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y oblige, tant que nous repassons encore avec plaisir sur les malheureuses impressions qui nous restent d'eux, et qui sont comme autant de plaies qu'ils ont faites à notre âme. (Saint Augustin. Lettre VII.)

XIII. DE L'IMMORTALITÉ DE L'AME.

L'immortalité est le souverain bien auquel nous sommes destinés dès le commencement de notre vie et dès notre naissance. C'est la fin où nous tendons et où nous arriverons par la vertu. Il convient donc d'en parler, puisque nous avons été assez heureux pour découvrir ce terme de notre existence. Quelque justes qu'aient été les arguments de Platon, ils n'avaient pas toute la solidité nécessaire pour établir parfaitement la vérité, parce que ce philosophe n'avait • pas compris les raisons d'un tel mystère. Il avait les sentiments qu'il faut avoir de l'immortalité de l'âme, mais il n'en parlait pas comme du souverain bien. Nous pouvons en parler avec plus d'assurance, puisque nous avons, non des conjectures et des doutes, mais une connaissance tirée de la doctrine de Dieu même. Quant à Platon, il a raisonné de cette sorte: « Tout ce qui a, dit-il, du sentiment et du mouvement par soi-même est immortel, car ce qui n'a point de principe de son mouvement, n'a point aussi de fin, puisqu'il n'a garde d'être abandonné par soi-même.» Il aurait attribué par cette manière de raisonner l'immortalité aux bêtes, s'il ne les en eût exclues, en ajoutant qu'il n'y a que l'âme de l'homme qui soit éternelle. Il explique cette proposition, en remarquant la subtilité de ses inventions, la promptitude de ses pensées, la facilité de ses conceptions, le souvenir qu'elle conserve du passé, la prévoyance qu'elle a pour l'avenir, et la connaissance d'une multitude presque incroyable d'arts et de sciences dont les autres animaux n'ont pas la moindre idée. « Cette âme, ajoute-t-il, qui est capable de tant de grandes choses, descend sans doute du ciel, puisque l'on ne saurait trouver son origine sur la terre. Elle n'a rien de terrestre, et tout ce qu'il y a de terrestre dans l'homme retourne à la

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terre d'où il a été tiré; au lieu que ce qu'il y a en lui de subtil et de céleste retourne au ciel, dès qu'il est délivré du corps où il avait été enfermé comme dans une prison. Voilà un abrégé fidèle de la doctrine de Platon, qui est expliquée fort au long dans ses ouvrages. Pythagore avait, avant lui, énoncé la même opinion, aussi bien que Phérécide, son maître, qui, selon le témoignage de Cicéron, a parlé le premier de l'immortalité de l'âme. Mais quoique ces philosophes aient excellé par l'éloquence, ils n'ont remporté aucun avantage dans cette question sur Dicéarque, sur Démocrite et sur Épicure, qui ont soutenu le sentiment contraire; et la matière est demeurée si peu éclaircie, que Cicéron, après avoir rapporté tous ces avis différents, avoue franchement qu'il ne sait lequel il doit embrasser : « Il faut, dit-il, avoir une lumière divine pour découvrir laquelle de ces opinions est la véritable. » Et dans un autre endroit, il écrit ce qui suit: « Chacune de ces opinions ayant été soutenue par de savants hommes, on ne saurait deviner ce qu'ils ont dit de certain. » Nous n'avons pas besoin de deviner, nous, qui Dieu a révélé la vérité.

Il y a des arguments qui n'ont été inventés ni par Platon, ni par aucun autre philosophe, lesquels ne laissent pas de prouver fort solidement l'immortalité de l'âme. Je les renfermerai en peu de paroles, parce que j'ai hâte de représenter le jour du jugement, où les actions de tous les hommes seront examinées à la fin des siècles. Comme Dieu est invisible, de peur que l'incapacité que les yeux du corps ont de le découvrir ne donne lieu de douter de son existence, parmi toutes les merveilles il a produit des choses dont la force se fait sentir, bien que leur substance soit imperceptible aux yeux. Nous connaissons la voix, l'odeur et le vent, quoique nous ne les puissions voir. Et ce sont des exemples qui nous apprennent à connaître Dieu par les effets qu'il produit, bien que nous ne le voyions point par les yeux du corps. Car qu'y a-t-il de si clair que la voix,

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de si fort que le vent, de si violent que l'odeur? Cependant nous n'apercevons aucun de ces corps, quand ils remplissent l'air ou qu'ils frappent nos sens. Ainsi nous connaissons Dieu, non par les yeux, ni par aucun autre sens corporel, mais par l'esprit et par la considération de ses ouvrages. Bien loin de mettre au nombre des philosophes ceux qui assurent qu'il n'y a pas de Dieu, à peine s'ils méritent que je les mette au nombre des hommes. Ils sont plutôt semblables aux bêtes, puisque, ne découvrant rien par leur esprit, ils croient qu'il n'y a rien que ce qui touche leurs sens, et que, parce qu'ils voient des adversités affliger les gens de bien et des prospérités enivrer les méchants, ils se sont imaginé que tout ce qui se fait se fait par hasard, et que le monde, au lieu d'être l'œuvre d'une sage providence, n'est que le résultat de la nature. Ils sont tombés ensuite dans les extravagances où leur premier égarement devait les jeter. Que si, au contraire, Dieu est incorporel, invisible et éternel, on ne peut pas en inférer que l'âme ne survive point au corps parce qu'elle est invisible dès le moment qu'elle en est séparée, puisqu'il est certain qu'il y a des êtres qui subsistent et qui ont le sentiment de la vie, bien qu'ils ne puissent être aperçus par les yeux. Mais il est difficile, dira-t-on, de concevoir de quelle manière l'âme conserve le sentiment, lorsqu'elle n'a plus les organes par où les puissances sensitives exercent leurs fonctions. Que dirons-nous de Dieu? Est-il aisé de comprendre la manière dont il subsiste sans avoir de corps? Comme ceux dont je parle sont persuadés qu'il y a des dieux, si ces dieux-là existent en effet, il est certain qu'ils n'ont point de corps. Les âmes subsistent de la même sorte lorsqu'elles sont séparées du corps, et cela est fondé sur la ressemblance qui est entre Dieu et l'âme à l'égard de la raison et de la Providence. Enfin, il y a encore, pour prouver l'immortalité de l'âme, un autre argument assez fort, et dont Cicéron a eu connaissance, qui est: qu'il n'y a que l'homme qui ait quelque idée judicieuse de la reli

gion. Or, la religion nous étant propre et particulière, c'est sans doute une preuve que nous désirons et recherchons une nature excellente, à laquelle nous devons nous unir étroitement. Quelqu'un peut-il considérer la structure des autres animaux, que la providence éternelle n'a faits courbés vers la terre que pour montrer qu'ils n'ont aucun rapport avec le ciel, sans reconnaître que l'homme seul est un animal céleste et divin, dont la taille droite et le visage élevé vers le ciel semble mépriser la bassesse de la terre, chercher le lieu de son origine, et tendre vers le souverain bien, qui est son principe. Trismégiste a trèsbien nommé úлidα l'action par laquelle l'homme tend à Dieu, action dont les autres animaux ne sont pas capables. La sagesse, qui est un bien qui n'a été accordé qu'à l'homme, n'étant autre chose que la connaissance de Dieu, il est clair que l'âme, au lieu de finir avec le corps, subsiste toujours, et que, sentant comme par un instinct naturel et le principe d'où elle est sortie et le lieu où elle doit retourner, elle aime et cherche Dieu, qui est éternel. Il y a encore une autre preuve très-considérable de l'immortalité de l'âme, qui est que l'homme seul a l'usage du feu, qui est un élément céleste. Toute la nature, en effet, étant composée du feu et de l'eau, qui sont deux éléments contraires, dont l'un est attribué à la terre et l'autre au ciel, les autres animaux, parce qu'ils sont grossiers et terrestres, se servent de l'eau qui est l'élément de la terre; l'homme seul a l'usage du feu, qui est un élément léger, sublime et céleste. Or, ce qui est pesant abaisse et entraîne vers la mort, au lieu que ce qui est léger élève et porte à la vie, qui est en haut. Et comme il n'y a point de feu sans lumière, il n'y a point de vie sans lumière. Le feu est donc l'élément de la lumière et de la vie, d'où il s'ensuit que l'homme, qui en a l'usage, est d'une condition immortelle. On peut encore tirer une autre preuve de l'immortalité de l'âme de l'avantage que l'âme a seule de posséder la vertu; car si l'âme périssait avec le corps,

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