Images de page
PDF
ePub

de leur égarement et pour les mettre dans le chemin du ciel, je croirai n'avoir pas été tout à fait inutile dans ce monde et n'avoir pas entièrement manqué à mon devoir.

(Lactance. De l'ouvrage de Dieu.)

IX. DE L'ORIGINE DE L'AME.

SAINT AUGUSTIN A SAINT JÉRÔME.

J'ai prié et je prie encore notre Seigneur et notre Dieu, qui nous a appelés à son royaume et à sa gloire, que ce que je vous écris pour vous consulter, mon saint frère Jérôme, nous soit utile à tous deux. Quoique vous soyez beaucoup plus âgé que moi, c'est toujours un vieillard qui consulte un autre vieillard: mais il me semble qu'il n'y a point d'âge trop avancé pour apprendre ce qui est bon à savoir; car encore que les vieillards dussent enseigner plutôt qu'apprendre, il vaut mieux néanmoins qu'ils apprennent que d'ignorer ce qu'ils doivent enseigner.

Lorsque je rencontre quelque question difficile à rẻsoudre, rien ne me fait tant de peine que de me voir éloigné de vous, et par une si grande étendue de terres que non-seulement les jours et les mois, mais les années ne suffisent pas pour vous faire tenir de mes lettres ou pour recevoir des vôtres, et vous pouvez juger combien un tel inconvénient pèse à un homme qui ne désirerait rien tant que d'être avec vous et de pouvoir vous communiquer à tout moment tout ce qui lui vient à l'esprit. Mais enfin il faut au moins faire ce que je puis, si je ne puis pas tout ce que je voudrais.

J'ai vu tout d'un coup arriver ici d'Espagne le saint prêtre Orose, qui est notre collègue par la dignité du sacerdoce, comme il est notre fils par son âge, et notre frère par son attachement à l'unité catholique. C'est un homme d'un esprit vif, qui parle aisément, qui brûle du désir d'apprendre, qui voudrait être un vase utile dans la maison du Seigneur, et devenir capable de combattre les

faux et pernicieux dogmes qui ont fait bien plus de ravages en Espagne sur les âmes, que l'épée des barbares n'en a fait sur les corps. Ce saint zèle l'a obligé de venir ici des bords de l'Océan, sur l'espérance qu'on lui avait donnée qu'il pourrait s'instruire auprès de moi de toutes choses.

Quoiqu'il se promît plus de fruit de son voyage qu'il n'en saurait recueillir, il n'a pas tout à fait perdu sa peine, car outre qu'il a appris à ne se fier pas tant à la renommée à mon endroit, je lui ai communiqué ce que je savais, et je l'ai renvoyé à vous sur ce que je ne savais pas. Comme il a reçu avec plaisir l'ordre ou le conseil que je lui ai donné d'aller vers vous, et que je l'ai trouvé tout prêt à y obéir, je l'ai prié de repasser ici en revenant d'auprès de vous, et il me l'a promis. Ainsi je crois que c'est une occasion que Dieu m'a réservée pour vous consulter sur plusieurs choses que j'aurais une grande envie de savoir. En effet, dans ce même temps je cherchais quelqu'un que je vous pusse envoyer, et il ne se présentait personne qui eût toutes les qualités que je désirais; car il me fallait un homme exact et fidèle, plein d'ardeur et de bonne volonté, et qui sût ce que c'est que de voyager; de sorte que dès que j'ai eu un peu pratiqué ce jeune homme, je n'ai point douté que ce ne fût celui que je demandais à Dieu.

Voici donc sur quoi je vous prie de vouloir bien m'instruire et m'éclairer. C'est sur ce qui regarde l'âme, et c'est sur quoi beaucoup d'autres sont en peine aussi bien que moi. Je commencerai par vous dire ce que je crois de certain sur ce sujet, et je vous exposerai ce que je voudrais que vous me développassiez.

L'âme de l'homme est immortelle en une certaine manière, et selon que sa nature le comporte, car elle ne l'est pas de tout point comme Dieu, dont il est écrit « qu'il possède seul l'immortalité. » Aussi l'Écriture parle-t-elle souvent de la mort de l'âme, et c'est ce que Jésus-Christ

avait en vue quand il disait : « Laissez aux morts le soin d'enterrer leurs morts. » Mais comme elle ne cesse point de vivre, c'est-à-dire d'exister, lors même qu'elle meurt en s'éloignant de la vie de Dieu, elle est mortelle en un sens et immortelle en l'autre.

L'âme n'est point une portion de la substance de Dieu, autrement elle serait totalement immuable et incorruptible, et par conséquent elle ne pourrait non plus changer en mieux qu'en pis. Elle ne serait point sujette à se trouver dans un temps avec quelque chose de plus ou de moins qu'elle n'aurait eu dans un autre temps, et il n'arri verait jamais aucun changement à ses sentiments et à ses affections. Or, nous savons bien que cela n'est pas ainsi, et ceux qui prennent tant soit peu garde à ce qui se passe en eux n'ont pas besoin qu'on le leur prouve. Quant à ceux qui veulent que l'âme soit une portion de la divinité, il ne leur sert de rien de dire que ce n'est pas d'elle-même, mais du corps que lui arrive, et tout ce que nous voyons de dépravation et d'abomination dans les méchants, et ce que les plus gens de bien même éprouvent de faiblesse et d'infirmité car dès qu'elle est malade, elle n'est point immuable, de quelque part que viennent ses maladies, puisque, si elle l'était, il ne lui pourrait advenir aucun mal d'aucune part que ce pût être; ce qui est véritablement immuable et incorruptible, ne pouvant être changé ni corrompu par quoi que ce soit qui survienne. Car ce n'est que ce qui survient qui altère et qui corrompt; en sorte que si rien ne survenait à nos corps mêmes, ils seraient incorruptibles et invulnérables, et ce que la fable dit de celui d'Achille n'aurait rien eu d'extraordinaire. Ce qui peut être changé en quelque manière, par quelque cause et en quelque partie que ce soit, n'est donc point immuable par sa nature. Or, ce serait une impiété de dire que Dieu par sa nature ne possède pas une vraie et parfaite immutabilité; l'âme n'est donc point une portion de la substance de Dieu.

Que l'âme soit incorporelle, c'est sur quoi je ne suis point en doute, quoiqu'on ait de la peine à le faire entendre aux esprits grossiers. Mais, afin de ne donner lieu à personne de disputer sur les mots avec moi, et pour que je ne puisse non plus en disputer avec personne (car quand on convient de la chose, en vain dispute-t-on des mots), si on appelle «< corps » toute essence ou toute substance qui subsiste par elle-même, sans doute qu'à prendre le mot de corps en ce sens, l'âme est un corps; ou si l'on n'appelle incorporel que ce qui est souverainement immuable et qui est tout entier partout, l'âme ne sera point incorporelle, puisqu'aucun de ces attributs ne lui convient. Mais s'il n'y a de corporel que ce qui occupe quelque espace en longueur, largeur et profondeur, soit qu'il se trouve en repos ou en mouvement, en sorte qu'une moindre partie d'une telle substance occupe une moindre partie de cet espace, et une plus grande une plus grande, et qu'une partie de cette substance soit moindre que le tout, l'âme n'est point un corps; puisque ce n'est point par une extension locale, mais par une certaine action de vie qu'elle est présente à toutes les parties du corps qu'elle anime. Car il n'y a point de si petite partie du corps où elle ne soit tout entière, et bien loin qu'elle n'ait qu'une moindre partie d'elle-même dans une moindre partie du corps, et une plus grande dans une plus grande, elle est toute en chacune aussi bien qu'en toutes, encore que son action soit moins vive dans les unes que dans les autres; et si toute l'âme sent ce qui ne se passe qu'en une partie de son corps, ce n'est que parce qu'elle est toute en chaque partie. C'est ainsi que nous voyons que quelque petit endroit de la chair vive qu'on puisse toucher, quand ce ne serait qu'un point, toute l'âme s'en ressent, quoique ce point, bien loin d'être tout le corps, soit presque imperceptible dans le corps. Or, ce qui produit cet effet-là, ce n'est pas que ce qui se passe dans cet endroit se propage par tout le corps, puisque l'âme ne le sent que dans ce seul endroit. Pourquoi donc toute

« PrécédentContinuer »