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On trouve encore dans la loi 51, D. de conditionibus et demonstra tionibus, une décision remarquable.

Un testateur avait légué cent écus à Stichus et à Pamphila, sous la condition de se marier ensemble. In testamento ità scriptum erat: si Stichus et Pamphila in matrimonium coierint, hæres meus his centum dare damnas esto.

Il peut arriver deux cas,

Ou Stichus meurt avant l'ouverture du legs, et alors, non-seulement il ne transmet rien à son héritier, mais Pamphila, sa colégataire, est ellemême déchue de la libéralité du testateur, parce que l'accomplissement de la condition est devenue impossible par un événement étranger à la volonté de l'un et de l'autre. Stichus ante apertas tabulas decessit? respondit partem Stichi defectam esse, sed et Pamphilam defectam conditione videri, ideòque partem ejus apud hæredem remansuram.

Ou ils vivent tous deux, et Stichus ne veut pas épouser Pamphila qui Jui offre sa main, et alors Pamphila doit obtenir son legs; mais Stichus est déchu du sien. Sed et si uterque viveret, et Stichus nollet eam uxorem, ducere, cùm mulier párata esset nubere, illi quidem legatum debebatur, Stichi autem portio inutilis fiebat.

Furgole établit encore, en règle générale, que la condition était censée accomplie, si elle ne manquait que par cas fortuit, et indépendamment de la volonté du légataire : il n'admet d'exception à cette règle, que pour le cas où le mariage désigné était la cause finale du legs, et où il était évident que le legs avait été fait plutôt pour l'accomplissement du mariage, qu'en considération du légataire; et il cite, pour exemple, le cas prévu la loi 4, Cod. de condit. insert., où Titius fait un legs à sa nièce, à condition qu'elle épousera Movius, fils du testateur. Si Movius meurt avant le mariage, la nièce ne peut demander le legs.

par

Tels étaient les principes de la législation romaine: ils régissaient nos pays de droit écrit, et avaient été généralement adoptés par la jurisprudence, dans nos pays coutumiers,

Passons maintenant à la législation intermédiaire.

II. L'Assemblée constituante adopta des principes différens, et l'on sait par quels motifs politiques, elle y fut déterminée.

Le décret qu'elle rendit à cet égard, le 5 septembre 1791, porte que, toute clause impérative ou prohibitive, qui serait contraire aux lois ou

aux bonnes mœurs, qui porterait atteinte à la liberté religieuse du donataire, héritier ou légataire, qui gênerait la liberté qu'il a, soit de se marier, même avec telle personne, soit d'embrasser tel état, emploi, ou profession, ou qui tendrait à le détourner de remplir les devoirs imposés et d'exercer les fonctions déférées par la constitution, aux citoyens actifs et éligibles, est réputée non écrite. »

La convention nationale alla plus loin encore.

Suivant l'art. 1. de la loi du 5 brumaire an 2, est réputéé non écrite toute clause impérative ou prohibitive, insérée dans les actes passés, même avant le décret du 5 septembre 1791, lorsqu'elle est contraire aux lois et aux mœurs, lorsqu'elle porte atteinte à la liberté religieuse du donataire, de l'héritier ou du légataire, lorsqu'elle gêne la liberté qu'il a, soit de se marier ou remarier, même avec des personnes désignées, soit d'embrasser tel état, emploi ou profession, ou lorsqu'elle tend à le détourner de remplir les devoirs imposés, et d'exercer les fonctions déférées par les lois aux citoyens.

La même disposition fut textuellement insérée dans l'art. 12 de la loi du 17 nivose suivant.

Voyons comment il faut entendre ces lois, pour en faire une juste application aux actes qu'elles doivent respectivement régir.

Elles déclarent qu'il faut réputer non écrites les clauses impératives, ou prohibitives, qui, à l'égard des donataires, héritiers ou légataires, géneraient la liberté qu'ils ont de se marier, même avec telle personne.

Doit-on comprendre au nombre de ces clauses, celle qui impose au donataire, à l'héritier, au légataire, la condition de se marier, même avec une personne désignée ?

L'affirmative ne nous paraît pas douteuse.

Il est bien vrai que la condition n'oblige le donataire, l'héritier, le légataire, que dans le cas où il veut accepter le don, la succession, ou le legs; mais que, s'il y renonce, comme il en a le droit, il n'est plus. tenu d'exécuter la condition; qu'ainsi ce ne peut être que par le résultat de sa propre volonté, que la condition l'oblige; et qu'en conséquence on ne peut pas dire qu'elle le prive de la liberté qu'il a, soit de ne pas se marier, soit de se marier avec une autre personne que celle qui lui a été désignée.

Mais comme il est naturel que le donataire, l'héritier, le légataire,

désire de conserver ce qui lui a été donné ou légué, on doit convenir aussi que la condition qui lui est imposée, gêne, au moins, sa liberté, s'il a des intentions contraires. Il faut qu'il balance les avantages, ou les inconvéniens respectifs, et très souvent les circonstances le déterminent à faire, pour conserver le don ou le legs, ce qu'il n'aurait pas fait, si la condition ne lui en avait pas été imposée.

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y

a donc réellement gêne dans l'exercice de sa liberté, s'il n'y a pas privation totale.

Or, cela suffit aux termes des lois des 5 septembre 1791, 5 brumaire et 17 nivose an 2. Toute clause, est-il dit, impérative ou prohibitive.... QUI GÊNERAIT LA LIBERTÉ qu'il a, soit de se marier, même avec telle personne...... est réputée non écrite.

ou

D'ailleurs, il ne peut pas y avoir de clause, quelqu'impérative prohibitive qu'elle soit, qui puisse enlever définitivement la liberté de se marier, même avec telle personne, puisque c'est là une liberté purement naturelle, qui ne peut pas s'aliéner, qui est conséquemment indépendante des conventions civiles, et que la loi scule peut restreindre,

en certains cas.

Ce n'est donc pas à de semblables clauses, nulles en elles-mêmes que peuvent s'appliquer les lois précitécs, et il est évident qu'elles ont voulu aller plus loin, en proscrivant même les clauses qui seulement gêncraient la liberté relative au mariage.

On ne peut enfin en douter, lorsqu'on examine les motifs politiques qui ont provoqué et fait rendre ces lois.

Ces motifs se trouvent dans la motion d'ordre qui amena l'adoption de la loi du 5 septembre 1791. « C'est le moyen, disait l'auteur de la proposition, d'arrêter les effets malheureux de l'intolérance civile et religieuse. C'est le besoin de poser de justes bornes aux préjugés et au despotisme de quelques citoyens qui, ne pouvant se plier aux principes de l'égalité politique et de la tolérance religieuse, proscrivent d'avance, par des actes protégés par la loi, l'exercice des fonctions publiques, l'union de leurs enfans avec des femmes qu'ils appellent roturières, ou avec des personnes qui exercent un autre culte religieux, ou qui ont une autre opinion politique. On voit, tous les jours, faire des testamens par lesquels des pères, en instituant des héritiers, ou en faisant des legs, leur imposent des conditions contraires à la liberté civile, à la tolérance religieuse, ou à l'égalité constitutionnelle. C'est ainsi qu'ils écrivent la

à une

défense ou la condition de se marier à telle ou telle personne, femme d'une telle ou telle classe, d'une telle ou telle religion..... craignez que, du sein de cette révolution, la loi ne prête son secours aux opinions ennemies de l'égalité et de la liberté que vous avez établies.... Craignez que les testateurs et les donateurs ne chargent de conditions impératives ou prohibitives, des droits et des dons que la loi doit rendre libres, qu'elle doit dégager des vieux préjugés, et ravir à l'empire avilissant des passions. >>

Mais doit-on regarder également comme clause impérative, qui gêne la liberté, la disposition testamentaire qui légue à Moevius une somme de vingt mille francs, ou un domaine désigné, s'il épouse Pamphila, nièce du testateur ?

et

La condition, il est vrai, n'est pas expresse dans les termes; mais elle se trouve évidemment dans la chose et dans le fait, comme au cas précédent ; et la clause dont il s'agit produit évidemment les mêmes effets, gêne aussi réellement la liberté, que la clause qui contiendrait la condition textuelle, puisqu'en vertu de l'une, comme en vertu de l'autre, le légataire est tenu d'épouser la personne désignée, pour recueillir le legs qui lui a été fait.

Voici une autre espèce dans laquelle il a été décidé par le tribunal de cassation, qu'il n'y avait pas clause impérative, gênant la liberté.

Par acte du 26 février 1783, Etienne Giroir et Jean Roby, mariant ensemble Anne Giroir, fille aînée du premier, et Jean-Léonard Roby, fils aîné du second, les instituèrent respectivement leurs héritiers universels, à la charge d'associer à cette institution, celui-ci, Pierre Roby son frère, et celle-là, Magdelaine Giroir, sa sœur, mais dans le cas seulement, où Pierre Roby et Magdelaine Giroir contracteraient mariage ensemble; et il fut ajouté que, de quelque part que vint le défaut de ce mariage, l'institution entière tournerait au profit des futurs de part et d'autre, et que les associés seraient réduits chacun à sa légitime.

Etienne Giroir mourut en 1785, et le 2 décembre 1795, Magdelaine Giroir épousa, non Pierre Roby, comme l'y avait obligée son père, pour profiter de son association à l'institution contractuelle de sa sœur, mais Jean Chambrand.

Cependant elle forma, contre sa sœur, et contre Léonard Roby, son beau-frère, une demande en partage de la succession paternelle.

Ceux-ci se bornèrent à lui offrir une portion légitimaire, et soutinrent qu'elle ne pouvait réclamer l'association à l'institution contractuelle, parce qu'elle n'en avait pas exécuté la condition.

Magdelaine Giroir soutint, au contraire, que cette condition avait été annulée par les lois des 5 septembre 1791, 5 brumaire et 17 nivose an 2. Le tribunal d'appel de Limoges ordonna seulement la délivrance de la portion légitimaire.

Sur le pourvoi en cassation, M. Merlin n'hésita pas à dire que la condition insérée dans le contrat de mariage, du 26 février 1783, était réellement, à l'égard de Magdelaine Giroir, une clause impérative qui avait pu gêner sa liberté civile, quant au mariage ; mais il établit, avec son talent ordinaire, que cette condition devait être jugée conformément aux lois romaines qui la permettaient, et non pas conformément aux lois des 5 septembre 1791, 5 brumaire et 17 nivose, qui ne pouvaient avoir d'effet rétroactif.

Cependant, ce ne fut point par ce motif que se décida le tribunal de cassation: il jugea, au contraire, que la clause insérée dans l'acte du 26 février 1785, n'était pas prohibitive, et qu'on ne pouvait pas lui appliquer les lois qui déclaraient non écrites les conditions qui gênaient la liberté des mariages.

Son jugement, rendu le 6 floréal an II, au rapport de M. Ondot, est motivé ainsi qu'il suit : « Attendu que Léonard Roby et Anne Giroir sont directement institués pour la totalité des biens de leurs père et mère, et que ceux-ci ont voulu que les institués n'associassent Magdelaine Giroir et Pierre Roby à cette institution, que dans le cas où Magdelaine Giroir épouserait Pierre Roby; qu'il en résulte que cette clause est moins une clause prohibitive, qu'une modification de l'institution qui résidait essentiellement sur la tête d'Anne Giroir et de Leonard Roby, laquelle ne pouvait être altérée que dans un cas qui n'est pas arrivé; d'où il snit que les dispositions des lois, qui déclarent non écrites les conditions qui gênent la liberté des mariages, ne sont pas applicables à l'espèce, rejette, etc. »

Ainsi, dans le sens de ce jugement, lorsqu'un don ou un legs aurait été fait à Mœvius, à la charge d'associer Titius, si Titius épousait Pamphila il faudrait décider que la condition imposée à Titius, d'épouser Pamphila, pour jouir du bénéfice de l'association, serait obligatoire et valable, même sous l'empire des lois des 5 septembre 1791, 5 brumaire et 17 nivose an 2, parce qu'elle serait moins une condition prohibitive à l'égard de Titius,

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