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prendrait rien qui ne fût agréable à son goût et utile à sa santé. La faiblesse de leur discernement dans ce bas âgé ne leur causerait aucun préjudice. Mais si, parmi la diversité des mets dont la table serait couverte, on en mêlait d'amers, de dangereux, d'empoisonnés, alors ces enfants seraient trompés par le défaut du discernement nécessaire pour choisir les bons et pour laisser les mauvais. Il est donc clair que le discernement et la sagesse sont nécessaires afin d'éviter le mal, et que s'il n'y avait point eu de mal dans le monde, nous n'aurions point eu besoin de la sagesse. Voilà une raison très-solide, que les stoïciens n'ont point connue.

Quant à l'argument des épicuriens, il est aisé de le détruire. Ils l'énoncent de cette sorte: où Dieu veut ôter le mal et ne le peut, ou il le peut et ne le veut, ou il ne le veut ni ne le peut, ou il le veut et le peut. S'il le veut et ne le peut, c'est une faiblesse qui ne convient point à un Dieu. S'il le peut et ne le veut pas, c'est une jalousie qui ne convient non plus à Dieu que la faiblesse. S'il ne le veut et ne le peut c'est faiblesse et jalousie tout ensemble. S'il le veut et le peut, pourquoi ne l'ôte-t-il pas, et d'où vient qu'il y a tant de maux dans le monde? Je sais qu'il y a plusieurs philosophes qui se laissent embarrasser par cet argument, et qui, étant pressés, avouent, comme malgré eux, que Dieu ne prend aucun soin de ce monde, ce qui est précisément ce que prétend Épicure. Mais il ne nous est que trop aisé, à nous qui connaissons la vérité, de répondre à ce raisonnement captieux. Nous disons donc que Dieu veut tout ce qu'il lui plaît, et qu'il est également incapable et de faiblesse et de jalousie. Il peut ôter le mal et ne le veut pas, et n'a point pourtant de jalousie. Il laisse le mal dans le monde; mais, en le laissant, il accorde à l'homme la sagesse, qui lui est plus avantageuse que le mal ne lui saurait être dommageable. La sagesse nous donne la connaissance de Dieu, et cette connaissance nous conduit

à l'immortalité, qui est le souverain bien. Nous n'aurions pas cette connaissance du bien, si nous n'avions celle du mal. Épicure, ni aucun autre philosophe, n'a pu découvrir ce secret, ni reconnaître qu'en ôtant le mal on ôterait la sagesse, et qu'on ne laisserait pas à l'homme le moindre reste de vertu, puisque la vertu consiste uniquement à surmonter et à vaincre le mal. Ainsi ces philosophes, qui nous veulent délivrer du mal, nous privent de l'avantage incomparable de la sagesse. Il faut donc demeurer d'accord que Dieu a également proposé et le bien et le mal à l'homme.

Après avoir vu les raisons pour lesquelles Dieu a fait le monde, voyons celles pour lesquelles il a fait l'homme. Comme il a fait le monde pour l'homme, il a fait l'homme pour soi, et l'a créé pour être le gardien et le prêtre de son temple, le témoin de ses ouvrages, l'admirateur de ses merveilles. Il n'y a que l'homme, en effet, qui soit éclairé de la raison, et qui puisse, à la faveur de cette lumière, connaître Dieu, et admirer la diversité de ses ouvrages et la grandeur de sa puissance. C'est pour cela qu'il a seul été pourvu d'entendement, de connaissance, de raison et de sagesse. C'est pour cela qu'il a seul le visage tourné vers le ciel, par où il semble être averti de regarder son créateur. C'est pour cela qu'il a seul une langue capable d'exprimer ses pensées, et l'usage de la parole pour publier les louanges de son souverain. Enfin c'est pour cela qu'il a reçu le pouvoir de commander à toutes les créatures, afin d'obéir lui-même à son créateur. Puis donc que Dieu a donné à l'homme l'empire du monde, il est bien juste que l'homme reconnaisse la majesté de celui de qui il l'a reçu, et qu'il chérisse les autres hommes, qui partagent avec lui le même honneur. Quiconque, par conséquent, fait profession de connaître Dieu et de l'honorer, ne peut, sans crime, offenser un autre homme qui professe le même respect de Dieu. Cela montre clairement, si je ne me trompe, que l'homme a

été créé pour s'acquitter des devoirs de la religion et de la justice. Cicéron même l'a reconnu dans les livres des Lois, où il parle de cette sorte: « Parmi toutes les choses que les savants peuvent dire à l'avantage de notre nature, il n'y a rien de si excellent que de reconnaître que nous avons été mis au monde pour y observer la justice. » Que si cette vérité ne peut être révoquée en doute, Dieu veut que tous les hommes gardent la justice, c'est-à-dire qu'ils rendent à Dieu et aux hommes ce qu'ils leur doivent, qu'ils honorent Dieu comme leur père, et qu'ils aiment es hommes comme leurs frères. C'est en ces deux devoirs que consiste toute la justice. Dès lors, quiconque ne connaît point Dieu, ou quiconque offense un autre homme, est injuste, agit contre sa propre nature, et viole la loi divine.

(Lactance. De la colère de Dieu, ch. XIII-XIV.)

XIX. DE LA PROVIDENCE.

Non, pour vous, mon Dieu, il n'y a point de mal, nonseulement au regard de vous, mais même au regard de cet univers que vous avez créé, parce qu'il n'y a rien hors de lui qui soit capable de s'y introduire par force et avec violence, et de troubler l'ordre que vous y avez établi. Il est vrai que, parmi les créatures particulières dont est composé le monde, il y en a quelques-unes que l'on estime mauvaises, parce qu'elles ne conviennent pas à d'autres mais elles sont bonnes néanmoins, parce qu'il y en a d'autres auxquelles elles conviennent, et qu'en elles-mêmes elles sont bonnes. Et toutes ces choses qui ne conviennent point entre elles, conviennent à la partie inférieure du monde que nous appelons la terre, laquelle tire avantage d'avoir au-dessus d'elle un air plein de vents et de nuées.

Et bien qu'à envisager ces choses séparément, je pusse désirer qu'elles fussent meilleures, je n'aurais garde néanmoins de désirer qu'elles ne fussent point, puisque, quand elles seraient seules, je devrais toutefois vous louer de les avoir faites, parce que toutes vos créatures, les animaux de la terre, les dragons et toutes les eaux; le feu, la grêle, la neige, la glace, et ces tourbillons qui vous obéissent; les montagnes, les collines, les arbres fruitiers et les cèdres; les bêtes, les reptiles et les oiseaux; les rois du monde et toutes les nations, les princes et tous les grands, les jeunes gens et les vierges, les vieillards et les enfants, parce que toutes vos créatures, dis-je, témoignent sur la terre que vous êtes digne de louange. Mais quand je remarque qu'on vous loue aussi dans le ciel, et que tous vos anges, toutes vos puissances, le soleil, la lune, les étoiles, la lumière, les cieux des cieux, et les

eaux qui sont au-dessus des cieux chantent incessamment vos louanges, les louanges du Dieu qui les a créés etquiest assis sur son trône au plus haut du ciel, je ne souhaite point que ces êtres soient meilleurs, parce que je considère vos ouvrages dans leur ensemble. Et, uoique j'estime que les êtres supérieurs sont plus nobles et plus excellents que les êtres inférieurs, je juge néanmoins et avec grande raison qu'ils valent mieux tous ensemble que les seuls êtres supérieurs, considérés en eux-mêmes et séparément.

(Saint Augustin. Confessions, liv. VII, ch. XIII.)

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