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ne le doit attribuer ni à la volonté des hommes, ni à celle des anges ou de quelque autre esprit créé, mais à la seule volonté de celui qui donne le pouvoir à ceux qui veulent: Il ne s'ensuit donc pas que rien ne dépende de notre volonté, parce que Dieu a prévu ce qui en devait dépendre. Au contraire, de ce qu'il a prévu que quelque chose en dépendrait, il faut qu'il y ait en effet quelque chose qui en dépende, puisque autrement il ne l'aurait pas prévu, sa prévoyance ne s'étendant pas sur le néant. Ainsi nous ne sommes point obligés de ruiner le libre arbitre pour maintenir la prescience de Dieu, ni de nier cette prescience, ce qui serait un crime, pour conserver le libre arbitre; mais nous embrassons également ces deux vérités, et nous les soutenons également, l'une pour bien croire, et l'autre pour bien vivre. Car il n'est pas possible de vivre comme il faut, qu'on n'ait de Dieu la créance qu'on en doit avoir. Gardons-nous donc par conséquent, sous prétexte de vouloir être libres, de nier la prescience de celui dont la grâce nous rend ou nous rendra libres. Ainsi ce n'est pas en vain qu'il y a des lois, et ce n'est pas en vain non plus qu'on se sert d'exhortations, de reproches, de blâmes et de louanges; car Dieu a prévu toutes ces choses, et elles ont autant de force qu'il a prévu qu'elles en auraient. Les prières, de même, servent pour obtenir de lui les choses qu'il a prévu qu'il accorderait à ceux qui le prieraient. Il y a aussi de la justice à récompenser les bonnes actions et à punir les mauvaises; car un homme ne pèche pas parce que Dieu a prévu qu'il pécherait. L'on ne doute point au contraire que lorsqu'il pèche ce ne soit lui-même qui pèche, parce que celui dont la prescience ne se peut tromper a prévu que ce ne serait point le destin, ni la fortune ni quelque autre chose, mais lui-même qui pécherait. Il est vrai qu'il ne pèche point s'il ne veut; mais s'il ne veut point pécher, Dieu l'a aussi connu par sa prescience.

Il n'y a donc point d'apparence que le Dieu souverain

et véritable avec son Verbe et son Saint-Esprit, qui tous les trois sont un; que le Dieu un, tout-puissant, auteur et créateur de toutes les âmes et de tous les corps; qui est la source de la félicité de tous ceux qui possèdent une véritable et solide félicité; qui a fait l'homme un animal raisonnable composé d'une âme et d'un corps; qui, après son péché ne l'a laissé ni sans châtiment ni sans miséricorde; qui a donné aux bons et aux méchants l'être avec les pierres, la vie végétative avec les plantes, la vie sensitive avec les bêtes, la vie intellectuelle avec les anges; qui est le principe de tout ce qu'il y a de beau, de réglé et d'ordonné; de qui viennent le poids, le nombre et la mesure; de qui procèdent tous les ouvrages de la nature, de quelque genre et de quelque prix qu'ils soient; par qui naissent les semences des formes, les formes des semences et le mouvement des semences et des formes; qui a créé la chair et lui a donné sa beauté, sa vigueur, sa fécondité, la souplesse de ses membres, avec ce rapport et cette harmonie qui existent entre eux pour leur mutuelle conservation; qui a doué l'âme même des bêtes de mémoire, de sens, de désirs, et ajouté à l'âme raisonnable l'esprit, l'entendement et la volonté; il n'y a point, dis-je, d'apparence que Dieu qui a fait tant de choses excellentes, et qui n'a pas laissé, je ne dirar pas le ciel et la terre, les anges ou les hommes, mais les entrailles du plus petit et du plus vil des animaux, la plumé d'un oiseau, la fleur de la moindre herbe, la feuille d'un arbre, sans une certaine convenance et un certain accord entre ses parties, ait laissé les royaumes et les empires de la terre hors des lois de sa providence.

(Saint Augustin. Cité de Dieu, liv. V, chap. vIII-X.)

XXIII. DE DIEU ET DE LA RAISON.

ÉVODE A SAINT AUGUSTIN.

La parfaite raison est celle qui donne l'intelligence de toutes choses, et surtout des choses éternelles, à quoi il n'y a que l'esprit qui puisse atteindre. Or, que cette raison soit éternelle, sans qu'elle puisse ne le pas être, et qu'il n'y ait que ce qui n'a point commencé et qui n'est point sujet à changer qui soit éternel, c'est ce que cette même. raison nous apprend et nous témoigne clairement; et il faut qu'elle soit éternelle elle-même, non-seulement parce que c'est elle qui nous fait connaître ce qui est éternel, mais parce que ce qui est éternel ne saurait être si la raison n'était pas. Car il me paraît qu'il n'y aurait rien d'éternel si la raison n'était éternelle. La raison nous montre encore que Dieu est, et qu'il faut que Dieu soit, et qu'il n'est pas possible qu'il ne soit pas, qu'il y ait ou non des intelligences qui sachent que cela est ainsi; et dès là que Dieu est éternel, il faut aussi que la raison soit éternelle, puisqu'elle comprend qu'il faut que Dieu soit, et qu'en même temps qu'elle le montre, elle montre aussi qu'elle est éternelle comme Dieu même.

Il y a des choses qui ne sont que parce que la raison veut qu'elles soient; en sorte que la raison précède, et que son effet, c'est-à-dire l'existence de la chose que la raison montre qui doit être, ne vient qu'après. C'est ainsi, par exemple, que quand le monde a été fait, il était conforme à la raison que le monde fût fait. Ainsi ce que la raison a su qui devait être ne fait que suivre la raison; et dans la création du monde elle a marché devant, et le monde a suivi : mais à l'égard de Dieu, comme c'est la raison qui nous apprend qu'il est ou qu'il faut qu'il soit, lequel

précède, de Dieu ou de la raison? Mettrons-nous la raison avant Dieu comme avant le monde, ou mettrons-nous Dieu avant la raison, sans laquelle nous ne saurions croire que Dieu est? Car si c'est la raison qui veut que Dieu soit, et qu'il soit éternel, qu'est-ce que ce doit être que la raison, et ne nous fait-elle pas voir elle-même, par conséquent, qu'il faut ou qu'elle soit Dieu, ou qu'elle appartienne à Dieu? Que si la raison est Dieu, il n'y a plus nulle difficulté que la raison nous montre que Dieu est raison, et que la raison soit éternelle comme Dieu. Que si la raison est une ressemblance de Dieu, toujours nous enseigne-t-elle qu'elle appartient à Dieu et qu'elle lui ressemble; et par conséquent que Dieu est; puisque cette même raison nous fait voir que cette ressemblance ne saurait être en Dieu si Dieu n'était pas; et que si la raison n'était point (ce qui fait horreur à penser), Dieu ne serait pas non plus, puisque la raison ne montrerait plus qu'il faut que Dieu soit; Dieu n'étant que parce que la raison de Dieu même découvre qu'il est. Puis donc que Dieu est, il faut aussi que la raison soit; car c'est elle qui nous apprend que Dieu est.

Lequel des deux est donc le premier en Dieu, de la raison ou de Dieu même, s'il est permis de parler ainsi? Car Dieu ne sera point s'il n'y a une raison qui montre qu'il faut que Dieu soit; et cette raison ne sera point non plus si Dieu n'est. La raison n'est donc point avant Dieu, ni Dieu avant la raison, et la nature divine enferme tout à la fois et Dieu et la raison. Mais il faut que l'un des deux engendre l'autre, et que Dieu soit le principe de la raison, ou la raison celui de Dieu. Il faut encore que l'un des deux soit le sujet qui soutienne l'autre, et que la raison soit en Dieu ou Dieu dans la raison; et comme c'est la raison qui fait voir que Dieu est, on peut fort bien dire que Dieu engendre la raison : ou si l'on dit que Dieu est engendré par la raison, cette raison sera le Père et ce Dieu sera le Fils. Si au contraire on dit que Dieu engendre la

raison, Dieu sera le Père, et la raison le Fils; l'un et l'autre, c'est-à-dire Dieu et la raison, n'étant qu'un même Dieu. Car Dieu n'a jamais été sans la raison, ni la raison sans Dieu; puisqu'on ne peut concevoir que Dieu soit, si la raison n'est; ni que le Fils soit, à moins que le Père ne soit aussi; en sorte que si l'on ôte la raison, ce qui est horrible à penser, comme je l'ai déjà dit, on ôte Dieu en même temps, puisque c'est par la raison que Dieu est agissant, et par conséquent qu'il est Dieu. Affirmons donc encore une fois que la raison ne peut non plus être sans Dieu, que Dieu sans la raison; et qu'ainsi la raison et Dieu, ou Dieu et la raison, sont quelque chose d'éternel. Or cette connexité et cette union de la raison et de Dieu, ou de Dieu et de la raison, c'est-à-dire du Fils avec le Père, et du Père avec le Fils, prouve qu'ils sont l'un par l'autre et qu'ils ne sauraient être l'un sans l'autre.

Les expressions nous manquent sur un tel sujet, et quoi qu'on en puisse dire, c'est en parler, et non pas l'expliquer. Dirons-nous donc que Dieu est le germe de la raison, pour parler ainsi, ou la raison le germe de Dieu, comme le fruit ne saurait être sans l'arbre qui l'a produit, ni l'arbre sans un autre fruit qui contenait le germe dont l'arbre est sorti? Cette comparaison fait en quelque sorte entendre la chose; car il y a dans le grain de froment un principe qui le rend capable de produire, et auquel le grain de froment est redevable de sa fécondité : mais ce principe aussi ne saurait rien produire si le grain. de froment ne lui fournissait de quoi produire ce qu'il produit.

Comme donc la raison, qui n'est autre chose que Dieu, prouve ou que Dieu est la raison, ou que la raison est Dieu, et qu'ainsi c'est l'un qui montre l'autre, nous comprenons que le Père ne nous est connu que par le Fils, ou le Fils que par le Père; en sorte que le Fils soit comme en silence quand c'est le Père qui nous mène à lui, et que

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