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améliore le sort des uns semblerait aggraver la peine des autres; ne pas les rappeler, c'est presque les rebannir, c'est en quelque sorte établir des catégories dans le malheur. Les rigueurs frapperont-elles donc toujours en masse, et ne se ront-elles jamais réparées qu'en détail ? On ne sait comment s'habituer à cette idée, qu'une des mesures les plus terribles de cette désastreuse année 1815, une mesure qui ne fut votée qu'avec répugnance par les hommes les plus exagérés de cette époque, subsiste encore en 1818, sous l'empire des lois constitutionnelles; comment accorder un état de choses où le plus obscur citoyen ne saurait être privé de ses juges naturels, et où une multitude d'hommes distingués par l'éclat de leurs services, de généraux qui ont versé leur sang sur tous les champs de bataille, sont obligés de fuir devant toutes les polices et toutes les gendarmeries de l'Europe, et sollicitent en vain la grâce de connaître leurs accusateurs et de trouver des juges. Tous les amis des lettres s'affligent de ne pas lire le nom d'Arnault dans la liste de ceux que rappelle le ministère. Quelle est donc la fatalité qui repousse de la terre natale ce poëte malheureux? Parvenu à cette époque de la vie où le poids de l'âge se fait sentir, et où les infirmités commencent, il traîne une existence pénible dans un asile ignoré. Sa famille même est obligée de s'environner des ténèbres pour ne pas trahir le secret de sa retraite par les devoirs qu'elle lui rend. Malade, souffrant, il rêve sur son lit de douleur l'ombrage des bois qu'il a plantés, le murmure des eaux limpides de Ville-d'Avray, séjour enchanteur, où il partageoit sa vie entre les lettres et l'amitié. C'est là que celui qui trace ces lignes a long-temps vécu dans l'intimité de ce poëte citoyen. C'est là qu'il a pu apprécier cette sensibilité profonde, ce vif amour de la patrie, qui inspirait tous ses vers comme toutes ses actions. Qui m'eût dịt que quelques années après, sous une constitution libérale, il se verrait ravir tout jusqu'aux palmes académiques, et qu'entouré de tant d'aisance, de tant de flatteurs, il ne

trouverait pas même, sur le sol natal, une pierre pour reposer sa tête?

Quand l'Europe retire les cent vingt mille étrangers qui nous gardaient, quand elle proclame ainsi le calme dont nous jouissons, peut-on imaginer l'importance qu'on attache à la présence d'un homme de lettres. J'en appelle aux ministres eux-mêmes, j'en appelle à l'un d'entre eux surtout, que j'ai vu souvent en 1814 lui donner des témoignages d'affection, et qui paraissait s'honorer de son amitié. Qu'il dise si son retour dans sa patrie peut compromettre la sûreté publique, si jamais il exista un meilleur père, un meilleur époux, un meilleur ami. Et s'il lui rend cette justice, à qui persuadera-t-il que son opinion, exprimée hautement dans le conseil, ne doit pas triompher de toutes les préventions, aplanir tous les obstacles? Mais, disait l'autre jour un homme puissant, il a dédié deux de ses ouvrages à lord Holland et au général La Fayette. A qui donc voulait-on qu'il les dédiât? au ministre qui a signé son exil ou à celui qui le prolonge. Non, M. Arnault, malheureux comme Ovide, ignorant comme lui la cause de sa disgrâce, a montré un plus noble caractère dans l'exil; et, pour me servir d'une expression énergique qu'il a luimême employée, il n'a pas gâté son malheur. Sans doute quelques hommes seraient obligés de baisser les yeux devant lui; il pourrait faire rougir ceux qui le flattaient dans la prospérité et qui l'ont abandonné dans la disgrâce. Il pourrait voir assis à sa place ceux qu'il a vus si souvent assis à sa table. Mais est-ce là une considération capable de suspendre la justice; et sommes-nous dans un temps où il faille repousser les malheureux pour tranquilliser les ingrats ?

Je suis, etc.

E.

P. S. MM. Bondi et Charlemagne, anciens membres de la chambre des représentans, sont élus par le département de l'Indre. Les deux candidats ministériels, MM. Bourdeau et Trumeau, président et vice-président du collége, ne sont pas même arrivés au ballottage.

ESSAIS HISTORIQUES.

CHAPITRE XXI.

De l'Amérique méridionale.

Les Espagnols, chassés des plaines, se retirent sur les hauteurs; ils occupent encore les villes de Caracas, de Valence et de Cumana; cette dernière place est assiégée; les généraux Bermudez et Marino dirigent le siége, qui est protégé par l'escadre de Brion, réunie à une partie de celle d'Aury.

Le chef de Venezuela a pris le titre de protecteur de la Nouvelle-Grenade. Des volontaires de toutes les provinces voisines viennent se ranger sous ses drapaux. La communication des Espagnols avec Carthagène est entièrement coupée.

On ne peut connaître le nombre des Européens qui favorisent l'indépendance américaine, ou qui traversent les mers pour s'enrôler sous leurs bannières. Le commerce anglais vient de fournir à leurs armées douze mille fusils, huit cent quintaux de poudre, des cartouches, des pierres à fusil, da plomb, etc.; des uniformes complets pour douze mille hommes, des harnois pour deux mille chevaux. L'amiral Brion a fait parvenir à Angustura deux mille cinq cents mousquets et un train considérable d'artillerie.

Le général Morillo n'a guère que quinze cents vieux soldats; mais l'expédition que l'on prépare à Cadix lui amènera, dit-on, dix-huit mille hommes. L'escadre, composée de quatre vaisseaux de ligne, de six frégates et d'un grand nombre de petits bâtimens, sera commandée par le général Freyre: on demande encore à Londres et à Pétersbourg des navires de transport; tout annonce que l'Espagne s'occupe très-sérieusement de la nouvelle conquête de l'Amérique. Il paraît qu'elle ne veut pas transiger avec la liberté, et qu'elle ne réclame plus l'intervention des puissances

624 européennes. C'est à elle seule qu'elle veut devoir ses colonies; et, pour ressaisir le sceptre du Nouveau-Monde, il ne lui faut qu'une armée de dix-huit mille hommes qu'elle cherche à organiser, qu'une somme de dix-huit millions qu'elle cherche à emprunter, et que des moyens de transport qu'elle cherche à se procurer. Trois ministres ont été disgraciés pour n'avoir pas levé ces obstacles: sans doute leurs successeurs aplaniront toutes ces difficultés. Déjà ils retirent les troupes qui se trouvaient sur les frontières du Portugal, ce qui annonce que l'Espagne ne veut plus se venger en Europe de la prise de Monte-Video, ou que les relations d'amitié se sont rétablies entre les cabinets de Madrid et de Rio-Janéiro, malgré la prise de Monte-Video. Déjà on demande à emprunter en Espagne la somme nécessaire, et, sans doute, on n'en appellera pas en vain au patriotisme d'un clergé à qui l'on a rendu l'inquisition, d'une noblesse à qui l'on a rendu ses priviléges, d'une industrie à qui l'on a rendu les prohibitions. Il est donc vraisemblable que la nouvelle armée traversera bientôt l'Océan, et que tous les obstacles d'Europe seront incessamment surmontés.

LA MINERVE FRANÇAISE.

En attendant leur défaite, les indépendans couvrent les mers de leurs corsaires. Les côtes de la Galice, du Portugal et de l'Estramadure n'offrent plus de sécurité aux bâtimens de la métropole. Rien ne résiste à leur courage, qui souvent ressemble à l'audace; ils ont attaqué et pris un navire de vingt-six canons, et ils ont conduit à Valparaiso la Nuestra Senora de las Dolores, qui avait à bord vingtquatre mille piastres. J.-P. P. ·

Les auteurs légalement responsables:

E. AIGNAN; Benjamin CONSTANT; Evariste
DUMOULIN; ÉTIENNE; A. JAY; E. JOUY;
LACRETELLE aîné; P. F. TISSOT.

FIN DU TROISIÈME VOLUME.

IMPRIMERIE DE FAIN, PLACE DE L'ODÉON.

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