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A NOSSEIGNEURS DES ÉTATS DE LANGUEDOC

NOSSEIGNEURS,

L'ouvrage que nous avons l'honneur de vous présenter vous appartient par toute sorte de titres. Nous l'avons entrepris par vos ordres. Un grand Prélat', président de vos assemblées & passionné pour l'honneur & les intérêts de la Province, en a conçu & proposé le dessein; son illustre successeur2, également respectable par sa naissance & par ses éminentes qualités, l'a soutenu & en a favorisé l'exécution. Ce sont enfin les trois ordres de vos États qui en font le principal objet.

Tous ces motifs nous ont engagés, NoSSEIGNEURS, à le mettre sous votre protection. Le sujet semble la mériter par lui-même : c'est l'histoire de votre Province, l'une des plus belles portions du royaume, & la plus feconde en événemens célèbres; c'est le riche trésor de vos chartes & le recueil précieux des titres sur lesquels sont fondés les droits & les prérogatives qui distinguent si glorieusement le Languedoc des autres provinces de France, & qui ne sont pas moins des marques de l'affection de ses souverains à son égard, que des récompenses honorables de la fidélité inviolable de ses peuples; ce sont les annales de vos assemblées que nous avons recueillies avec toute l'exactitude & la précision que demande un sujet aussi important.

'M. Charles le Goux de la Berchère, archevêque de Narbonne.

'M. René-François Beauvau du Rivau, archevêque de Narbonne.

C'est dans ces actes publics que vous trouverez, Nosseigneurs, les services éclatans que vos illustres & respectables prédécesseurs ont rendus à nos rois, au Royaume & à l'Église; les secours extraordinaires, toujours proportionnés à l'affection & à l'amour des peuples, qu'ils ont fournis pour le soutien de la couronne, & dans les besoins de l'État; leur attention à faire fleurir dans la Province la religion, les sciences, les arts & le commerce; à faire régner la paix & la police dans les villes; à réprimer le désordre & récompenser le mérite; à rendre les chemins publics commodes & aisés; à conserver & réparer les édifices anciens, dignes monumens de la grandeur & de la magnificence romaine; leur fermeté à soutenir leurs droits sans blesser ceux du prince; leur application à observer les règles de la justice & de la charité dans les impositions publiques; leurs études à soulager les peuples, à les occuper utilement pour eux & pour l'État, en un mot, à ne rien oublier pour les rendre heureux & tranquilles.

Illustres descendans de tels ancêtres, vous êtes animés du même esprit : comme eux, vous n'avez d'autre objet que le bien commun, la gloire de la nation & l'amour de la patrie. C'est en marchant sur leurs traces que vous avez porté vos vues à exécuter le dessein qu'ils avoient eu autrefois de faire rassembler en un corps tous les titres dispersés qui pouvoient regarder les intérêts de la Province, ou de chacun de ses ordres. En procurant cette Histoire, vous remplissez leur intention. Trop heureux si notre ouvrage pouvoit mériter votre approbation, & si nos recherches & nos découvertes pouvoient justifier le choix que vous avez fait de nous pour un travail si important. Nous osons du moins assurer que personne ne l'auroit entrepris avec plus d'ardeur & de désintéressement, avec un amour plus sincère de la vérité, qui est le caractère propre de l'histoire, & avec une passion plus forte de vous persuader que nous sommes avec un profond respect,

NOSSEIGNEURS,

Vos très-humbles & très-obéissans serviteurs,

Fr. CLAUDE DE VIC, Fr. JOSEPH VAISSETE.

PRÉFACE

DE L'ÉDITION ORIGINALE

P

ERSONNE n'ignore que la province de Languedoc est une des plus belles, des plus étendues & des mieux situées du royaume, & peut-être la plus féconde en événemens. Son histoire mérite par là une attention singulière : cependant on peut dire que ceux qui jusqu'ici y ont travaillé n'en ont donné que des ébauches très-imparfaites. Feu M. DE LA BERCHÈRE, archevêque de Narbonne, prélat recommandable par son amour pour les lettres, autant que par son zèle pour les intérêts & la gloire de la Province, est le premier qui ait formé le dessein d'une Histoire complète de Languedoc, où en détaillant tous les faits, on n'oublieroit rien de ce qui concerne les mœurs, les coutumes & le gouvernement politique des peuples.

Il le proposa dans l'assemblée des États tenue à Montpellier au mois de janvier 1709, & après y avoir représenté les avantages qu'on pouvoit en espérer, il eut, avec la satisfaction d'être applaudi, la gloire de se voir chargé de la conduite de cet ouvrage, & du choix des ouvriers. Il jeta d'abord les yeux sur notre congrégation, & lui ayant fait l'honneur de le lui offrir, le général qui la gouvernoit alors, pour répondre à cette marque de distinction, nomma les RR. PP. dom Gabriel MARCLAND & dom Pierre AUZIÈRES, deux religieux de mérite & très-capables de cette entreprise. L'un & l'autre travaillèrent séparément dans la Province durant plusieurs années; & après avoir tiré des différentes bibliothèques tout ce qu'ils crurent utile à leur dessein, ils dressèrent des mémoires assez considérables; mais leur âge déjà avancé ou leurs emplois ne leur ayant pas permis de continuer leur travail & de se charger de celui des archives qui étoit le plus essentiel, nous fûmes substitués à leur place en 1715.

Pour nous conformer aux vues de Nosseigneurs des États, nous avons cru devoir commencer d'abord par la recherche des titres & des autres monumens anecdotes. Nous y avons employé plusieurs années, soit à Paris, soit en Languedoc, sous la protection de

M. DE BEAUVAU, qui, en succédant à M. de la Berchère, a succédé aussi à son ardeur & à son empressement pour tout ce qui peut être avantageux ou honorable à la Province, & en particulier pour la perfection de cet ouvrage.

A cette recherche dont on a déjà rendu compte en partie dans un mémoire particulier, & qui par le grand nombre des pièces curieuses qu'elle nous a fournies jettera un grand jour sur l'histoire de Languedoc, nous avons joint le secours qu'on peut retirer des auteurs anciens & modernes : nous avons consulté nous-mêmes tous ceux qui pouvoient nous être de quelque usage.

C'est sur ces matériaux que l'ouvrage que nous présentons au public a été composé. Notre objet principal est d'y rapporter tout ce qui s'est passé de mémorable dans la Province & dans les pays particuliers qui la composent, & d'appuyer ses usages, ses droits & ses prérogatives sur les titres les plus authentiques.

Comme elle comprend, outre presque toute la Narbonnoise première, une partie considérable de l'Aquitaine première, avec une portion de la Viennoise & de la Novempopulanie, & que ces différens pays n'ont été unis pour former un même corps que vers le commencement du treizième siècle, il n'a pas été possible en rapportant les événemens qui s'y sont passés de ne pas parler jusqu'à ce temps-là, à cause de leur liaison nécessaire, de ceux des anciennes provinces dont autrefois ils faisoient partie. On doit d'ailleurs remarquer que pendant plusieurs siècles Narbonne a été la métropole de toute la Narbonnoise, & Toulouse, en trois différens temps, la capitale d'un royaume fort étendu; que le domaine des ducs de Septimanie ou marquis de Gothie & des comtes de Toulouse renfermoit une partie considérable des provinces voisines, & qu'enfin depuis que le nom de Languedoc fut mis en usage, au treizième siècle, on comprit sous cette dénomination, jusques au règne de Charles VII, presque la moitié de la France; ce qui fait que notre histoire est plutôt celle de la partie méridionale du royaume que celle d'une province particulière. Cette remarque paroît importante pour prévenir les reproches qu'on pourroit peut-être nous faire d'avoir passé au delà des bornes de notre sujet.

Pour donner ici une légère idée des principaux événemens qui doivent faire le fond de l'histoire de Languedoc, le premier qui se présente, c'est la sortie de ses anciens peuples qui portèrent le nom & la gloire des armes des Gaulois dans la Germanie, la Pannonie, l'Illyrie, la Grèce & la Thrace, subjuguèrent une grande partie de l'Asie Mineure, & firent rechercher leur amitié ou leur secours par la plupart des princes ou des peuples de l'ancien monde. La République romaine ajouta dans la suite cette province à sa domination, moins par la force des armes que par la soumission volontaire des peuples; aussi leur accorda-t-elle des priviléges singuliers. La Narbonnoise qui avoit déjà pris en partie la politesse des Grecs, acheva d'adoucir ses mœurs par son commerce avec les Romains; dans peu on ne la distingua plus des provinces les plus civilisées de l'Italie. Ses habitans furent les premiers des Gaulois admis dans le sénat, & elle fournit à Rome non-seulement un grand nombre de sénateurs d'un mérite distingué, mais encore divers empereurs, des capitaines, des consuls, plusieurs autres magistrats & des gens de lettres, qui se rendirent également recommandables.

Le Languedoc fut une des premières provinces des Gaules qui reçut les lumières de la foi & qui la défendit au prix du sang de ses martyrs. Il a donné depuis un grand nombre de saints & de savans évêques, tant aux églises du pays qu'à celles des provinces & des royaumes voisins; trois ou quatre papes, plusieurs cardinaux. L'état monastique qui y fut établi dès le quatrième siècle y devint bientôt florissant, & parmi un grand nombre d'abbés & de religieux qui ont illustré le pays par leurs vertus & par leurs travaux, il suffit de nommer le célèbre saint Benoît d'Aniane, dont la plupart des monastères de France embrassèrent la réforme au commencement du neuvième siècle. La Province éprouva, comme les autres parties de l'empire d'Occident, les funestes suites de sa décadence. L'empereur Honoré (Flavius Honorius) en céda une partie aux Visigoths, & les successeurs de ce prince furent enfin obligés de leur abandonner le reste. Ces peuples établirent aussitôt dans le pays le siége de leur empire, dont ils étendirent les limites en deçà & en delà des Pyrénées, & formèrent ainsi un royaume trèsconsidérable. Ils perdirent, environ un siècle après, la meilleure partie de leurs États dans les Gaules que les François leur enlevèrent; ce qui engagea leurs rois à transférer leur siége en Espagne. Ils conservèrent cependant la Septimanie ou Narbonnoise première qui, étant province frontière de ces deux nations jalouses, devint le théâtre de la guerre toutes les fois qu'il s'éleva quelque différend entre elles.

Le royaume des Visigoths fut détruit par les Sarrasins qui envahirent sur eux l'Espagne & la Septimanie au commencement du huitième siècle. Les Infidèles, non contens d'avoir subjugué cette dernière province, portèrent de là leurs courses dans le reste des Gaules. Charles Martel & Eudes, duc d'Aquitaine, les battirent en diverses rencontres; la gloire de les chasser entièrement au delà des Pyrénées étoit réservée à Pepin le Bref, premier roi de la seconde race, qui unit à la couronne tout le Languedoc, dont ses prédécesseurs n'avoient possédé jusqu'alors qu'une partie. Ce prince, pour récompenser la soumission volontaire des peuples de cette province, les maintint dans leurs usages & leurs libertés. Charlemagne, son successeur, érigea quelque temps après l'Aquitaine en royaume, dont le siége fut établi à Toulouse, & dont la Septimanie fit partie pendant plusieurs années, jusqu'à ce qu'elle en fût détachée pour former un gouvernement général, conjointement avec la Marche d'Espagne, dont elle fut désunie dans la suite. Ce royaume finit & fut réuni au reste de la monarchie après la mort de Charles le Chauve.

Les ducs & les comtes n'avoient été jusqu'alors que de simples gouverneurs. Il faut en excepter Eudes & les ducs d'Aquitaine de sa famille, qui, pendant la plus grande partie du septième siècle & du suivant, possédèrent héréditairement cette province avec une autorité presque souveraine. On a tâché de développer l'origine du premier jusqu'à présent assez obscure, & on se flatte de l'avoir fait avec quelque succès. Cette matière est d'autant plus intéressante pour notre histoire, qu'il paroît certain que le duché d'Aquitaine, possédé par Eudes & ceux de sa race, ne fut pas différent du royaume de Toulouse cédé par Dagobert I à son frère Charibert.

L'usurpation des droits régaliens par les ducs & les comtes changea la face du gouvernement du Languedoc à la fin du neuvième siècle. Les comtes de Toulouse, les marquis

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