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XXVIII. DE L'ACCORD DE LA RELIGION ET DE LA PHILOSOPHIE.

Oui, si Platon vivait encore et qu'il voulût bien me répondre lorsque je l'interrogerais, ou plutôt si quelqu'un de ses disciples l'eût interrogé de son temps, lorsqu'il s'efforçait de lui persuader, par ses discours, que la vérité ne se voyait point par les yeux corporels, mais par un esprit purifié ; que toutes les âmes qui s'y tenaient unies devenaient parfaites et bienheureuses; que rien n'empêchait plus de la connaître que la corruption des mœurs, et les fausses images des choses sensibles, qui, passant de ce monde sensible dans notre corps et faisant par lui impression dans notre esprit, y forment un nombre infini d'opinions et d'erreurs; qu'il fallait donc premièrement guérir notre âme afin de pouvoir contempler la forme immuable de toutes les choses, et cette beauté qui demeure toujours en même état et qui en tout est semblable à ellemême, qui ne reçoit ni d'étendue par les lieux, ni de changement par les temps, mais qui se conserve toujours une et la même en tout ce qu'elle est, cette beauté enfin que les hommes s'imaginent n'être point, et qui cependant possède elle seule l'être souverain et véritable; que toutes les autres choses naissent et meurent, s'écoulent et se perdent; et que néanmoins tant qu'elles sont, elles ne subsistent que par ce Dieu éternel qui les a toutes créées par sa vérité; que parmi ces choses, il n'y a que la seule âme raisonnable et intellectuelle qui puisse jouir et être touchée de la contemplation de son éternité, qui en puisse tirer son lustre et son éclat, et qui soit capable de mériter la vie éternelle; mais qu'étant blessée par l'affection qu'elle met aux choses qui naissent et qui périssent, et par la douleur qu'elles lui causent, et s'attachant à la

longue accoutumance de cette vie et aux sens du corps, elle se perd dans le vague de ses imaginations vaines et chimériques, jusqu'à se moquer de ceux qui disent qu'il y a quelque être qui ne s'aperçoit point par les yeux du corps, qui ne se représente point par les fantômes de l'imagination; mais qui ne s'aperçoit que par les seules lumières de la raison; si donc un disciple de Platon, voyant que son maître tâchait de lui persuader ces choses, lui eût fait cette question : s'il se trouvait un homme excellent et tout divin qui persuadât aux peuples qu'ils devraient croire ces vérités, s'ils n'étaient pas capables de les comprendre, ou qui fit que ceux qui les comprendraient ne se laissassent point emporter aux opinions du vulgaire, et aux erreurs communes des peuples; s'il se trouvait, dis-je, un homme de cette sorte, le jugerait-il digne des honneurs divins? Platon sans doute lui répondrait : qu'il était impossible que cet homme fit ce qu'il disait, à moins que la vertu même et la sagesse de Dieu ne l'eût choisi pour l'unir à soi en même temps qu'elle le formerait, et qu'après l'avoir éclairé dès son berceau, non par des instructions humaines, mais par l'infusion d'une lumière secrète et intérieure, elle n'embellît son âme de tant de grâces, ne le fortifiât d'une constance si ferme, et enfin ne l'élevât à un tel point de grandeur et de majesté, que, méprisant tout ce que les hommes vicieux désirent, souffrant tout ce qu'ils craignent, et faisant tout ce qu'ils admirent, il pût changer le monde entier, et le porter à une créance si salutaire, par son amour et une autorité souveraine; que pour ce qui était de la manière dont on devrait honorer un homme si excellent, il était inutile de lui en demander son avis, puisqu'il était aisé de reconnaître quels honneurs étaient dus à la sagesse de Dieu, par le soutien de laquelle il travaillerait à donner un véritable salut à la nature humaine, méritant ainsi d'être honoré d'une manière particulière, et élevé au-dessus de tous les honneurs qu'on rend aux hommes.

Que si ce que Platon eût pu dire alors est arrivé véritablement; si tant de livres et tant d'ouvrages le publient; si d'une des provinces de la terre, qui était la seule qui adorât le seul Dieu véritable, et dans laquelle devait exister cet homme admirable dont je viens de retracer l'image, Dieu a choisi des hommes et les a envoyés par tout l'univers, pour y allumer les flammes de l'amour divin par leurs paroles et par leurs miracles; si après avoir établi cette excellente doctrine, ils ont laissé après eux la lumière de la foi répandue dans toute la terre : et pour ne point parler des choses passées, qui peuvent n'être pas crues de quelques-uns, si l'on prêche publiquement aujourd'hui dans tous les pays et à tous les peuples : «< Que le Verbe était au commencement, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu, et qu'il était dès le commencement en Dieu; que tout a été fait par lui et que rien n'a été fait sans lui; » si, pour guérir les âmes malades, afin qu'elles deviennent capables de la connaissance, de l'amour et de la puissance de ces vérités sublimes, et fortifier les esprits faibles afin qu'ils puissent, sans être éblouis, supporter l'éclat d'une si grande lumière, on dit aux avares : « N'amassez point de trésors sur la terre, où les vers et la rouille les corrompent, et où des voleurs les découvrent et les dérobent; mais amassez des trésors dans le ciel, où les vers et la rouille ne les peuvent corrompre, ni les voleurs les découvrir et les dérober, car votre cœur est où est votre trésor; » si l'on dit à ceux qui sont vicieux : « Celui qui sème dans la chair, recueillera de la chair une moisson de corruption; celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l'esprit la moisson de la vie éternelle; » si l'on dit aux superbes : « Celui qui s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé; » si l'on dit aux colères : « Lorsque vous avez reçu un soufflet sur une joue, préparez-vous à en recevoir encore sur l'autre ; » si l'on dit aux querelleurs : « Aimez vos ennemis; si l'on dit aux superstitieux: « Le règne

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de Dieu est en vous; » si l'on dit aux curieux : « Ne recherchez point les choses visibles, mais les invisibles : parce que les choses visibles sont temporelles et les invisibles sont éternelles; » et en dernier lieu, si l'on dit en général à tous les hommes : « N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde; parce qu'il n'y a rien dans le monde qui ne soit ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou ambition du siècle. »

Si l'on enseigne maintenant cette doctrine à tous les peuples de la terre; s'ils l'écoutent avec respect et plaisir; si après tant de sang que les martyrs ont répandu, après tant de tourments et de supplices qu'ils ont soufferts, les églises en sont devenues d'autant plus fécondes et se sont multipliées avec plus d'abondance jusque dans les pays barbares; si l'on n'admire plus maintenant des millions de jeunes hommes et de jeunes vierges, qui méprisent le mariage et qui vivent dans la continence, au lieu que Platon, ayant vécu quelque temps de cette sorte, appréhenda tellement la fausse opinion de son siècle, qu'on dit qu'il fit un sacrifice à la nature, si nous en devons croire l'histoire, comme pour expier cette faute; si ces maximes sont tellement reçues, que comme c'était une extravagance auparavant que de les proposer, c'est une extravagance aujourd'hui que d'en douter; si dans tous les endroits de la terre où il y a des hommes, on promet et on s'oblige de garder ces maximes pour entrer dans la religion chrétienne; si on les lit tous les jours dans les églises, et si les évêques les y expliquent; si ceux qui tâchent de les pratiquer, frappent leur poitrine; s'il y a un si grand nombre de personnes qui les suivent, que les îles qui étaient autrefois désertes, et les plus affreuses solitudes, sont remplies de toutes sortes de personnes, qui ont abandonné les honneurs et les richesses de ce monde pour consacrer toute leur vie au service du seul Dieu véritable et du souverain Maître de toutes les créatures; et enfin, si dans les villes, dans les châteaux, dans

les villages, dans la campagne même et dans les maisons particulières, on y prêche si ouvertement et si puissamment de détourner son cœur de toutes les choses d'ici-bas et de le tourner tout entier vers le seul et vrai Dieu, qu'aujourd'hui, partout l'univers, presque tous les hommes répondent d'une voix : « Qu'ils ont le cœur élevé vers le Seigneur; pourquoi demeurons-nous encore dans l'assoupissement de nos ignorances et de nos erreurs, et pourquoi allons-nous chercher les oracles de Dieu dans les entrailles des bêtes mortes? Et lorsqu'il est question de parler de ces matières, pourquoi aimons-nous mieux avoir Platon dans la bouche, que Dieu dans le cœur?

Que si donc il y a des hommes qui pensent qu'il soit mal ou superflu de mépriser ce monde sensible, de purger son âme par l'exercice de la vertu pour la mettre sous le joug et la dépendance de Dieu, c'est par d'autres moyens qu'il les faut réfuter, si toutefois il convient de discuter avec eux. Mais que ceux qui avouent que cela est bon et désirable, que ceux-là connaissent Dieu, qu'ils cèdent au Dieu par qui ces choses sont déjà tombées dans la créance de tous les peuples et leur ont été persuadées. Eux-mêmes enseigneraient de pareils préceptes, s'ils en avaient seulement la force; ou sinon, on devrait les accuser d'envier la vérité aux autres hommes. Qu'ils cèdent donc à Celu par qui s'est accompli ce changement, et que la curiosité ou une vaine jactance ne les empêche pas de reconnaître quel abîme il y a entre les timides conjectures d'un petit nombre d'hommes et le salut manifeste, l'entraînement des peuples. Car si ces philosophes revenaient à la vie, ces philosophes, dont les noms sont un sujet d'orgueil, et qu'ils trouvassent les églises remplies, les temples déserts, qu'ils vissent le genre humain, désabusé des biens temporels et passagers, placer son espoir dans la vie éternelle et les biens spirituels et intelligibles où on l'appelle et y courir; ces philosophes diraient peut-être s'ils étaient tels qu'on les représente): Ce sont là les

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