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mon cher Licentius, donnez-vous à mon Seigneur qui est le vôtre comme le mien et qui vous a départi un și beau génie. Car pour moi, que suis-je qu'un homme né pour yous servir par lui, et le servir avec vous?

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Ne vous l'ordonne-t-il pas lui-même ? Écoutez l'É-· vangile Jésus, y est-il dit, se tenait debout et criait : « Venez à moi, vous tous qui pliez sous le poids des afflictions et des peines, et je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et ne craignez point de vous ranger sous ma discipline je suis doux et humble de cœur; et vous trouverez auprès de moi le repos de vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau est léger? » Si vous n'écoutez pas ces paroles, ou qu'elles ne touchent que vos oreilles, que peut-on attendre du commandement d'un homme qui n'est qu'un serviteur non plus que vous; et que puis-je sinon gémir et pleurer de ce que c'est vainement que le Seigneur vous commande, ou plutôt qu'il vous exhorte, et qu'il vous prie de venir à lui, afin de vous soulager de vos fatigues? Peut-être qu'à un col roide et superbe comme le vôtre, le joug du monde est plus doux que celui de JésusChrist; mais quand le joug du Seigneur serait aussi pénible qu'il est doux, songez-vous quel est celui qui vous l'impose, et quelle récompense il promet à ceux qui le portent.

Allez dans la Campanie, et vous apprendrez du très-saint et très-illustre serviteur de Dieu, Paulin, de combien de grandeur mondaine il s'est déchargé sans hésiter, pour plier le col sous le joug de Jésus-Christ, avec une humilité d'autant plus courageuse qu'elle a été plus profonde et maintenant il s'avance avec joie et quiétude dans la voie du salut, sous la conduite du divin Sauveur. Allez et vous verrez quels sacrifices de louanges ce saint homme offre à Dieu des trésors de son esprit, faisant retourner au Seigneur tout ce qu'il a reçu de bon du Seigneur, de peur de tout perdre en ne rapportant pas tout à celui de qui il tient tout.

Pourquoi ces inquiétudes? Pourquoi ces agitations intérieures? Pourquoi prêtez-vous plutôt l'oreille au murmure trompeur des voluptés qui vous flattent, qu'à la voix d'un ami qui vous parle? Tout cela vous trompe, mon cher Licentius, tout cela meurt et précipite dans la mort ; il n'y a que la vérité qui ne trompe point; et il n'y a que Jésus-Christ qui soit la vérité.

Allons à lui, pour n'être plus exposés aux peines qui nous travaillent; et si nous voulons qu'il nous soulage, acceptons son joug; apprenons de lui qu'il est doux et humble de cœur, et nous trouverons le repos de nos âmes; car son joug est doux, et son fardeau léger.

Quoi! le démon veut que vous lui serviez de parure et d'ornement! Si vous aviez trouvé dans la terre un calice d'or, ne le donneriez-vous pas à l'Église? Vous avez reçu de Dieu un esprit tout d'or, et vous le faites servir à la volupté vous en usez comme d'un vase, dans lequel vous faites à Satan comme une libation de vous-même! Qu'il n'en soit pas ainsi, je vous conjure, mon cher Licentius : puissiez-vous sentir quelque jour avec quelle douleur et quels déchirements je vous écris! et, dès maintenant, prenez du moins pitié de moi, si vous n'êtes plus rien vousmême à vos propres yeux.

(Saint Augustin. Lettre XXVI.)

XVIII. DE LA SOLITUDE.

SAINT JÉRÔME A HÉLIODORE.

C'est par l'amitié sincère que la charité a formée entre nous, et par les sentiments de votre propre cœur, que vous devez juger de l'affection et de l'empressement avec lequel j'ai tâché de vous retenir avec moi dans le désert. Cette lettre même que je vous écris, et que mes larmes ont presque effacée, fait assez voir de quelle douleur je fus pénétré à votre départ, et combien de soupirs et de gémissements il me coûta. Mais, semblable à un petit enfant, dont les manières sont douces et flatteuses, vous parvîntes si bien à tempérer par vos caresses le mépris que vous faisiez de mes prières, que je ne sus quel parti prendre. En effet, que pouvais-je faire? Devais-je demeurer dans le silence? Je n'étais pas assez maître de mes sentiments, pour dissimuler ce que je souhaitais avec tant de passion. Devais-je vous presser davantage? Vous ne daigniez pas seulement m'écouter, parce que vous ne répondiez pas à l'amitié que j'avais pour vous. Quelque inutiles qu'aient été les efforts que je fis alors pour vous retenir avec moi, je veux bien encore aujourd'hui vous aller chercher, tout éloigné que vous êtes. C'est tout ce que peut faire la charité méprisée, et c'est là la seule ressource qui lui

reste.

Puis donc qu'en partant vous me priâtes de vous écrire, et que je vous promis de le faire dès que je serais entré dans le désert, pour vous exhorter à m'y suivre, je m'acquitte aujourd'hui de ma promesse. Hâtez-vous de venir. N'allez pas rappeler le souvenir des extrémités fàcheuses où vous vous vîtes réduit la première fois : ce n'est que par un dépouillement universel qu'on arrive à

la perfection que demande la vie solitaire. Que les peines et les difficultés qu'il vous fallut essuyer dans notre premier voyage ne vous épouvantent point; si vous croyez en Jésus-Christ, vous devez ajouter foi à ce qu'il dit dans l'Évangile : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. Ne portez avec vous ni sac, ni bâton ; » car c'est être fort riche, que d'être pauvre avec Jésus-Christ.

Mais que fais-je, et à quoi pensé-je de vous prier encore? Laissons là les prières et les caresses: quand l'amour est offensé, il doit se mettre en colère. Après avoir négligé mes prières, peut-être écouterez-vous mes reproches. Soldat efféminé, que faites-vous dans la maison de votre père? Quels retranchements y élevez-vous pour vous fortifier contre vos ennemis ? Quels hivers y passez-vous sous les tentes et les pavillons? Déjà l'on entend sonner la trompette du haut du ciel, déjà l'on voit paraître au milieu des nuées notre général, qui vient les armes à la main pour combattre le monde; un glaive à deux tranchants sort de sa bouche il coupe et renverse tout ce qu'il rencontre. Vous, cependant, on vous voit sortir de votre chambre pour aller au combat, et quitter l'ombre pour vous exposer aux ardeurs du soleil. Un corps accoutumé à la mollesse des habits ne saurait supporter le poids d'une cuirasse : le casque est un fardeau trop pesant pour une tête qui n'est couverte que d'un léger tissu une main énervée par l'oisiveté trouve la poignée d'une épée trop dure. Écoutez les paroles de votre roi :

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'Celui qui n'est pas avec moi, est contre moi; et celui-là dissipe, qui n'amasse pas avec moi. » Souvenezvous du jour où vous vous enrôlâtes, et où enseveli avec Jésus-Christ par le baptême, vous vous obligeâtes par serment à le servir, et à lui sacrifier jusqu'à votre père et votre mère. Voici que le démon fait tous ses efforts pour étouffer Jésus-Christ dans votre cœur ; et les ennemis

de votre salut ne voient qu'à regret entre vos mains, la solde que vous reçûtes lorsque vous vous engageâtes à son service. Quelques caresses que vous fasse, pour vous retenir, votre petit-neveu Népotien; quoique votre mère, les cheveux épars et les habits déchirés, vous montre le sein qui vous a allaité; quoique votre père se couche sur le seuil de la porte pour vous empêcher de passer: foulez-le courageusement aux pieds, et, sans verser une seule larme, courez promptement vous ranger sous l'étendard de la croix. C'est une espèce de piété, que d'être cruel dans ces occasions, et ce n'est que dans de pareilles conjonctures qu'il est permis de l'être. Un jour viendra que vous retournerez victorieux en votre patrie, et que, comme un brave soldat, vous marcherez la couronne sur la tête au milieu de la Jérusalem céleste. Alors devenu avec saint Paul citoyen du ciel, vous y demanderez le droit de cité pour vos parents; et comme c'est moi qui vous ai encouragé à vaincre, j'espère aussi que vous ne m'oublirez pas dans vos prières.

Au reste, je sais assez quels sont les liens dont vous dites que vous êtes embarrassé. Je ne suis pas insensible, et n'ai pas un cœur incapable de se laisser toucher: je n'ai été ni nourri du lait des tigresses d'Hyrcanie, ni formé dans le sein des rochers; j'ai passé comme vous par toutes ces épreuves. Tantôt votre sœur, qui est veuve, vous tient tendrement embrassé ; tantôt vos esclaves, qui vous ont yu grandir dès le berceau, vous demandent à quel maitre vous les laissez désormais; tantôt votre gouvernante, qui est aujourd'hui tout épuisée de vieillesse, et votre gouverneur, qui a pour vous la tendresse d'un père, vous représentent qu'ils n'ont plus longtemps à vivre, et vous conjurent de ne les point abandonner avant leur mort. Peut-être aussi que votre mère avec un front tout ride, vous répète souvent ces petites chansons qu'elle vous chantait autrefois pour vous faire teter.

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