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XXIII. DE L'AUMONE.

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Les grâces que nous avons reçues de Dieu et de JésusChrist sont grandes. Car le Père éternel a envoyé son Fils pour nous racheter et nous rendre la vie; et le Fils de Dieu a bien voulu devenir enfant de l'homme pour nous faire enfants de Dieu. Il s'est humilié afin de nous relever lorsque nous étions abattus. Il a été couvert de plaies afin de guérir les nôtres. Il s'est fait esclave pour nous tirer de l'esclavage. Il a souffert la mort pour nous procurer l'immortalité. Ces faveurs sont considérables et signalées. Mais quelle n'est pas la bonté de Dieu qui, ne se contentant pas d'avoir racheté l'homme, lui accorde encore les moyens de se sauver? Car Notre-Seigneur ayant guéri en venant au monde les blessures d'Adam et les morsures du serpent, notre ancien ennemi, il donna une loi à l'homme ainsi guéri, et lui commanda de ne plus pécher, de peur qu'il ne lui arrivât quelque malheur plus déplorable. Ce commandement, d'un côté, nous liait et nous obligeait à conserver notre innocence recouvrée; mais notre faiblesse, d'une autre part, nous en rendait incapables, si la bonté de Dieu venant encore à notre secours ne nous eût ouvert une voie en nous montrant les œuvres de justice et de miséricorde, pour purifier par là toutes les souillures que nous pouvions contracter ensuite. C'est ce que le Saint-Esprit témoigne dans l'Écriture : « Les péchés, dit-il, sont lavés par la foi et par les aumônes. Ce qui ne se doit pas entendre des péchés contractés avant le baptême, car ceux-là ont été effacés par le sang de Jésus-Christ. L'Écriture dit encore: Comme l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône efface les péchés. » C'est-à-dire que, comme l'eau du baptême éteint le feu de l'enfer, les aumônes et les bonnes œuvres

servent à remettre les péchés, et que, comme nous en avons une fois obtenu le pardon dans le baptême, la pratique continuelle des œuvres de miséricorde renouvelle en quelque sorte la vertu de ce sacrement, et nous fait encore obtenir la même grâce. C'est ce que Notre-Seigneur nous enseigne dans l'Evangile. Car, comme on reprenait ses disciples de ce qu'ils mangeaient avant d'avoir lavé leurs mains, il répondit : « Celui qui a lavé le dedans a lavé aussi le dehors; mais donnez l'aumône et toutes choses seront pures pour vous. » Par où il indique que ce n'est pas les mains, mais le cœur qu'il faut nettoyer, et que l'on doit avoir plus de soin de purifier les taches du dedans que du dehors, parce que l'esprit ne saurait être pur que le corps ne le soit aussi. Mais il ajoute en même temps que le moyen de nous purifier, c'est de faire l'aumône. Un Dieu miséricordieux enseigne à faire miséricorde, et, songeant à conserver ceux qui lui ont coûté si cher à racheter, il leur apprend comment ils peuvent se laver des fautes qu'ils commettent après le baptême. Reconnaissons donc la grandeur de ce bienfait, et puisqu'il est inévitable que nous recevions ici-bas quelques blessures, employons au moins ces remèdes pour les guérir. Et que personne ne se repose tellement sur son innocence qu'il s'imagine n'en avoir point besoin. Il est écrit : « Qui osera se glorifier d'avoir le cœur chaste, ou d'être exempt de péché? » Et saint Jean, dans son Epître : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. Mais si nous confessons nos péchés, le Seigneur est fidèle et juste, et il nous les pardonnera.» Si donc personne n'est exempt de péché, et que ce soit un orgueil ou une folie de le prétendre, ne devons-nous pas remercier Dieu de nous avoir fourni des moyens pour nous en purifier? Car il n'a jamais cessé dans les Écritures saintes, tant anciennes que nouvelles, d'exciter son peuple aux œuvres de miséricorde, et le

Saint-Esprit y commande partout à ceux qui aspirent au royaume du ciel de faire des aumônes : « Criez de toutes vos forces, dit-il à Isaïe, et ne vous y épargnez point. Faites retentir votre voix comme une trompette, et prêchez hautement à mon peuple ses péchés et à la maison de Jacob ses crimes. » Et, après leur avoir reproché leurs péchés et leurs abominations, et déclaré qu'ils avaient beau prier, jeûner, se coucher sur la cendre et sous le cilice, que tout cela n'apaiserait point la colère de Dieu, il leur fait entendre pourtant à la fin qu'ils le pourraient fléchir par leurs aumônes : « Faites part de votre pain, ajoute-t-il, à celui qui a faim, et recevez chez vous les pauvres qui n'ont point de retraite. Habillez ceux qui sont nus et ne méprisez point ceux de votre nation; et alors votre lumière éclatera tout d'un coup comme celle de l'aurore; vous serez parés de riches ornements; la justice marchera devant vous, et une splendeur divine vous environnera. Alors vous n'invoquerez pas plutôt le Seigneur qu'il vous exaucera, et vous parlerez encore, qu'il dira : Me voici.» Dieu lui-même nous enseigne les moyens de l'apaiser, qui sont les aumônes. C'est ce qui fait dire à Salomon : « Mettez votre aumône dans le sein du pauvre et elle vous obtiendra de vous délivrer de tout mal. » Et encore « Celui qui se bouche les oreilles pour ne point ouïr les cris du pauvre criera lui-même à Dieu, et ne sera point écouté. » Car celui-là se rend indigne de la miséricorde de Dieu, qui ne fait pas miséricorde, et il se ferme la porte de sa bonté, parce qu'il ferme son cœur aux prières des misérables. Le Saint-Esprit témoigne encore la même chose dans les Psaumes: « Bienheureux, dit-il, celui qui pense aux besoins du pauvre et de l'indigent; le Seigneur le délivrera dans le mauvais jour.» Daniel se souvenait de ces préceptes lorsque le roi Nabuchodonosor, étant effrayé d'un mauvais songe, il lui donna ce remède pour détourner les malheurs dont il était menacé : « Que Votre Majesté, dit-il, suive mon conseil. Rachetez vos péchés

par des aumônes et vos injustices par des actions de charité, et Dieu vous pardonnera vos offenses.» A quoi ce roi n'ayant pas voulu obéir, il tomba dans les calamités que son songe lui présageait et qu'il aurait pu éviter s'il eût racheté ses péchés par des aumônes. L'ange Raphaël, dans Tobie, confirme aussi le même précepte, et exhorte à faire l'aumône avec joie et libéralement : « La prière, dit-il, est bonne avec le jeûne et l'aumône, parce que l'aumône délivre de la mort et efface les péchés. Il témoigne par là que nos oraisons sont moins puissantes lorsqu'elles ne sont pas aidées des aumônes. Il nous apprend que ce sont les aumônes qui rendent nos prières efficaces, qui nous garantissent des dangers, qui délivrent nos âmes de la mort. Ce qu'il ne faut pas considérer comme une explication que je donne de moimême aux paroles de l'ange, puisque les Actes des apôtres rapportent une histoire qui prouve que l'aumône ne délivre pas seulement de la seconde mort de l'âme, mais aussi de la première. Car une femme nommée Tabitha, qui se recommandait par ses aumônes et ses bonnes œuvres, étant morte, on alla aussitôt chercher saint Pierre, qui, rempli d'une charité apostolique, vint sans retard. Les veuves l'environnèrent en pleurant, .lui montrèrent les robes et les habits que la défunte leur avait donnés, ses actions priant pour elle plutôt que leurs paroles. Saint Pierre crut qu'on pourrait obtenir ce qu'on demandait de la sorte, et que Jésus-Christ ne manquerait pas d'exaucer des veuves en la personne desquelles lui-même avait été vêtu. S'étant donc mis à genoux, et ce puissant intercesseur ayant offert au Seigneur les prières des veuves et des pauvres, il se tourna vers le corps qu'on avait déjà lavé et étendu sur une planche, et dit:

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et

Tabitha, levez-vous, au nom de Jésus-Christ; » et celui qui avait dit dans l'Evangile qu'on obtiendrait tout ce qu'on demanderait à Dieu en son nom, ne manqua pas à saint Pierre en cette rencontre et l'exauça sur-le-champ.

Ainsi, la mort fut arrêtée et l'âme retourna dans ce saint corps, au grand étonnement de tout le monde, tant les œuvres de charité sont puissantes; et celle qui avait fait vivre ces pauvres veuves par ses libéralités, recouvra la vie par le moyen de leurs prières. Aussi voyons-nous que Notre-Seigneur, qui ne vivifie pas seulement les fidèles, mais qui leur donne encore des préceptes pour les faire vivre éternellement, ne nous recommande rien tant, dans l'Evangile, que de faire l'aumône et de songer plutôt à amasser des trésors dans le ciel que sur la terre. « Vendez, dit-il, votre bien et donnez l'aumône; » et ailleurs : «Ne vous faites point de trésors sur la terre où les vers et la rouille les mangent, et où les voleurs les déterrent et les dérobent; mais faites-vous des trésors dans le ciel, où les vers ni la rouille ne les mangent point, et où il n'y a point de voleurs qui les déterrent et les dérobent. Car votre cœur sera où sera votre trésor. » Et voulant montrer en quoi consiste la perfection, lorsqu'on a accompli tous les préceptes de la Loi : « Si vous voulez être parfaits, dit-il, allez, vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, et puis venez et me suivez. » Il dit encore, en un autre endroit, que celui qui veut acquérir la grâce et le salut doit acheter de tout son bien la vie éternelle, qui est cette pierre précieuse que le sang de Jésus-Christ a rendue de si haut prix. « Le royaume des cieux, dit-il, est semblable à un marchand qui cherche des pierreries, et qui, en ayant trouvé une de grand prix, va vendre tout ce qu'il a et l'achète. Enfin il appelle enfants d'Abraham ceux qui s'emploient à aider et nourrir les pauvres. Car, comme Zachée lui eut dit : « Je donne dès maintenant la moitié de mon bien aux pauvres, et si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui en veux rendre quatre fois autant, » Jésus répondit «Grâce a été faite aujourd'hui à cette maison, parce que celui-ci est aussi enfant d'Abraham. » En effet, si Abraham a été réputé juste, à cause qu'il a cru en Dieu,

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