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sexes différents. L'homme se complète par l'union avec la femme, de même que la femme se complète en s'unissant avec l'homme. Dès lors, s'il n'y a pas de différence de sexes, le mariage est sans cause, et il faut dire avec l'article 1131 qu'un pareil contrat ne peut avoir aucun effet. » C'est par application de ce principe que le code décide qu'une vente sans objet est nulle (art. 1601); elle est nulle parce qu'elle est sans cause, et étant sans cause, elle ne peut avoir aucun effet, elle est donc inexistante. N'en doit-il pas être de même du mariage dans lequel il n'y aurait pas d'homme ou pas de femme? Ce serait un contrat sans objet, partant nul dans le sens de l'article 1601, ou, comme nous disons, inexistant.

277. Pour la deuxième condition, le consentement, nous avons un texte. L'article 142 porte: « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. » En apparence, cet article est décisif, et on le cite d'ordinaire pour prouver que, dans tout contrat, le consentement est requis pour l'existence de la convention. Remarquons, en effet, que la loi ne dit pas que le mariage est nul quand il n'y a pas de consentement. Le mot nul est une expression à double sens, et par suite douteuse; tantôt il signifie inexistant, comme dans l'article 1601, tantôt, et le plus souvent, il marque que l'acte frappé de nullité est seulement annulable. Le code semble avoir voulu prévenir tout doute en disant : il n'y a pas de mariage. Peut-on exprimer plus énergiquement la pensée que le mariage est inexistant? Si les auteurs du code ne se sont pas servis de ce terme, c'est qu'il n'est pas français, mais ils en ont donné la définition, en quelque sorte, en disant qu'il n'y a pas de mariage.

Si l'on pouvait faire abstraction des travaux préparatoires, la disposition de l'article 146 serait, en effet, décisive Mais les discussions, au lieu de mettre notre principe en lumière, ne font que l'obscurcir, au point de jeter des doutes sur l'intention du législateur: on ne sait, en définitive, ce qu'il a voulu. On se prévaut si souvent des travaux préparatoires, surtout dans la question des nullités de mariage, qu'il n'est pas inutile de montrer combien ils

sont vagues, contradictoires et peu concluants dans le débat qui nous occupe.

Chose étrange! La distinction entre les actes inexistants et les actes nuls fut formulée au conseil d'Etat, mais ce n'est pas un jurisconsulte qui la professa, c'est le soldat de génie qui dirigeait les destinées de la France et du monde. Zachariæ dit que le premier consul donna plus d'une fois, dans la discussion du titre du Mariage, des preuves d'une sagacité remarquable. L'éloge est mérité. Napoléon revint, à plusieurs reprises, sur la distinction dont nous cherchons des traces dans nos textes et dans les travaux préparatoires; mais n'étant pas légiste, il se trompa dans l'application qu'il faisait d'un principe réellement nouveau, puisqu'il avait échappé aux anciens juristes; et au sein du conseil d'Etat même, l'opinion du premier consul passa presque inaperçue. Il dit très-bien qu'il ne faut pas mêler ensemble les cas où il n'y a pas de mariage et les cas où un mariage peut être cassé (1). » Voilà la distinction nettement établie. Mais quels sont les cas où il n'y a pas de mariage? Ici le premier consul tombe dans l'erreur en disant « qu'il n'y a pas de mariage là où il n'y a pas de consentement libre, ou qu'il n'y a point de contrat « s'il y a violence (2). Cela n'est pas exact; la violence est un simple vice du consentement, vice qui rend le contrat nul; mais on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de consentement et par conséquent pas de mariage. Napoléon comprenait trèsbien que si la violence est purement morale, elle n'engendre qu'un vice, mais il croyait qu'il en était autrement en cas de violence physique, de contrainte matérielle (3). Dans les contrats pécuniaires, la distinction est admissible; on conçoit, à la rigueur, que la force contraigne une personne à signer un acte, et à donner ainsi un consentement apparent, qui n'existe réellement pas. En matière de mariage, cela est impossible; car il faut une déclaration verbale, et

(1) Séance du conseil d'Etat du 24 fructidor an ix, no 17 (Locré, t. II, p. 817). (2) Même séance, no 15, et séance du 4 vendémiaire an x, no37 (Loeré, t. II, p. 316, 330).

(3) Séance du 4 vendémiaire an x, no 37, et séance du 24 frimaire an X, n° 9 (Locré, t. II, p. 330 et 362).

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il n'y a pas de puissance humaine qui puisse forcer à dire oui, celui qui persiste à dire non. La violence est donc toujours morale, en ce sens que la femme ou l'homme qui est violenté choisit entre deux maux le moindre, et déclare consentir pour échapper aux tortures qu'on lui inflige. Mais ces erreurs d'application n'empêchent point que la distinction entre les actes inexistants et les actes nuls n'ait été clairement aperçue par le premier consul.

278. L'opinion du premier consul a-t-elle été consacrée par le code qui porte son nom? Cela est douteux. L'article 4 du projet était ainsi conçu : « Le mariage n'est pas valable, si les deux époux n'y ont pas donné un consentement libre. Il n'y a pas de consentement: 1° s'il y a erreur dans la personne que l'une des parties avait eu l'intention d'épouser; 2° s'il y a eu violence; 3° s'il y a eu rapt, à moins que le consentement n'ait été donné par la personne ravie, après qu'elle a eu recouvré sa pleine liberté. » Il est évident que cette disposition confond les conditions requises pour l'existence du mariage et celles qui sont prescrites pour sa validité. La liberté du consentement n'est pas une condition d'existence du mariage; le consentement existe, bien qu'il ne soit pas libre, donc il y a mariage. Il est par conséquent inexact de dire « qu'il n'y a pas de consentement, s'il y a eu violence. Et s'il était vrai qu'il n'y eût pas de consentement en cas de violence, il faudrait dire, non que le mariage n'est pas pas valable, mais qu'il n'y en a point, qu'il est non existant.

La rédaction primitive fut changée sur la proposition de Bigot-Préameneu. On réduisit l'article à ces termes : « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a pas de consentement; il n'y a pas de consentement lorsqu'il y a violence, séduction ou erreur sur la personne (1). » Cette nouvelle rédaction consacrait la confusion des actes inexistants et des actes nuls. La première proposition paraît admettre que le mariage est inexistant, quand il n'y a pas de consentement; mais la seconde dit qu'il n'y a pas de consentement quand il y a séduction, ce qui est évi

(1) Séance du conseil d'Etat du 26 fructidoran IX (Locré, t. II, p. 317, n° 18).

demment un mariage nul; il n'est donc pas vrai de dire que dans ce cas il n'y a pas de consentement,» partant pas de mariage. Le premier consul en fit la remarque; une longue discussion s'engagea, mais elle ne porta pas sur la question soulevée par Napoléon; on ne se demanda pas dans quels cas le mariage devait être considéré comme inexistant, dans quels cas il est simplement nul. Il n'y a que Regnier qui `remarqua que la disposition, pour être exacte, devait être ainsi conçue : « Le mariage est nul lorsqu'il y a violence. » Le consul Cambacérès finit par proposer de retrancher le second alinéa de l'article, ce qui était assez sa manière de résoudre les difficultés. La proposition fut adoptée, mais que signifie-t-elle? Il ne reste que la disposition de l'article 146. Veut-elle dire que le mariage est inexistant? veut-elle dire qu'il est nul? La discussion ne nous donne pas de réponse à cette question.

L'embarras de l'interprète augmente quand il lit le discours de l'orateur du Tribunat. Bouteville dit : « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. L'article 180 n'est que le développement et la conséquence de cette disposition; il n'y a pas de consentement, s'il n'a été parfaitement libre, s'il a été l'effet de la violence ou de l'erreur (1). » Voilà de nouveau la confusion complète. D'après le texte de l'article 146, on doit croire que le mariage est inexistant quand il n'y a pas de consentement. Non, dit Bouteville, le mariage est seulement nul, car il donne lieu à une action en nullité, en vertu de l'article 180, action qui doit être intentée dans un bref délai, nullité qui peut être couverte par une confirmation. Que faut-il donc décider? Que les travaux préparatoires laissent la question indécise. Il y a, en effet, des témoignages contradictoires. Le premier consul se prononce pour la distinction des actes inexistants et des actes nuls. D'autres la nient, non pas en termes formels, mais implicitement; ils confondent plutôt qu'ils ne nient. Nous restons donc en présence du texte, et celui-là est on ne peut plus clair. C'est, en définitive, le texte qui est décisif, et non une discussion qui

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 412, no 16.

n'a pas même porté sur la question que nous débattons. 279. La troisième condition, celle de la présence d'un officier de l'état civil, n'est pas prévue par le code Napoléon. Il déclare le mariage nul quand il est célébré par un officier incompétent (art. 191); il ne dit rien du cas où le mariage aurait été célébré par un officier public sans qualité aucune, ou par un ministre du culte. Il y a alors manque absolu de solennité. Au titre des Contrats, nous trouvons une disposition qui concerne les formes prescrites pour les contrats dits solennels. L'article 1339 porte : « Le donateur ne peut réparer par aucun acte les vices d'une donation entre-vifs; nulle en forme, il faut qu'elle soit refaite en la forme légale. » Voilà une consécration formelle de la doctrine des actes non existants. Pourquoi la donation nulle en la forme ne peut-elle pas être confirmée? Parce qu'elle n'existe pas, et on ne peut pas confirmer le néant. Mais pourquoi une donation nulle en la forme est-elle inexistante? Parce que, dans les contrats solennels, le consentement doit être donné selon les formes prescrites par la loi, sinon il n'existe pas.

L'article 1339 est donc la conséquence d'un principe. Peut-on appliquer le principe au mariage? Oui, certes, car un consentement quelconque ne suffit pas pour qu'il y ait mariage. Le mariage est le plus solennel de tous les contrats; il faut donc que l'union soit célébrée par un officier de l'état civil pour qu'elle constitue un mariage. Mais si le principe de l'article 1339 reçoit son application au mariage, il n'en faut pas conclure que toutes les solennités prescrites pour le mariage sont de l'essence du mariage, de même que toutes les formes prescrites pour les donations sont de l'essence de la donation. La différence est grande entre les contrats dits solennels et le mariage. Dans les contrats solennels, il doit y avoir un écrit reçu par un notaire; s'il n'y a pas d'écrit, il n'y a pas de contrat; il n'y en a pas davantage si l'écrit est nul, car un acte nul n'est pas un acte. Dans le mariage, il faut des déclarations verbales reçues par un officier de l'état civil; voilà l'essence de la solennité. Il faut aussi un acte, mais cet acte est requis plutôt pour la preuve du mariage que

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