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une dette, et non pas rendre un service gratuit. Et c'est pourquoi l'Écriture vous dit : « Dérobe au pauvre ton âme, rends-lui ce que tu lui dois, réponds-lui avec paix et mansuétude. »

D'ailleurs, pourquoi t'enorgueillir, ô riche? Pourquoi dire au pauvre « Prends garde de me toucher? » N'as-tu pas été, comme le pauvre, conçu dans le sein d'une femme, et comme lui n'es-tu pas né du sein d'une femme? Pourquoi vanter l'antiquité de ton origine? Vous avez coutume de faire état de la race de vos chiens aussi bien que de celle des riches; vous avez coutume de célébrer la noblesse de vos chevaux comme celle de vos consuls. Celui-ci, dites-vous, a été engendré par tel père, et c'est telle mère qui lui a donné le jour; celui-là se glorifie de son aïeul; c'est de ses bisaïeux que cet autre se relève. Mais que servent tous ces titres à celui qui est engagé dans la carrière? Ce n'est pas à la noblesse de l'extraction, c'est à la vitesse de la course que le prix est décerné. C'est une vie bien honteuse que celle où la noblesse de la race est en péril. Prends donc garde, ô riche! que les mérites de tes aïeux ne s'avilissent dans ta personne, et qu'on ne vienne à leur dire : « Pourquoi avoir choisi un tel homme ? Pourquoi l'avoir institué votre héritier?» Ce n'est pas dans les lambris dorés, ni dans des salles de porphyre que consiste le mérite de l'héritier. Ces magnificences font honneur, non aux hommes, mais aux métaux, par où les hommes sont punis. On a recours aux indigents pour se procurer l'or, et on le refuse aux indigents. Ceuxci travaillent donc pour acquérir, travaillent pour découvrir ce dont ils ne connaissent jamais la possession.

Sont-ce vos immenses palais qui vous inspirent de l'orgueil? Ils devraient plutôt vous humilier, puisque, assez vastes pour recevoir des populations entières, ils excluent la voix du pauvre. Aussi bien, à quoi servirait que cette voix se fit entendre, puisqu'alors même qu'elle est entendue, elle n'est pas écoutée? D'ailleurs, en éle

vant ces édifices, n'êtes-vous pas saisis d'une secrète honte? Car vous y voulez en quelque sorte surpasser vos richesses, et néanmoins vous n'y parvenez pas. Vous revêtez des murailles et vous mettez des hommes à nu. Il crie au seuil de ta porte, ô riche! l'homme qui est nu, et tu le négliges; il crie, cet homme nu, et tu t'inquiètes de quels marbres tu revêtiras tes parvis. Le pauvre demande de l'argent, et il n'en a pas; un homme supplie pour avoir du pain, et ton cheval ronge l'or sous ses dents. Tu mets ton plaisir dans des ornements précieux, quand d'autres n'ont pas de blé. Quel jugement, ô riche! tu amasses sur ta tête! Le peuple a faim, et toi tu fermes tes greniers; le peuple gémit, et toi tu joues négligemment avec les pierreries qui chargent tes mains. Infortuné! qui as le pouvoir d'arracher à la mort les âmes de tant d'hommes, et qui n'en as pas la volonté. La vie de tout un peuple pouvait être sauvée avec ce que vaut la pierre précieuse de ton anneau.

Tu es le gardien, non le maître de tes richesses, toi qui enfouis l'or dans la terre; tu en es l'administrateur, non l'arbitre. Mais là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. Ainsi avec cet or tu as enfoui ton cœur dans la terre. Vends plutôt cet or, et achète ton salut; vends cette pierre précieuse, et achète le royaume de Dieu; vends ton champ et rachète-toi la vie éternelle. Je te parle en vérité, parce que je n'emploie que des paroles de vérité. « Si tu veux être parfait, dit l'Évangile, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. » Et ne sois pas contristé par ce discours, de peur qu'il ne te soit dit à toi aussi ce qui fut dit à ce jeune riche: « Combien il est difficile que ceux qui ont de l'argent entrent dans le royaume de Dieu!» Mais plutôt, lorsque tu lis ces paroles, considère que la mort peut t'arracher ces richesses, la puissance d'un supérieur te les enlever; et enfin que tu échanges de petits biens pour de grands biens, des biens périssables pour des biens éternels, des

trésors d'argent pour des trésors de grâce. Parmi ces biens, ceux-là se corrompent, ceux-ci subsistent.

Considère que ces biens caduques, tu ne les possèdes pas seul; avec toi les possède la vermine, avec toi les possède la rouille qui consume l'argent. Ce sont là les compagnes que t'a données l'avarice. Vois, au contraire, quels débiteurs tu te crées par tes bienfaits: « Les lèvres des petits béniront le riche dans ses aumônes et deviendront le témoignage de sa bonté. » Tu rends ton débiteur Dieu le Père, qui, pour les secours dont tu as aidé le pauvre, te paye un intérêt, comme un débiteur à un bon créancier. Tu rends ton débiteur le Fils de Dieu, qui a dit : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais sans asile et vous m'avez recueilli; j'étais nu, et vous m'avez couvert. » Ce qu'on aura fait pour le moindre d'entre les hommes, il déclare que c'est pour lui qu'on l'aura fait.

Tu ne sais pas, ô homme, amasser des richesses. Si tu veux être riche, sois pauvre dans le siècle, afin d'être riche auprès de Dieu. Celui qui est riche en foi, est riche auprès de Dieu; celui qui est riche en miséricorde, est riche auprès de Dieu; celui qui est riche en simplicité, est riche auprès de Dieu; celui qui est riche en sagesse, en science, est riche auprès de Dieu. Il y en a qui, dans la pauvreté, ne manquent de rien; il y en a qui, au milieu des richesses, manquent de tout. Les pauvres ne manquent de rien qui, dans leur pauvreté profonde, sont riches des trésors de leur simplicité; les riches, au contraire, sont dans le besoin et ont faim. Car ce n'est pas en vain qu'il est écrit: Les pauvres seront établis audessus des riches, et les serviteurs prêteront à leurs maîtres; » parce que les riches et les maîtres ne sèment que des semences superflues et mauvaises, d'où ils ne recueilleront pas de fruit et ne moissonneront que des épines. Et c'est pourquoi les riches seront soumis aux pauvres et les serviteurs prêteront aux maîtres les biens spirituels;

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de même que le riche demandait au pauvre Lazare de lui procurer une goutte d'eau. Tu peux, toi aussi, ô riche, accomplir cette parole: « Sois généreux envers le pauvre, et c'est au Seigneur que tu auras prêté; car celui qui est généreux envers le pauvre, c'est au Seigneur qu'il prête. » (Saint Ambroise. Livre de Naboth.)

XV. LE PRODIGUE ET L'USURIER.

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Donc, tu demandes de l'argent et tu entreprends de faire naufrage. Ici entends les bruits frémissants de Charybde; là écoute les sirènes voluptueuses de la Fable, qui, par les doux accords de leur voix enchanteresse, attirent le navigateur dans des eaux ténébreuses, lui ôtant tout espoir de regagner sa demeure, objet de ses désirs. Aussitôt les marchands de parfums et d'objets de toute sorte font irruption, comme des chiens dont l'odorat exercé a flairé une proie errante des chasseurs, des pêcheurs, des oiseleurs, des cabaretiers aussi qui mêlent de l'eau au vin pur et qui n'en célèbrent pas moins à grand bruit l'excellente qualité, le terroir et la date; tout à coup des parasites entourent celui qu'ils avaient auparavant coutume de mépriser, ils le saluent, lui font cortége, le provoquent à la joie, l'excitent à la dépense disant : « Venez, et jouissons des biens qui se présentent, enivrons-nous d'un vin délicat; inondons notre corps de parfums, et ne laissons point passer la fleur du temps sans la cueillir. Couronnonsnous de roses, avant qu'elles se flétrissent; qu'il n'y ait aucune prairie que ne traverse notre luxure; laissons partout des marques de notre joie, parce que c'est là notre partage et notre destinée. » Cependant le festin s'apprête; la table se charge de mets étrangers et exquis; les convives sont servis par de brillants esclaves, achetés à grands frais et que l'on nourrit avec une dépense plus grande encore; on boit bien avant dans la nuit, car le jour s'est terminé avec le festin et n'a pas suffi à la débauche. Le prodigue se lève plein de vin, vide d'argent; il dort jusqu'au jour, et tout éveillé il croit rêver: car de même que, dans ses songes, il lui semble qu'il est devenu tout d'un coup riche de pauvre qu'il était; de même maintenant il lui

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