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ET

SON HISTOIRE GÉNÉRALE DE LANGUEDOC

LES COLLABORATEURS ET LES PROMOTEURS DE CET OUVRAGE

INTRODUCTION HISTORIQUE'

I

Projet d'une Histoire de la Province.

L

Ce travail est confié aux bénédictins de Saint-Maur. Premiers collaborateurs désignés, les PP. Auzières & Marcland. [1708-1714.]

ES monuments qu'a élevés le génie de l'homme, sous l'inspiration de la science, de la poésie ou de l'art, & que les générations se sont transmis d'âge en âge, réveillent les plus intéressants, les plus nobles souvenirs qu'aient enregistrés les annales des nations. Le livre qui fait l'objet de la présente publication est une de ces créations les plus remarquables, & sous ce rapport, l'histoire de ses origines & des travaux dont il est le résultat mérite d'être connue. Nous allons donc essayer de retracer la biographie des auteurs de ce livre & celle des hommes généreux sous les auspices desquels ils l'écri

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virent, & dire dans quelles circonstances il se produisit au milieu du mouvement littéraire du siècle dernier.

C'est aux États généraux de Languedoc que revient l'honneur d'avoir conçu l'idée & d'avoir assuré l'exécution d'un ouvrage, qui suffirait à lui seul pour rendre impérissable la mémoire de cette illustre & patriotique assemblée. Non contents d'avoir doté la Province d'établissements utiles, de l'avoir sillonnée de routes & de canaux, vivifiée par les encouragements donnés à l'agriculture, à l'industrie & au commerce, d'avoir été pendant des siècles les gardiens vigilants de ses franchises & de ses prérogatives, les dispensateurs économes & intelligents de ses finances, les États voulurent aussi qu'elle possédât un corps d'annales digne d'elle & rappelant à la postérité les événements qu'avait vus s'accomplir un passé long & souvent glorieux. Ils en confièrent la rédaction à des hommes passés maîtres dans l'art des recherches historiques, érudits consommés, dont le savoir est devenu proverbial, aux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Ils contribuèrent pour leur part à cette grande entreprise en pourvoyant avec munificence aux frais qu'elle occasionna, à l'entretien des religieux qui en furent chargés, en leur prodiguant les encouragements & les récompenses, en les couvrant d'une constante & efficace pro

tection.

Le dix-huitième siècle se levait sur le déclin du règne de Louis XIV; c'était le moment où la France achevait de s'épuiser dans sa lutte contre l'Europe coalisée pour lui disputer la succession d'Espagne; le Languedoc était agité par les troubles qu'avait suscités l'insurrection religieuse des montagnards des Cévennes. Malgré les préoccupations & les embarras de cette situation, accrus par les rigueurs inaccoutumées d'un interminable hiver, par la ruine du commerce & la détresse générale', les États, piqués d'émulation par le succès qu'avait rencontré partout dans le royaume l'Histoire de Bretagne, résolurent d'enrichir la Province d'une production analogue. La proposition leur en fut faite par M. Charles le Goux de la Berchère, archevêque de Narbonne, & en cette qualité, président perpétuel, ou, comme on disait alors, président-né de ce corps politique. Inspirateur de ce projet, M. de la Berchère a le droit de nous arrêter ici quelques instants que nous emploierons à le présenter à la respectueuse curiosité du lecteur.

Sa naissance le rattachait à l'une des plus anciennes & des plus riches maisons de la Bourgogne, dans laquelle était héréditaire la charge de premier président du parlement de Dijon. Son père Pierre, baron de Toisy & de Sypierre, comte de Rochepot, marquis d'Inteville 3, d'abord pourvu de cette charge, venait de passer avec le même titre à celui de Grenoble. C'est en

On peut voir le tableau des souffrances qui affligeaient à cette époque le Languedoc dans le discours prononcé par M. le Goux de la Berchère à l'ouverture des États de 1709; imprimé in-4° de 8 pages. Bibliothèque nationale, catalogue imprimé, Lk 14, n. 113.

Par dom Guy-Alexis Lobineau, de la congrégation de Saint-Maur; 1707, 2 vol. in-folio.

3 Voir l'oraison funèbre du premier président Pierre, écrite en latin par Laurent Crozat, de Valence. In-12. Grenoble, 1654. Bibliothèque nationale, catalogue imprimé, Ln 27, n. 10 650.

cheminant pour aller rejoindre son mari dans ce nouveau poste, que madame de la Berchère, surprise par les douleurs de l'enfantement, mit au monde le futur primat de la Gaule Narbonnaise. La mort du président, survenue quelque temps après, la fit rentrer à Dijon, dans le sein de sa famille, & lui laissa le soin de diriger l'éducation du jeune Charles & ses premiers pas dans la carrière de la vie; elle s'en acquitta avec la sollicitude d'une mère aussi éclairée que tendre. Dès qu'il eut atteint l'âge de quinze ans, elle le conduisit à Paris & le plaça au collège d'Harcourt; il y fit deux années de philosophie, qui furent couronnées par le grade de docteur en Sorbonne. Sa constante application à l'étude, sa vie réglée & austère dénotaient en lui une vocation décidée pour l'état ecclésiastique; il entra au séminaire de Saint-Sulpice, alors dirigé par M. Tronçon. Dans cette pieuse maison son goût pour la retraite & la prière, son amour des saintes lettres se développèrent de plus en plus, & pour s'y livrer tout entier il songea à embrasser la vie monastique. Il s'ouvrit de ce projet à son supérieur; mais M. Tronçon & M. le Camus, évêque de Grenoble & depuis lors cardinal, l'en détournèrent, en l'engageant à rester dans le monde & à y consacrer ses talents au service de Dieu & de l'Église. Nommé, grâce au crédit de sa mère, aumônier du roi, il accompagna Louis XIV dans ses campagnes de Flandre; sa piété, sa modestie & son exactitude à remplir les devoirs de son ministère le firent distinguer par le monarque qui lui donna, en 1677, l'évêché de Lavaur. Dans ce diocèse le protestantisme avait détaché un grand nombre d'âmes de l'unité catholique; le prélat les y ramena par ses bonnes & douces exhortations. En 1685 il obtint l'archevêché d'Aix; mais les difficultés qui divisaient en ce moment la France & la cour de Rome retardèrent l'expédition de ses bulles. Pendant les quinze mois qu'il passa dans la capitale de la Provence, & qu'il administra le diocèse sous le titre de vicaire général du chapitre, sa présence y fut signalée par le bien qu'il fit en pacifiant les démêlés que son prédécesseur, le cardinal Giraldi, avait eus avec le parlement d'Aix & les autres cours judiciaires, en interposant sa prudente médiation, comme président des États de Provence, entre la cour & le peuple.

A la mort de M. de Serroni, archevêque d'Albi, en 1697, il fut choisi pour le remplacer. En 1703, Narbonne ayant perdu son chef spirituel, le cardinal de Bonzi, le roi qui appréciait les vertus apostoliques de M. de la Berchère, son caractère droit & ferme, tempéré par un esprit de modération & de bienveillance, & son mérite comme savant, lui confia ces importantes fonctions'. Elles étaient à la fois religieuses & politiques; au primat de la Gaule Narbonnaise appartenait de droit la présidence des États de Languedoc, mission aussi honorable que délicate & périlleuse à remplir par la difficulté de concilier

'Ces détails biographiques sur M. de la Berchère sont extraits de son Eloge historique, composé par M. Gauteron, membre de la Société des sciences de Montpellier, & inséré dans le tome II, p. 78

(année 1778) de l'Histoire de cette académie, ainsi que de trois oraisons funèbres publiées en 1730. Bibliothèque nationale, catalogue imprimé, Ln 27, section biographique, no 10646, 10647 & 10648.

les intérêts sans cesse en conflit de la Province & de la royauté. Personne n'était plus capable que M. de la Berchère de s'acquitter dignement du double devoir qui lui était imposé; il était entouré de l'estime & de la considération universelles, & il en eut une preuve, quelques années plus tard, lorsque, en 1715, il fut appelé à présider l'assemblée générale du clergé de France & à haranguer le roi' à l'occasion de son avénement.

Dans la séance des États du 24 janvier 1708 il leur présenta sa motion relative au projet d'une Histoire de Languedoc; elle fut accueillie avec acclamation & de vifs remercîments; en même temps on le pria de prendre toutes les mesures nécessaires pour la réalisation de ce projet aussi honorable qu'avantageux, & il fut décidé que cette délibération serait imprimée & que les exemplaires en seraient distribués dans toute la Province 2.

M. de la Berchère s'occupa aussitôt de remplir son mandat; il rendit compte aux États de ses premières démarches dans la séance du 24 janvier de l'année suivante : il leur apprit qu'il avait cru ne pouvoir mieux faire que de recourir à la congrégation des bénédictins de Saint-Maur que recommandaient le succès récent de l'Histoire de Bretagne & une connaissance approfondie des anciens titres; qu'il avait demandé au supérieur général des religieux capables de répondre aux vues des États, & que celui-ci avait promis d'en envoyer au plus tôt un certain nombre dans la Province. L'archevêque d'Albi, se rendant l'interprète des sentiments de l'assemblée, remercia le président des soins qu'il s'était donnés & le supplia de les continuer.

Les deux cénobites sur lesquels tomba le choix du père général étaient dom Pierre Auzières & dom Antoine-Gabriel Marcland. Le premier, né à Montpellier en 1650, avait fait profession à l'âge de vingt ans dans l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes, le 13 juin 1670; il s'était élevé par son mérite aux dignités du cloître 3 & comptait en ce moment cinquante-neuf ans; le second, dom Marcland, natif de la Chaise-Dieu, dans le diocèse de Clermont, avait prononcé ses vœux à Saint-Augustin de Limoges, le 2 octobre 1659, à peine âgé de dix-sept ans. Suivant un des biographes de la congrégation de Saint-Maur, dom Tassin, « Marcland y soutint toute sa vie l'honneur de << sa pieuse famille par la bonne odeur de ses vertus & par la beauté de son esprit; il avoit professé avec beaucoup de succès la philosophie & la théologie << dans la province de Toulouse & y avoit gouverné, en qualité de prieur, les <«< monastères les plus considérables 4. » Dans la même séance, les États accordèrent aux deux religieux une rémunération annuelle dont le chiffre, qui nous

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'Louis XV, qui, âgé de cinq ans, venait de succéder depuis quelques mois à Louis XIV, sous la régence de Philippe d'Orléans. Le discours de M. de la Berchère a été publié sous le titre de : Harangue faite au Roy sur son avènement à la couronne & sur la mort du Roy son bisaïeul, par Monseigneur l'Archevêque de Narbonne, président de l'assemblée générale du clergé, le mardy 3 septembre de l'année 1715.

Paris, même année. In-4° de 7 pages. Bibliothèque nationale, catalogue imprimé, Lb 38, n. 62.

Délibération des Etats de Languedoc pour faire travailler à l'Histoire de la Province. Voir Pièces justificatives, 2a série, n. 1.

3/Dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur. In-4°, 1776; p. 725, n. 1. 4 Ibid.

est inconnu, fut très-probablement le même que celui de la pension dont jouirent leurs successeurs, c'est-à-dire de mille livres à partager entre eux par moitié; il fut aussi résolu qu'un fonds serait fait pour subvenir aux frais des recherches à entreprendre dans les archives & les bibliothèques, des copies & des voyages'. Auzières & Marcland ne tardèrent pas à se mettre en route; ils employèrent cinq années à visiter les bibliothèques & à faire des extraits de tous les ouvrages imprimés où ils pouvaient trouver des indications ayant trait à leur sujet; ils consultèrent aussi, à ce qu'il paraît, les registres des délibérations des États. Mais il restait à exécuter le plus essentiel de leur tâche, le dépouillement des archives qui recélaient tout ce qu'il y avait d'inédit & de neuf; l'archevêque de Narbonne, en sa qualité de primat & de président des États, avait rendu une ordonnance destinée à leur en ouvrir partout l'accès 2. Au lieu d'en profiter & d'accomplir cette partie préalable & fondamentale de leur programme, nos deux religieux la négligèrent comme s'ils n'en comprenaient pas même la nécessité & l'importance. Telle fut du moins l'impression de M. de la Berchère qui, augurant mal de l'avenir & du succès de leurs efforts, ne put leur dissimuler ses craintes & son mécontentement. Dès lors la mésintelligence se glissa entre eux & le prélat, & bientôt elle dégénéra en récriminations réciproques 3. L'archevêque porta ses plaintes au supérieur général de Saint-Maur, le P. Charles de l'Hostallerie, en réclamant de lui la nomination de nouveaux collaborateurs. Cette demande était assez embarrassante : l'âge, les vertus des PP. Auzières & Marcland, le travail considérable qu'ils avaient déjà exécuté méritaient des égards; il devenait impossible de les congédier brusquement. D'un autre côté, le père général tenait à ne point désobliger M. de la Berchère : il prit un moyen terme; il laissa Auzières & Marcland continuer leur besogne séparément, & lui donna deux autres religieux, dom Devic & dom Vaissete. Mais tandis qu'il faisait cette concession.

Voir la Lettre du P. Auzières à dom Vaissete,

du 28 octobre 1715; Correspondance, n. 1.

Cette ordonnance, rendue le 15 mars 1712, en exécution de la délibération des États du 24 janvier 1708, prescrivait aux archevêques & évêques de la Province, aux chapitres métropolitains, cathé draux & autres, aux abbés, prieurs & monastères, à tous seigneurs spirituels & temporels, aux maires, consuls & magistrats des villes, de communiquer aux religieux bénédictins, porteurs de ladite ordonnance, les actes, titres & documents qui étaient en leur pouvoir. Pièces justificatives, 2o série, n. 3. 3 Lettre précitée du P. Auzières.

4 Nous transcrivons ce nom en un seul mot, en nous guidant d'après la signature habituelle de dom Devic, qu'on rencontre notamment au folio 101 du t. 181, fonds de Languedoc, à la bibliothèque nationale. C'est l'orthographe adoptée aussi par M. Eugène Thomas dans son Introduction bibliographique à l'Histoire générale de Languedoc (Publi

cations de la Société archéologique de Montpellier, 21 livraison, 1851. In-4°, Montpellier). Mais dans cette Histoire même, sur le frontispice, & à la signature de la Dédicace aux États, on lit De Vie en deux mots séparés. Il semble que ce religieux ait cherché à s'anoblir, tandis que dom Vaissete a fait tout le contraire en supprimant la particule qu'il avait incontestablement le droit de placer avant son nom & en signant: Joseph Vaissete au lieu de : Joseph de Vaissete. Nous avons respecté la forme de ces noms partout où nos deux auteurs les ont inscrits; mais dans notre Introduction nous avons cru devoir rétablir la véritable orthographe du nom de Devic, par les mêmes raisons qui ont déterminé M. Eugène Thomas. Nous avons aussi conservé au nom de dom Vaissete la forme archaïque sous laquelle il l'a écrit; l'orthographe moderne exigerait que la pénultième qui porte l'accent tonique fùt frappée d'un accent grave ou suivie de deux t consécutifs.

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