adieu, berger.

CLIMENE, à Philène.

Attends un favorable sort.

CHLORIS, à Tircis.

Attends un doux succès du mal qui te possède.

TIRCIS.

Je n'attends aucun remède.

PHILÈNE.

Et je n'attends que la mort.

TIRCIS ET PHILÈNE.

Puisqu'il nous faut languir en de tels déplaisirs,
Mettons fin, en mourant, à nos tristes soupirs.

Ces deux bergers se retirent, l'âme pleine de douleur et de désespoir; et, ensuite de cette musique, commence le premier acte de la comédie en prose.

Le sujet est qu'un riche paysan, s'étant marié à la fille d'un gentilhomme de campagne, ne reçoit que du mépris de sa femme aussi bien que de son beau-père et de sa belle-mère, qui ne l'avoient pris pour leur gendre qu'à cause de ses grands biens.

Toute cette pièce est traitée de la même sorte que le sieur de Molière a de coutume de faire ses autres pièces de théâtre; c'est-à-dire qu'il y représente avec des couleurs si naturelles le caractère des personnes qu'il introduit, qu'il ne se peut rien voir de plus ressemblant que ce qu'il a fait pour montrer la peine et les chagrins où se trouvent souvent ceux qui s'allient au-dessus de leur condition, et, quand il dépeint l'humeur et la manière de faire de certains nobles campagnards, il ne forme point de traits qui n'expriment parfaitement leur véritable image. Sur la fin de l'acte, le paysan est interrompu par une bergère qui lui vient apprendre le désespoir des deux bergers mais, comme il est agité d'autres inquiétudes, il la quitte en colère; et Chloris entre, qui vient faire une plainte sur la mort de son amant :

Ah! mortelles douleurs!
Qu'ai-je plus à prétendre?

Coulez, coulez, mes pleurs;
Je n'en puis trop répandre.

Pourquoi faut-il qu'un tyrannique honneur
Tienne notre âme en esclave asservie?
Hélas! pour contenter sa barbare rigueur,
J'ai réduit mon amant à sortir de la vie.

Ah! mortelles douleurs!
Qu'ai-je plus à prétendre?
Coulez, coulez, mes pleurs;
Je n'en puis trop répandre.

Me puis-je pardonner, dans ce funeste sort,
Les sévères froideurs dont je m'étois armée ?

« PrécédentContinuer »