Images de page
PDF
ePub

lus point de ceux qu'on avoit déja destinés : ce qui l'obligea de faire pour moi le Prologue de sa Pieee. Cependant, ayant appris, à force de les entendre, tous les autres rôles, je les jouai successivement, ¿ mesure qu'une des Actrices se trouvoit incommodée ; car on représenta Esther tout l'hiver, et cette Piece, qui devoit être renfermée dans Saint Cyr, fut vue plusieurs fois du Roi et de toute la Cour, toujours avec le même applaudissement. »

Racine le fils ajoute. « Ces Demoiselles avoient été formées à la déclamation par l'Auteur même, qui en fit d'excellentes Actrices. Pour cette raison, il étoit tous les jours, par ordre de Madame de Maintenon, dans la Maison de Saint-Cyr ; et la mémoire qu'il y a laissée lui fait tant d'honneur qu'il m'est permis d'en parler. J'ose dire qu'elle y est chérie et respectée, à cause de l'admiration qu'eurent toutes ces Dames pour la douceur et la simplicité de ses mœurs...»

« Des applications particulieres contribuerent encore au succès de la Tragédie d'Esther. Ces jeunes et tendres fleurs, transplantées (dit Esther, scene premiere du premier acte, en parlant des filles de Sion) étoient représentées par les Demoi

selles de Saint-Cyr. La Vasthy, comme dit Madame de Caylus, avoit quelque ressemblance (avec Madame de Montespan ). Cet Esther qui a puisé ses jours dans la race proscrite par Aman (dit Mardochée, dans la troisieme scene du même acte ) avoit aussi sa ressemblance ( avec Madame de Maintenon ). Quelques paroles échappées à un Ministre (M. de Louvois ) avoient, dit-on, donné lieu à ces vers: Il sait qu'il me doit tout, &c. (que dit Aman, en par lant d'Assuérus, dans la premiere scene du troisieme acte ). On prétendoit aussi expliquer ces ténebres jettées sur les yeux les plus saints, dont il est parlé dans le Prologue; en sorte que l'Auteur avoit suivi l'exemple des Anciens, dont les Tragédies ont souvent rapport aux événemens de leur tems. »

Louis Racine rapporte ensuite ces deux passages de Madame de Sévigné, dans lesquels (Lettres cinq cents douzieme et cinq cents seizieme ) elle rend justice au mérite de cette Tragédie, et où elle raconte ainsi le succès qu'elle eut à la Cour. « Le Roi et toute la Cour ont été charmés d'Esther, dit-elle. M. le Prince

dame de Maintenon et huit Jésuites,

a pleuré. Ma

dont étoit le

Pere Gaillard (célebre Prédicateur et Directeur), ont honoré de leur présence la derniere représentation. Enfin, c'est un chef d'œuvre de Racine.... Il s'y est surpassé. Il aime Dicu comme il aimoit ses maitresses. (Racine le fils observe que Madame de Sévigné n'auroit pu nommer d'autres maîtresses qu'eût eu son pere que Madame Champmêlé). Il est pour les choses saintes comme il étoit pour les profanes. La Sainte Ecriture est suivie exactement. Tout est beau; tout est grand, tout est écrit avec dignité.

[ocr errors]

« Les grandes leçons que contient cette Tra-' gédie pour les Rois, que leurs Ministres trompent souvent, continue Louis Racine; pour les Ministres, qu'aveugle leur fortune, et pour les innocens, qui, prêts à périr, voient le Ciel prendre leur défense; les applaudissemens réitérés de la Cour, et, sur-tout, ceux du Roi, qui honora plusieurs fois cette Piece de sa présence, devoient fermer la bouche aux critiques. Cependant elle fut vivement attaquée. Plusieurs même de ceux qui avoient répété si souvent dans leurs Epîtres dédicatoires, ou dans leurs Discours Académiques, que le Roi étoit au-dessus des autres

hommes, autant par la justesse de son esprit que par la grandeur de son rang, ne regarderent pas, dans cette occasion, sa décision comme une loi pour eux. Je juge de la maniere dont cette Tragédie fut critiquée par une apologie qui en fut faite dans ce tems, et que j'ai trouvée, par hasard. »

« L'Auteur de cette apologie manuscrite (Louis Racine ne savoit apparamment pas le nom de l'Auteur de cette apologie d'Esther, puisqu'il ne nous l'apprend pas ) après avoir avoué que le jugement du Public n'est pas favorable à la Piece, et qu'il est même déja un peu tard pour en appeler, entreprend de montrer qu'elle a été jugée sans examen, et que tout son mérite n'est pas connu. Après l'avoir relevée par la grandeur du sujet, par les caracteres et la régularité de la conduite, il s'arrête à faire observer ce que les connoisseurs y remarquerent d'abord; cette maniere admirable et nouvelle de faire parler d'amour, en conservant à un sujet saint toute sa sainteté, et en conservant à Assuérus toute la majesté d'un Roi de Perse. L'amour s'accorde difficilement avec la fierté, encore plus difficilement avec la

sagesse.

sagesse. Cependant ce Roi idolâtre parle d'amour de maniere que rien n'est pur, ni si chaste, parce que devant Esther il est comme amoureux de la vertu même. »

La Comtesse de La Fayette, dans ses Mémoires de la Cour de France, pour les années 1688 et 1689, page 225 et suivantes, s'exprime d'une maniere curieuse sur cette Piece. « Pour amuser les jeunes Demoiselles de Saint-Cyr, dit-elle, Madame de Maintenon fit faire une Comédie par Racine, le meilleur Poëte du tems, que l'on a tiré de la Poésie, où il étoit inimitable, pour en faire, à son malheur et celui de tous ceux qui ont le goût du Théatre, un Historien, très-imitable. Elle ordonna au Poëte de faire une Comédie, mais de choisir un sujet pieux.... Racine choisit l'histoire d'Esther et d'Assuérus, et fit des paroles pour la musique. Comme il étoit aussi bon Acteur qu'Auteur, il instruisit les petites filles. La musique étoit bonne. On fit un joli Théatre et des changemens. Tout cela composa un petit divertissement, fort agréable, pour les filles de Madame de Maintenon. Mais, comme le prix des choses dépend ordinairement

« PrécédentContinuer »