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AVERTISSEMENT

DES NOUVEAUX ÉDITEURS

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ERSONNE n'ignore quelle part revient aux Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur dans le grand mouvement de l'érudition française au dix-septième siècle. A peine dom Luc d'Achéry eut-il exposé au chapitre général de Vendôme, en 1648, le plan d'une véritable rénovation des études au sein de la célèbre compagnie', qu'une foule de religieux se mirent à l'œuvre. Les éditions des Pères, l'exégèse sacrée, l'histoire ecclésiastique & civile furent abordées à la fois, & l'on vit paraître les importantes publications qui ont fait la gloire de l'ordre les Monuments de la monarchie française, le Thesaurus anecdotorum & l'Amplissima Collectio, les œuvres de Grégoire de Tours, les Acta sincera, le Recueil des historiens des Gaules, l'Histoire littéraire de la France, le Nouveau traité de diplomatique & l'Art de vérifier les dates.

Voyez, sur les travaux des Bénédictins, l'Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur & l'introduction placée par M. Léopold Delisle en tête du Cartulaire de Philippe-Auguste.

Mieux encore que tous ces travaux, le projet qu'eurent un peu plus tard les Bénédictins d'écrire l'histoire particulière de chaque province française a désigné leur nom à la reconnaissance du pays. Cette vaste conception embrassait la France entière. Chacune des unités géographiques & traditionnelles, dont l'ensemble a formé notre unité nationale, devait avoir sa place dans ce majestueux édifice. Beaucoup de ces études provinciales furent entreprises; quelques-unes seulement, l'Histoire de Bretagne, par dom Lobineau, celle de Bourgogne, par dom Plancher, celle de Paris, par dom Félibien & l'Histoire générale de Languedoc, par dom de Vic & dom Vaissete, purent être achevées & mises au jour.

L'Histoire de Languedoc est sans contredit la plus savante & la plus complète. Elle se distingue par un esprit impartial & éclairé dont une rédaction. méthodique & simple met en relief toute la valeur. Aujourd'hui encore, malgré le progrès de la science historique & les nouveaux modes d'investigation que l'on a créés à son usage, malgré la découverte & l'interprétation de documents ignorés ou mal compris, le juste renom des auteurs n'est point amoindri. Si la critique moderne peut discuter certaines appréciations, contester l'exactitude de quelques faits ou la justesse de conclusions spéciales, elle est forcée de reconnaître la puissance de l'œuvre prise dans son ensemble, l'heureuse proportion des parties, & le caractère de bon sens, de raison & de probité qui s'y révèle, depuis la première page jusqu'à la dernière. Nous paraîtrions nous complaire aux lieux communs si nous insistions plus longtemps sur les qualités d'un livre qui a sûrement conquis l'estime générale & dont la place est marquée dans toute bibliothèque digne de ce nom.

Il y a trente ans environ, un libraire de Toulouse, M. Paya, entreprit, avec le concours de M. Dumège, la réimpression de l'œuvre des Bénédictins dont les exemplaires sont devenus rares. Tout le monde sait combien cette édition est défectueuse, au point de vue de la science & de l'exécution matėrielle. L'ordre de la tomaison, déterminé dans l'ouvrage original par la succession chronologique des principales périodes, a été bouleversé & établi de la façon la plus arbitraire. Les textes, partie faible chez les Bénédictins, ont été altérés ou rendus plus incorrects, les citations & les renvois tronqués ou reproduits d'une manière inintelligible; la disposition des notes nouvelles & des additions présente une confusion extrême; enfin les documents exhumés

en si grand nombre dans ces derniers temps ont été négligés, les questions que la science moderne agite & celles qu'elle a résolues sont omises ou traitées avec une insuffisance notoire. La réimpression de M. Paya, dénuée de toute valeur sérieuse, n'a pas tardé à tomber dans le discrédit le plus complet.

Une troisième édition était indispensable; elle est entreprise avec le sentiment de respect qu'inspire la grande autorité des Bénédictins, avec les ressources qui sont aux mains de l'érudition contemporaine, & dans les conditions qu'exige la rénovation des études historiques. On remarque, en effet, dans l'œuvre de dom Vaissete, quelques lacunes qui proviennent de l'état encore peu avancé, à l'époque où il vivait, de plusieurs branches d'études. L'origine des populations de la Gaule, les établissements des Romains dans le pays & les questions qui se rattachent aux institutions dont ils ont doté la Narbonnaise sont loin d'être traités avec le développement que comportent les connaissances actuelles; l'épigraphie, qui en acquérant une précision longtemps ignorée a fait jaillir tant de clartés de l'interprétation des textes lapidaires, y est à peine représentée; la géographie de la Gaule méridionale aux premiers siècles de notre ère y est tracée assez imparfaitement, celle du moyen âge y manque complétement. La période historique comprise entre la conquête des Francs & l'avènement des Capétiens renferme de nombreuses erreurs provenant, pour la plupart, d'une véritable insuffisance critique à l'égard d'actes apocryphes dont la science moderne a démontré la fausseté. Au siècle dernier, de grandes obscurités régnaient encore sur les doctrines religieuses, l'enseignement & la vie privée des albigeois; l'importante question de l'organisation judiciaire & administrative de la Province au treizième siècle, celle de la réunion du Languedoc à la couronne demandent à être traitées de nouveau, surtout après les travaux récents dont ces matières ont été l'objet. Il en faut dire autant de l'organisation consulaire & des institutions communales que dom Vaissete n'a fait qu'effleurer en passant. Toutes ces questions & bien d'autres qu'il est possible d'entrevoir trouveront leur solution dans la nouvelle édition.

L'Histoire générale de Languedoc n'a pas été terminée : elle devait avoir un sixième volume qui aurait renfermé une continuation depuis la mort de Louis XIII sous forme d'annales, des notices spéciales sur les diocèses, les abbayes, les couvents & autres établissements religieux du Languedoc, les

suites chronologiques des archevêques & des évêques, des abbés & des abbesses, celles des gouverneurs & lieutenants généraux, des intendants, des sénéchaux, des viguiers, châtelains & autres officiers judiciaires ou militaires, celles enfin des comtes, des marquis, ducs & autres seigneurs de la Province. De là, un autre ordre de lacunes que l'on s'est efforcé de combler.

La nouvelle édition, entreprise par M. Édouard Privat, libraire à Toulouse, tout en reproduisant le plan fondamental des Bénédictins & le texte qui émane de leur rédaction personnelle, aura donc l'avantage de suppléer à ce qu'il peut y avoir de défectueux ou d'insuffisant dans leur œuvre & de la compléter par les additions nécessaires. Pour atteindre ce but, l'éditeur s'est adjoint des savants dont les travaux ont consacré la réputation ou qui par leurs études antérieures ont prouvé leur aptitude à traiter les questions qui se rattachent à l'histoire du Midi. Nous ne mentionnerons ici que ceux auxquels est dévolue la part la plus considérable dans la tâche commune, nous réservant de nommer les autres en tête des volumes suivants, au fur & à mesure qu'ils feront profiter le public de leurs travaux ou de leurs recherches.

M. Édouard Dulaurier, membre de l'Institut, désireux de contribuer à restaurer un monument élevé à la gloire de son pays natal, a retracé dans l'Introduction l'histoire du livre & la biographie de ses auteurs.

M. Émile Mabille, membre de la Société des antiquaires de France, reverra l'œuvre des Bénédictins dans son ensemble; il revisera les textes & en complétera la publication par l'addition de documents nouveaux, chroniques, chartes ou inscriptions du moyen âge. Il traitera, dans une série de notes particulières, les matières que devait renfermer le sixième volume de l'édition originale.

M. Edward Barry, professeur d'histoire à la Faculté de Toulouse, membre de l'Institut archéologique de Rome, &c., outre ses annotations sur les périodes gauloise & gallo-romaine, s'est chargé de la publication aussi complète que possible des inscriptions antiques du Languedoc & de l'Aquitaine.

M. Germer-Durand, conservateur de la Bibliothèque de la ville de Nimes, qui travaille depuis plusieurs années à recueillir celles de l'ancien diocèse de Nimes, lui prêtera son concours.

L'histoire générale de la Province, depuis la mort de Louis XIII jusqu'en 1790, sera écrite par M. Ernest Roschach, membre de l'Académie des sciences, inscriptions & belles-lettres de Toulouse. Ce ne sera point, comme le supplément projeté des Bénédictins, une sèche nomenclature de faits coordonnés sous forme d'annales, mais une étude attentive, & fondée sur les documents originaux, des conditions mêmes de la vie provinciale en Languedoc pendant les trois derniers règnes. On y pourra suivre, dans tous ses détails essentiels, le vaste travail de transformation qui s'est opéré au sein de notre ancienne société & ressaisir les principaux traits d'une organisation politique encore mal connue & plus mal jugée. Une précieuse collection de documents inédits recueillis pendant plusieurs années, dans les grands dépôts de Paris & de la Province, complétera cette œuvre laborieuse & en formera la justification.

M. Boutaric, professeur à l'École des chartes, traitera l'histoire des institutions administratives en Languedoc au treizième siècle.

Les suites numismatiques & la sigillographie de la Province seront décrites par M. Charles Robert, membre de l'Institut, avec la collaboration de M. Anatole de Barthélemy, membre de la Société des antiquaires de France, & de M. Chalande, membre de la Société archéologique du midi de la France.

MM. Guessard, membre de l'Institut & Paul Meyer, secrétaire de l'École des chartes, ont promis de revoir les textes romans édités d'une manière assez défectueuse par les Bénédictins. Ils y joindront plusieurs pièces ou disserta

tions nouvelles.

M. Zotenberg, attaché au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, tracera le tableau des connaissances actuelles sur l'origine & les institutions sociales des Visigoths & sur la domination des Maures dans le midi de la France.

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