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An de Rome

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des sept parties qui le composoient & qui formoient autant de ponts séparés. Ce monument, qui étoit digne de la magnificence romaine, ne subsiste plus

reconstruire sur plusieurs points, ou dans ceux des ouvrages avancés dont il avait fallu la couvrir de loin en loin, pour la mettre à l'abri des nouvelles inventions de l'artillerie. Disposés sur une ou deux lignes, à la suite les uns des autres, ces curieux débris, dont on semblait comprendre pour la première fois toute l'importance, y formaient comme une sorte de frise continue qui entourait la ville moderne des souvenirs & des splendeurs de son rassé.

A l'exception de quelques fùts de colonnes & de quelques grands morceaux d'entablement détachés des monuments dont nous venons de parler, la plupart des débris exhumés à cette époque provenaient, suivant toute apparence, des tombeaux très-variés de forme & de taille qui bordaient la voie Domitia, au dessus comme au-dessous de la ville. C'est au moins à ces monuments qu'appartenaient les épitaphes plus ou moins ornées qui alternent avec les bas-reliefs, dans les murs construits sous François Ier 11. Mais les mutilations dont ils portent presque tous les traces ne permettent point de douter qu'ils n'aient été plusieurs fois taillés & mis en œuvre avant d'être remis au jour par les architectes de la Renaissance. Il est même certain aujourd'hui que cette exhumation, quoique inspirée par un sincere amour de l'antiquité, a été funeste à la plupart d'entre eux, exposés sans abri à l'air humide & salé de la mer, qui en a détruit ou altéré un grand nombre.

Le musée, plus ancien qu'on ne le croit, cù plusieurs de ces monuments avaient été déposés à diverses époques, à côté du célèbre autel d'Auguste qui peut en être considéré comme le point de départ, a pris, dans ces dernières années, une importance inattendue, par suite de la démolition des vieux murs qui entouraient la ville depuis le seizième siècle. C'était la première fois, en effet, que ces marbres inscrits ou sculptés, à peu près inabordables à la hauteur où ils étaient placés, à moins d'échelles ou d'engins plus ou moins désa

Le marquis Scipion Maffei, qui étudiait, en 1732, les antiquités de Narbonne, dont le savant Séguier relevait pour lai les inscriptions moins a térées alors qu'el es ne le sont aujourd'hui Voyez le mss. de Ségier à la Bibliothèque de Nimes), avait été appé de cet immense musée en plein vent, dont il n'avait encore vu nule part le par.i! &mme l'analogus. (Antiquit. Gall. select. p. 28.) Millin, qui visitait Narbonue dans les pre nières années du dix-neuvième siècle, en parle à peu près dans les mêmes termes. (Voyage dans les de, artements du Midi, t. 4, p. 383.)

Dans la cour ou sous l'escalier du pa'ais de l'archevêché, recta && transformé depuis en hôtel de ville. (Voyez au to ne H. Fintroduction à l'épigraphie de Narbonne.)

gréables, se trouvaient réunis sous la main da l'épigraphiste qui a besoin, aujourd'hui surtout, d'étudier de très-près leurs légendes altérées. Aux textes connus & publiés depuis longtemps, que reproduisent les recueils épigraphiques en se copiant souvent les uns les autres, sont venus se joindre un certain nombre de marbres & de textes inédits, que l'on ne s'attendait point à retrouver ainsi noyés à l'intérieur des murs auxquels ils servaient, depuis la Renaissance, de revêtement ou de frise. Nous signalerons, parmi ces textes intéressants à divers titres, le petit poëme funèbre où se trouve résumée en huit vers, d'une latinité encore pure, l'histoire de l'affranchi Caius Ofillius Amandus, dont le nom inconnu jusqu'ici figurera désormais avec honneur dans l'épigraphie narbonnaise ". Le cippe, sur lequel étaient gravés les quatre distiques, au-dessous du nom du défunt, était couvert dans toute son étendue d'une couche épaisse de mortier, dont nous avons eu beaucoup de peine à le débarrasser après trois ou quatre jours de travail, ce qui explique par quel hasard il avait échappé à l'attention des architectes érudits du seizième siècle. -Espérons que la Narbonne du dix-neuvième comprendra à son tour l'importance de ces monuments, qui sont le plus net comme le plus sûr de son histoire à l'époque romaine, & qu'elle tiendra à honneur de conserver, pour les autres & pour elle-même, ces souvenirs d'un temps où elle passait avec raison pour la ville la plus peuplée, la plus commerçante & la plus civilisée de la Gaule.

Le plus célèbre, & probablement le plus ancien des temples de la ville, était dédié à Jupiter, comme celui du Capitole de Rome, dont il rappelait, dit un écrivain ancien, les dimensions & la masse imposante "3. On le désignait familièrement à Narbonne sous le nom générique d'AEdes (l'édifice, le temple,, & sous celui de Capitolium, qui s'était

1 Elle sera reproduite avec les textes inédits dont nous venons de parer dans l'épigraphie de la ville, au tone II de cette nouvelle édition.

14 C'est à ces divers temples que s'appliquerait l'appellation plurielle & cette fois exacte de delubris chez Sidoine. (L.I. v. 41.)

15 Quodque tibi quondam pari › de marmore templum Tantae molis erat, quintam non sperneret o im Tarquinius Catulusque iterum, postremus & ille Aurea qui statuit Capitoli culmina Caesar.

(AUSON. Narb. v. 14-17.)

16 Une riche corporation d'ouvriers qui tenait ses assemblées au voisinage & au-dessous du temple, était connue à Natbonne sous le nom de Fabri subaediani narlonenses oa Nar eneses, comme nous l'apprend une belle inscription (clie de Sextus Fabius Musa), que nous publierons dans l'épi

depuis près de deux siècles. L'endroit où il étoit autrefois s'appelle encore aujourd'hui, par corruption, le Pont Serme, de son ancien nom.

étendu de proche en proche aux édifices voisins du temple, & mème au quartier que ces édifices couvraient en grande partie ". Il était bâti, ou tout au moins revetu de marbre blanc, que la ville tirait à grands frais de l'Italie ou de la Grèce, & entouré probablement d'une enceinte de portiques qui encadraient une cour intérieure (area), à laquelle on accédait par les gradins d'un escalier monumental. Mais on en est réduit à de pures conjectures sur la forme & l'ornementation du monument, qui aurait disparu d'assez bonne heure, s'il faut prendre au pied de la lettre le mot quondam dont se sert le poëte en le décrivant :

Quodque tibi quondam pario de marmore templum Tantae molis erat...

(Ausos. 1.1. v. 14-15.)

On ne sait pas même d'une manière certaine à quel ordre d'architecture il appartenait, & quel était le nombre, la dimension, & la disposition des colonnes qui entouraient ou qui précédaient la cella, c'est-à-dire la nef de l'édifice. A Thamugas, en Algérie, qui avait aussi son Capitole, dédié aux trois grands dieux des Romains, & entouré d'un portique carré dont les colonnes renversées jonchent encore le sol 1, le temple, proprement dit, n'avait

graphie de la province. Cet adjectif subaedianus, qui figure à peine dans les dictionnaires les plus complets (Voyez FREUND, sub voce), me parait identique au composé subidianus (fabri su idiani) que je retrouvais récemment dans une inscription espagnole de Cordoue & dont les académiciens de Berlin ne paraissent pas s'expliquer le vrai sens : Fab i subidiani, fortasse a schla, in qua conveniebant, nomine ita dicii suit. (Corp. inscr. lat : Inscr. hispan.; edid. Aem. Hübner, Corduba, n. 2211.)

17 C'est à ces Capitoles provinciaux, dédiés le plus souvent A Jupiter, à Junon & à Minerve, que songeait surtout Vitruve, quand il recommandait de les asseoir autant que possible sur le point culminant de la cité, afin que les dieux tatélaires (tutela) pussent embrasser cu regard la plus grande partie des murailles. Aelibus ver sacris quorum deorum maxime in tutela civita, videtur esse, ut lovi & Junoni & Mine, vae, in excelsissimo loco un te moenium maxima pars conspiciatur, areae distri uantur.» (VITRUV. Arch. 1. 1, c. 7.)

18 Comme à Pompái, comme à Besançon (Voyez le savant Mémoire de M. A. Castan, sur le Capitole de Vesumtio. conférences de la Sorbonne, année 1858, Paris 1869, page 47 & suiv.), & même à Toulouse, s'il faut prendre au pied de la lettre le témoignage souvent cité de Si3oine Apollinaire: De gradu summo Capitoliorum Praecipitatum.

(SIDON. APOLL. Epist. 1. 9, 16 C. V. CATEL, Mém. pour l'Hist. du Languedoc, p. 815.)

19 Nous empruntons ces détails à une belle inscription de Thimagas, publiée par M. Léon Renier, dans son Recueil des Inscriptions de l'Algérie, n. 1525, & à une note de l'éminent épigraphiste sur les ruines du temple, qu'il a ctudiées sur les lieux. (Voyez M. A. Castan, 1.7. not. 2.)

pour ornement qu'un pronaos ou péristyle à fronton, soutenu par quatre colonnes cannelées de dimensions colossales, analogues à celles qui flanquaient le grand temple de Narbonne, & dont on a retrouvé les bases, déplacées & mutilées, au voisinage du monument 20.

L'édifice tout laïque cette fois auquel s'était étendu le nom de Capitolium qu'il a conservé pendant le moyen âge (sous sa forme latine Capitolium ou sous sa forme romane Caplueil & Capduel), n'avait rien de commun que le nom avec le temple dont nous venons de parler ". Mais les témoignages d'actes authentiques qui le décrivent ou le mentionnent assez fréquemment pendant plusieurs siècles, ne permettent point de douter qu'il ne füt situé dans la partie la plus élevée de la Cité, à quelque distance de la porte de Béziers (porto Rey) & des murs actuels de la ville, dont l'enceinte paraît s'ètre élargie & dilatée de ce côté surtout, chacun des remaniements qu'elle a subis. Il y a plus d'une raison de croire qu'il n'était à l'origine, comme les Capitoles de plusieurs autres villes gallo

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Une de ces bases, découverte dans l'intérieur de la ville, dit M. Tournal, n'a pas moins de 140 de diamètre, mesuré dans le renflement du tore monolithe dont elle est surmontce. Une autre base du même genre & presque de la même taille (125), récemment découverte sur l'emplacement que couvrait anciennement le Capitole (Voir plus loin), à trois mètres au-dessous du sol actuel, servait de support à une colonne engagée, ce qui semblerait indiquer que le monument était pseudo lipteros, comme le disaient les Grecs, c'est-à-dire en d'autres termes que les murs de la cella étaient jalonnés intérieurement de demi-colonnes ou de quart-de-colonnes, fai ant suite aux colonnes isolées du pronaos (tétrastyle ou hexastyle), & séparées par les mêmes ent ecolonnements. Mais tout cela ne prouverait point d'une manière absolue que le temple de Narbonne ait été de style corinthien, comme l'était incontestablement le Capitole de Syila, terminé & dédié par Catulus. - Les nombreux fragments de frises, d'entablements & de chapiteaux corinthiens, que l'on remarquait sur divers points des murailles & que les archéologues nurbonnais attribuent pour la plupart à leur Capitole, paraissent avoir appartenu à des monuments distincts, & iniérieurs en taille au grand temple décrit par Ausone. Il est à regretter, du reste, que ces débris intéressants à plus d'un titre n'aient encore été ni mesurés ni étudiés sérieusement, pas plus que le sol antique de la ville, où leurs substructions sont restées cufouies.

De'ubris, capitoliis (poet, pr. capitolio), monetis.
(SIDON. .l. v. 5.)

Voir pour ce monument les détails souvent incomplets recuci lis par Catel (Mém, pour l'Hist. du Langue loc, p. 77) & par Pierre de Marca (Marca Hispanica, c. VIII, § 4), auquel nous devons pourtant la meilleure étude dont les monuments antiques de Narbonne aient encore été l'objet.

* Nous citerons notamment une charte de 1275, une de 1277 & une de 1352, dont les textes encore inédits nous ont été signalés par notre excellent ami M. Tournal, que nous voud ions pouvoir remercier ici une fois pour toutes, des services de toute espice qu'il nous a rendus dans le cours de ces recherches.

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Le grand nombre d'inscriptions romaines qui restent encore à Narbonne sont des preuves de son ancienne splendeur. Il y en auroit de plus considéra

romaines, qu'une des anciennes portes de la Civitas, flanquée extérieurement de deux grosses tours en saillie que reliait l'une à l'autre une galerie percée de croisées en plein cintre, & à laquelle seront venues s'ajouter plus tard des constructions d'âge & de caractère distincts 23. On s'expliquerait ainsi comment ce palais (praetorium), habité probablement à l'époque romaine par les gouverneurs de la province & par les préfets du prétoire quand ils séjournaient dans la ville, était devenu, après la chute de l'Empire, la résidence habituelle des rois wisigoths, qui embrassaient des fenètres de leur palais, dit Grégoire de Tours, la riche plaine de Ligoria & la riante colline du mont Laurès, au pied de laquelle jail!it la belle source de la Mayral. Il était représenté au quinzième siècle par une sorte de donjon carré, que l'on citait alors comme « la « plus haute, la plus forte & la plus ancienne tour « de la ville13, » & que les archevêques firent raser, après de longues contestations avec les vicomtes & les consuls de la ville.

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Le Forum, dont l'existence remontait aussi aux premiers temps de la colonie, comme le prouve une des inscriptions du célèbre autel d'Auguste, était probablement situé à peu de distance des monuments dont nous venons de parler, dans la partie supérieure de la ville, qui en était, à cette époque, la plus salubre & la mieux habitée. Sidoine, qui se contente de le désigner par son nom foro au

3 Le monument ainsi agrandi aux dépens de l'enceinte qui se dépla ait, & aux dépens du temp'e qui avait fini par disparaitre, parait avoir couvert une partie de l'espace où se sont élevés depuis la butte toute lactice des trois moulins & l'ancienne église Saint-Sébastien, avec es maisons qui l'avoisinent. Du côté du sud, il aurait occup! une partie de la cour de l'ancien couvent Saint-Bernard, où l'on distingue encore au niveau du sol des assises de tour rondes, reliées par de grands murs solidement construits, mais sans traces d'appareil romain grand ou petit. - Le Château Narbonnais de Toulouse, qui a servi pendant des siècles de résidence aux gouvernants ou aux gouverneurs de la vilie, n'etait aussi à l'origine qu'une de ces portes de viile, convertie en chateau par des travaux d'aménagement pratiqués du côté de l'intérieur, comme ceux de la Porte Narbonnaise à Carcassonne qui remonte au douzième siècle.- A Nimes la célèbre porte d'Auguste à laquelle aboutissaient t ois voies antiq ies (Voyez plus loin), était de même encaissée au milieu du Château Vieux bâti sous Charles VI, en 1371), & n'a reparu à demi entouie qu'en 1793, Jors de la démo ition de cette autre bastille.

24 GREGOR. TURON. De gloria Martyr., l. 1, c. 2. C'était pour jouir pleinement de cette belle vue que le roi Alaric II, sur les suggestions du rhéteur Léon, son conseiller, avait fait abaisser d'autorité a toiture ou la voute de la basiJique Saint-Félix (deponatur ex hoc aedificio una structura ma hinae, l.l.), située hors des murs comme toutes les anciennes églises de la ville.

* Texte d'une charte de 1354. Marca Hispan.. 1. 1, c. 8. § 5. 6. Plebs Narbonensium aram Narbone, in foro, posuit.» (Voir, au tome II, le Recueil des inscriptions de Narbonne.)

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L'aire du Forum, c'est-à-dire l'espace découvert que cette enceinte encadrait, était décorée intérieurement, comme celle du grand temple, de monuments d'âge ou de style divers (autels, édicules, &c.), & de statues de marbre ou de bronze dont les bases, chargées d'inscriptions, s'alignaient au-dessous des colonnes, en longeant les degrés du portique". Le forum de la ville d'Arles, que Sidoine nous décrit ailleurs, en termes beaucoup plus explicites, conservait encore, vers le même temps, cette décoration monumentale de colonnes & de statues derrière lesquelles se cachaient, dit-il, les plus compromis des complices de Paeonius, déconcertés par la présence de l'empereur Majorien & par le mouvement unanime d'adhésion que sa vue paraît avoir provoqué dans la ville comme au dehors 3°. Le poëte lui-même,

7 Parmi ces monuments inconnus figurait au moins une basilique que Vitruve ne sépare jamais du Forum (VITR. 1. 5, c. 1). Elle servait à la fois de lieu de réunion, de bourse & de tribunal pour les magistrats impériaux ou municipaux.

28 On voit encore aujourd'hui dans le cloitre Saint-Just, où elles auraient été découvertes au commencement de ce siècle, s'il faut en croire Millin (.. p. 382), trois colonnes en granit gris des Pyrénées (les deux plus grandes ont 5-10 de hauteur, sur o 70 de diamètre), qu'il est difficile de rattacher à aucun des temples de la ville, puisque ces temples étaient batis en marbre blanc, comme le prouvent les débris de taille & de style divers auxquels nous aisions tout à l'heure allusion. On serait donc en droit de supposer qu'elles appartenaient à quelqu'un des monuments laiques de la ville, comme le macellum, les thermes, e heâtre (Voyez plus loin), ou les portiques du forum dont la colonnade devait êt e, comme celle du grand temple, d'un développement considérable. Nous ferons remarquer incidemment que ces colonnes monolithes, les scules que l'on ait retrouvées intactes au milieu de tous ces débris mutilés, rappellent par le galbe, par la teinte & par les dimensions, les colonnes noirâtres de la Mezquita de Cordoue, dont une partie provient de Narbonne, comme nous l'avons reinarqué.

19 Les statues du forum de Pompéi, dont on a retrouvé les bases encore en place (au nombre de vingt-deux), étaient dédiées le plus souvent aux magistrats municipaux de la cité, aux duumvirs particulièrement qui représentaient, dans les colonies & les municipes, les consuls annuels de Rome. La ville; qui les élevait quelquefois à ses frais (pec'unia] publica) à la suite d'un déc et rendu par le conseil des décurions (EX 1 [ecreto] Decurionum]), devait, dans tous les cas, céder le sol ou l'emplacement (locus) qui leur serv it de base, puisque cet emplacement, pris sur la place publique, appartenait à la commune.

30... .. Alii, ne salutarent, fugere post statuas, occuli post columnas. (SIDON. Epist. I. I, ep. 11.)

bles, si on pouvoit faire quelque fond sur les conjectures ingénieuses, mais trop hasardées, d'un auteur moderne, qui attribue à cette ville ou à la Nar

en s'y présentant de bon matin, suivant l'usage, le lendemain de son arrivée, s'était vu entouré de conjurés dont les uns lui prenaient les mains, tandis que les autres se jetaient à ses genoux ", ce qui prouve une fois de plus que le forum des villes romaines était encore, à cette époque, le lieu de rendez-vous & comme le salon sub Dio de la population tout entière. On y venait de très-loin quelquefois apprendre ou colporter des nouvelles, discuter les affaires de la ville & même celles du pays, dans des groupes animés qui se formaient autour de quelque orateur populaire ou de quelque personnage considérable, & l'on pesait ainsi sur les décisions des magistrats municipaux ou sur les arrêts des juges, qui continuaient à siéger eux-mêmes dans l'aire dallée du forum ou dans quelqu'un des grands édifices qui l'entouraient. A Pompéi, dont l'histoire s'arrête, comme on le sait, à l'an 79 de notre ère, les murs de ces grands édifices, ceux du chalcidicum d'Eumachia, par exemple, étaient couverts de réclames électorales écrites à la main (graffiti) dans des compartiments blanchis à la chaux (album) & encore lisibles sur plusieurs points, quoique telle ou telle de ces manifestations remontât aux premiers temps de l'empire. Elles émanaient le plus souvent des corporations ouvrières, qui étaient nombreuses & puissantes dans toutes les villes romaines, & qui paraissent avoir exercé partout une influence considérable sur les affaires de la cité, car il était très-rare, à Pompéï au moins, que les électeurs ne se conformassent point à ces préférences de la foule, exprimées quelquefois d'un ton d'autorité 3.

Des greniers & du marché public nous ne savons

31 Principe post diem viso, in forum ex more descendo... alii... plus quam deceret, ad genua provolvi. (S1DON. 1.1.)

32 Voici quelques-unes de ces réclames électorales qui nous ont conservé les noms de corporations à peu près inconnues jusqu'ici: A Vettium aed[ilem] Saccari (les portefaix) rog[ant-Marcellum aed|¡lem|| Tignari Plaustrari (les charpentiers en voitures) rog ant]. C. Iulium) Polybium | Ivir (duumvirum) Muli nes (les muletiers) rogant!. Postumium Proculum aedilem] | Offectores (les teinturiers) rogant. Secundum a dilem | Furnicatores (les fourniers, distincts sans doute des pistores) rogjanı].— M. Holconium | Priscum 11vir 1.D. (duumvirum iuri dicundo) Pomari universi (les fruitiers) | cun. Hietvio Vestale rogḥant.]

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Popi lium Rufum aedilem] | Piscicapi des pêcheurs) 0. V. F. (orant ut faciatis). Les maitres d'école de la ville ont, comme tout le monde, leurs candidats préférés & les recommandent, au nom de leurs élèves ou au leur, dans des affiches on la grammaire elle-même n'est pas toujours respectée: C. Capellam D. V. I. D. O. V. F. (uumvirum iuri dicundo orat ut faciatis) Verna cum discentibus. Sabinum & Rufum aed iles R. P. D. (e publica dignos) Valentinus cum discentes suos reglat). — (V. pass. Guarini, Fasti duumvirali ed Annali della colonia di Pompei; Nap. 1842; & Norbert Breton, Herculanum & Pompei, 1855.

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absolument que ce que Sidoine nous en apprend (... horreis, macellis, [poetic. pr. macello,] SIDON. 1.1. v. 42). Il n'est guère possible de douter pourtant qu'ils ne fussent situés aussi dans l'enceinte de la cité proprement dite (... ambitu; l.l. v. 39), comme plusieurs des arcs-de-triomphe (... arcubus; l.1. v. 42), encore debout à l'époque où le poëte habitait Narbonne, & l'hôtel des Monnaies de la ville (... monetis; [poetic. pr. moneta] l.l. v. 41), postérieur en date à la plupart des monuments que nous venons de citer, car rien n'indique que l'on ait frappé des monnaies à Narbonne avant l'époque de la tétrarchie. Le théâtre, dont on ignore aussi l'ancien emplacement, n'aurait pas été trèséloigné du forum ", s'il faut prendre au pied de la lettre les rapprochements quelquefois intentionnels du catalogue de Sidoine (... porticibus, foro, theatro; l.l. v. 40). Peut-être était-il, comme à Herculanum, entouré extérieurement d'un portique couvert qui communiquait avec celui du forum 14 & où les habitants (cives) trouvaient un abri contre le soleil ou contre la pluie, très-rare d'ailleurs dans leur pays. Les thermes qu'Antonin avait fait rebâtir avec leurs portiques (... ther[mas] incendio con[sumptas] cum porticibus]. Inser. Anton. imp.), à la suite du terrible incendie dont nous avons parlé, étaient situés, suivant une opinion fort accréditée à Narbonne, au voisinage de l'église Saint-Paul, où a été retrouvée l'inscription dédicatoire du nouveau monument 35 (la voir dans

"Il y a plus d'une raison de croire qu'il était situé aux environs de la cathédrale actuelle, sur l'emplacement de l'ancien cloitre de Saint-Just, où il existe encore, dans les caves de plusieurs maisons, des arceaux voûtés & cintrés qui servaient d'escalier ou de support aux gradins étagés de l'enceinte semi-circulaire (cavea: MILLIN, .., p. 392). — Quant à l'amphithéâtre, que les érudits du siècle dernier plaçaient au beau milieu de la ville, à côté d'un prétendu temple du dieu Circius, dont on croyait retrouver l'image dans des masques scéniques représentés, suivant l'usage, la bouche ouverte & les joues gonflées, il est bien certain aujourd'hui qu'il était situé comme partout, en dehors & à quelque distance des murs, où l'on en a retrouvé, il y a plusieurs années, les assises & le mur d'enceinte, au bord du chemin qui menait de Narbonne à Gruissan. L'ellipse du monument mesure extérieurement 138 mètres de longueur sur 95 mètres de largeur maximum.

34 Ce portique, contigu au mur de la scène, était soutenu, à Herculanum, par trente-quatre colonnes d'ordre dorique, que Ton a retrouvées encore en place lors des premières touilles (1739-1765); elles étaient en brique, revêtues de stuc, rudentées & peintes en rouge jusqu'au tiers de leur hauteur, blanchies & cannelées ensuite jusqu'à la naissance des chapiteaux. (V. W. GELL, Mazois, &c., &c.)

35 Elle était encore, au temps de Pierre de Marca, encastrée dans le pavé de l'église (in pavimento basilicae Sancti Pauli; Marca Hisp. 1. 1, c. 8. § 5), près du maitre-autc), d'où elle a été retirée en 1715 par M. Macheco de Primeaux. lors at bé de Saint-Paul,

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bonnoise la fabrication de presque toutes les médailles du bas empire'. La commodité du port de Narbonne contribua beaucoup à la réputation & à l'étendue de son commerce. Ce port, qu'on regardoit du temps de Polybe comme le port

le Recueil des inscriptions de Narbonne, au tome II de cette édition). Pierre de Marca, auquel remonte cette attribution 36, avait cru en reconnaître les restes dans de vastes substructions découvertes de son temps, à peu de distance de la même église, & qui rayonnaient en divers sens jusqu'au delà des murs de la ville 37.

Le seul monument de l'antique Narbonne qui ait traversé, non sans restaurations, il est vrai 8, les quatorze ou quinze siècles qui nous séparent de l'époque impériale, est le célèbre pont qui joint encore la cité au bourg & que les anciens documents appellent, à cause de cela, le pont de la Cité 39. L'unique arceau qui le représente aujourd'hui est flanqué latéralement de deux arceaux beaucoup moins anciens, construits euxmêmes à l'aide de matériaux antiques & destinés à servir de base aux maisons qui resserrent encore la rue du Pont & le pont lui-même, suivant une habitude assez commune au moyen âge. Mais cet arceau n'était à l'époque romaine que la tête d'un pont considérable jeté sur le lit de l'Atax qui servait de port à la ville, comme nous l'avons dit "".

16 Les indications données par l'historien sur la forme de ces ruines (1.1.), où se réunissaient au moyen de canaux souterrains deux sources abondantes qui existent encore dans cette partie de la ville, s'appliqueraient au moins aussi bien à un château-d'eau (castellum divisorium) qu'à des thermes proprement dits, si elles appartiennent réelle nent à un moLument autique. Comment admettre d'ailleurs que les portiques, indiqués dans l'inscription comme une dépendance ou un complément de l'édifice, aient été construits en manière de terrasse sur les voùtes du monument (thermarum lax) aedificio superposita erat spaciosa & capax porticus, l.l.), au lieu de le flanquer latérale ment ou de le précéder comme ils le faisaient dans la plupart des thermes antiques ? Comment supposer ensuite que ce monument, d'un usage journalier s'il en tut, ait été situé, comme il le serait ici, en dehors & à quelque distance de la ville, représentée aujourd'hui par ce qu'on appelle toujours la Cité ?

37 Millin, qui paraît adinettre aussi l'existence de ces bains antiques, nous app end qu'ils ont été comblés pendant la Révolution pour établir une promenade sur le bastion voisin de l'église. (Voyage dans les départements du Midi, t. 4, p. 391.)

38 A commencer par celle du pré et du prétoire Agredinus, dont nous avons parle : Pontem, portas, aquid ctus... restauravit ac redidit Civitati. (Voyez, au tonie II, le kecueil tes Inscriptions de Narconne.)

39 Sus pntem Civitatis: Praeceptum Caroli regis, cité par Catel, Mém. pour l'Hist. du Langued. 1. 5, p. 777. 40 L'Aude, qui n'était nulle part navigable en amont de Narbonne à l'époque romaine (... nisi ubt Nar onem attingit nusquam naviga ilis; MELA, 1. 2, c. 5), ne l'était pas davantage au moyen âge, comme le prouvent les barrages qui coupaient de distance en distance le cours de la rivière, en faisant tourner de nombreux moulins dont que ques-uns existent encore; Molendina quae sunt su tus posten Civi

Les autres arches du pont qu'il serait intéressant de remettre au jour sont enfouies dans les remblais qui ont resserré par degrés le cours du fleuve, réduit aujourd'hui à un simple canal de dérivation, ou dans les caves des maisons construites sur ces remblais. Ce pont monumental, qui traversait le fleuve en ligne droite, se prolongeait au delà du fleuve lui-même par un long viaduc construit sur le sol toujours bas des lagunes & qui ne finissait qu'avec la lagune elle-même, au village actuel de Capestang (Caput Stagni), à quatre ou cinq milles romains de la ville 2. C'était au moyen de ce viaduc que la voie Domitia reliait Narbonne au continent, de la même manière à peu près que le lit canalisé de l'Aude la reliait à la mer. Il était formé de remblais plus ou moins élevés qui alternaient avec de nouveaux ponts jetés sur les cours d'eau qui coupaient la route, ou sur les flaques plus ou moins étendues qui représentaient la lagune (stagnum, stagna), asséchée déjà en partie. Le dernier de ces ponts, comme les appelle Ausone d'un

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tatis (CATEL, 1.1.). C'était donc au pont de la Cité que commençait non-seulement le port de Narbonne, mais la navigation du fleuve, régularisée par de grands travaux dont nous reparlerons plus loin.

41 On m'a parlé à Narbonne de sept, huit & même neuf arceaux ainsi enfouis dans les caves ou sous les maisons du Bourg.

4 Le nom de Pont Serm ou Serme, que l'on trouve aussi dans les actes oficiels, n'était qu'une traduction ou une altération romane du mot Pons Septimus, sous lequel ce monument a été désigné jusqu'à l'époque de sa destruction. Voir les actes publics cités par Catel, I..: Ultra, supra Fonte Septimo, & par Marca, Custodes barragii, barrae, Pontis Seremi Marca Hispanica, c. 8. § 9.

43 La leçon pontesque que Pierre de Marca a proposée en s'appuyant sur les raisons de topographie que nous venons de résumer, nous parait préférable de beaucoup à la lecon montesque que reproduisent, en se copiant, la plupart des Citeurs d'Ausone, sans ea excepter M. Corper.

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