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dommage est aisé à réparer, pourvu qu'on nous remette la peine que nous mériterions. Vivez heureux, mon trèscher frère et très-honoré seigneur, et soyez de plus en plus agréable aux yeux de Dieu.

RÉPONSE DE SAINT AUGUSTIN.

Je ne trouve point étrange que, malgré le froid de la vieillesse, l'amour de votre patrie se conserve en vous si ardent et si vif. Il y a même lieu de vous louer, et de ce que non-seulement vous vous rappelez ce beau mot, qu'un homme de bien croit ne pouvoir jamais assez faire pour sa patrie, et ne devoir jamais cesser de la servir, mais de ce que vous l'appliquez dans vos actions. Cela réveille en moi le désir que j'aurais de vous avoir pour citoyen de cette céleste patrie, dont le saint amour nous soutient dans les périls et les travaux que nous avons à souffrir au milieu de ceux de nos frères que nous tâchons d'aider selon nos forces, pour les conduire à ce bienheureux terme. Quelle joie serait-ce pour moi de vous compter dans le petit nombre de ceux qui doivent composer un jour cette divine république, et qui sont présentement comme des voyageurs sur la terre, travaillant les uns pour les autres, sans croire pouvoir jamais faire assez, et ne mettant non plus de bornes au temps qu'au désir de s'entr'aider? Par là vous seriez d'autant meilleur que la société à qui vous rendriez ces devoirs est plus excellente et plus sainte; et après l'avoir servie ici-bas, sans mettre de fin ni de bornes à votre zèle pour ses intérêts, vous goûteriez un jour avec elle une paix et un bonheur qui n'auraient eux-mêmes ni bornes ni fin.

Je ne désespère pas qu'il en soit ainsi, et qu'étant aussi sage que vous êtes, vous n'ayez peut-être déjà pensé aux moyens de conquérir cette céleste patrie, où vous a précédé Nectarius votre père. Mais en attendant, pardon

nez-nous si l'intérêt de cette patrie, où nous espérons vivre à jamais, nous force à contrister cette autre patrie où vous ne sauriez toujours vivre, mais que vous voudriez laisser dans un état florissant. En effet, pour peu que nous vinssions à discuter avec vous, sur ce que vous appelez un état florissant, nous vous ferions aisément discerner ce qui doit rendre une ville florissante, ou, pour peu que vous y voulussiez songer, vous n'auriez pas de peine à le découvrir par vous-même. Le plus célèbre de vos poëtes, en parlant des grands hommes de la ville de Rome, les appelle les fleurs d'Italie je ne sais s'il y a eu de ces sortes de fleurs dans votre ville; au moins n'y avons-nous pas trouvé des fleurs mais des armes pour nous outrager, ou plutôt des flammes pour nous consumer. Croyez-vous donc que pardonner un tel crime, et ne pas châtier ceux qui en sont coupables, ce serait vous mettre en état de laisser votre ville florissante? Quelles fleurs! et qu'en peut-on attendre que des épines au lieu de fruits? Qui peut le mieux à votre gré faire fleurir votre patrie, de la piété, ou de l'impunité? de la correction de ses mœurs ou de sa licence à tout entreprendre? Voyez par la comparaison de l'un et de l'autre, qui de vous ou de moi aime le mieux votre patrie, et qui souhaite le plus véritablement la voir dans un état florissant?

Consultez un peu ces mêmes livres de la république, où vous avez puisé ce sentiment si digne d'un bon citoyen, qu'un homme de bien croit ne pouvoir jamais assez faire pour sa patrie, et ne devoir jamais cesser de la servir. Considérez, je vous prie, quels éloges on y donne à la frugalité, à la tempérance, à la foi conjugale, à la pureté des mœurs, qui est proprement ce qui peut rendre une ville florissante. Or, c'est cette pureté de mœurs qu'on enseigne aux peuples dans toutes les églises, qui vont se multipliant par tout le monde, comme autant de saintes écoles où l'on apprend la vertu, et surtout la piété, en quoi consiste le vrai culte du vrai Dieu, qui non

seulement nous prescrit par ses saintes lois, tout ce qui rend l'homme digne d'être admis dans la république céleste, et d'entrer même en société avec lui, mais qui nous permet de l'accomplir par son secours. C'est pourquoi il a prédit que les images de toute cette multitude de faux dieux seraient renversées, et il nous a ordonné de les abattre. Car il n'y a rien qui corrompe plus les hommes, et qui les rende par conséquent plus impropres à la société civile, que l'exemple et l'imitation de dieux faits comme ceux que les livres du paganisme nous représentent.

Aussi voyons-nous que ces grands hommes qui ont tant cherché ce qui peut rendre parfaites les républiques de la terre (quoiqu'ils aient eu plus de soin de l'examiner dans des entretiens particuliers et de le consigner par écrit, que de le pratiquer et de l'établir par des actions. publiques), ont cru que pour former la jeunesse, il fallait lui proposer en exemple les hommes qui leur ont paru distingués par leur vertu plutôt que leurs propres dieux. Et en effet, ce jeune homme de la comédie de Térence, èn qui la vue d'un tableau qui représentait un adultère de Jupiter, rendit plus ardent et plus vif le feu dont il brûlait déjà, et qui crut ses désordres autorisés par un si grand exemple, n'aurait jamais ni conçu ni satisfait son mauvais désir, s'il avait voulu imiter Caton plutôt que Jupiter. Mais comment l'aurait-il pu, puisque la religion l'obligeait d'adorer Jupiter et non pas Caton?

Ce n'est pas néanmoins dans ces sortes d'ouvrages que nous devons chercher de quoi confondre les impies sur leurs désordres et leurs superstitions sacriléges. Mais enfin lisez ou rappelez-vous ce qui est dit si sagement dans ces mêmes livres de la république, qu'on ne souffrirait point les auteurs ni les représentations des comédies, si elles ne s'accordaient avec les mœurs des spectateurs; et reconnaissez que, de l'avis même de ce qu'il y a eu de plus grands hommes dans les républiques, et qui ont le mieux parlé de ce qui peut les rendre floris

santes, il est constant que les plus méchants le deviennent encore davantage quand ils imitent leurs dieux, qui ainsi ne sauraient être que de faux dieux.

Vous direz peut-être que les sages entendent et expliquent bien différemment ce que les anciens ont écrit des mœurs et de la vie des dieux? Mais quand avons-nous entendu proposer aux peuples rassemblés dans vos temples ces explications salutaires? Quoi! les hommes ont-ils donc les yeux si fermés à la lumière, qu'ils ne puissent les ouvrir à des vérités si palpables? On ne voit autre chose en peinture, en bronze, en marbre, en gravure, en prose, en vers, en comédies, en chansons, en danses, que Jupiter adultère si donc on avait eu quelques préceptes de lui qui allassent à condamner ces infamies, on devait tout au moins les faire lire dans son Capitole.

Quand tout un peuple court avec fureur, et sans que personne s'y oppose, aux représentations de ces actions de vos faux dieux, aussi honteuses qu'impies; quand elles font dans vos temples le sujet de vos adorations, et dans vos théâtres celui de vos divertissements; quand, pour les honorer par des victimes, on n'épargne pas même les troupeaux des plus pauvres, et que pour les représenter en comédies et en danses, on consume même le patrimoine des plus riches, c'est alors qu'on trouve qu'une ville est florissante. Étranges fleurs! O que la terre qui en produirait de telles serait maudite!

Voilà ce que je n'ai pu m'empêcher de répondre à la lettre où vous m'écrivez que, vous voyant près du terme de votre vie, vous souhaiteriez laisser votre patrie dans un état florissant. Qu'on abolisse pour jamais toutes ces abominations que les hommes s'appliquent au culte du vrai Dieu, à la piété, et à la pureté des mœurs; ce sera alors que vous verrez fleurir votre patrie, non au gré des insensés, mais au jugement des sages et selon la vérité; puisque ce sera par là que votre patrie terrestre deviendra une portion de cette céleste patrie dont nous devenons

citoyens, non par la naissance ordinaire et naturelle, mais en renaissant spirituellement et surnaturellement par la foi, et dans laquelle tous les saints et tous les fidèles, après l'hiver des travaux de cette vie, fleuriront à jamais dans le printemps de l'éternité. Voilà ce que nous souhaiterions pour votre patrie, et quelle est la disposition où nous sommes à son égard; ne voulant rien omettre de ce que commandent la douceur et la modération chrétienne, mais ne voulant pas aussi que ce qui s'est passé dans votre ville demeure un exemple pernicieux pour toutes les autres. Dieu nous permettra sans doute d'accorder ces deux choses, pourvu qu'il ne soit pas trop irrité contre les habitants de Calame. Car toutes les mesures que nous prenons pour ne pas sortir, en les châtiant, des bornes de la mansuétude et de la modération, seront renversées si Dieu, par un juste jugement, en a autrement ordonné, et qu'il ait arrêté, ou de les punir plus sévèrement après un si grand mal, ou de les laisser, par un effet bien plus terrible de sa colère, nonseulement impunis pour un temps, mais même sans amendement et sans conversion.

Vous m'alléguez le devoir et le caractère d'évêque, et vous me l'opposez comme une barrière qui vous a paru propre à nous arrêter; et après avoir avoué que votre ville est tombée dans un grand malheur par la faute que son peuple vient de commettre, et qu'à le traiter selon la rigueur des lois, il ne saurait éviter les peines les plus sévères, vous ajoutez : « Mais il est du devoir d'un évêque de ne faire que du bien aux hommes; de n'entrer dans leurs affaires que pour les rendre meilleures, et d'intercéder auprès de Dieu pour obtenir le pardon des fautes d'autrui. » Voilà précisément la conduite que nous tâchons de suivre : bien loin de punir personne des peines les plus sévères, nous intercédons pour les coupables, et nous nous efforçons de les garantir des derniers supplices: nous tâchons de procurer aux hommes le salut et le véritable bien, qui

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