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On y retrouvera la distinction déjà établie entre les conditions faites par actes entre-vifs, et celles faites par actes à cause de mort.

« Comme il est de l'intérêt public, dit Furgole, que les personnes se marient, afin qu'elles procurent des sujets pour le soutien de l'Etat, la condition apposée à une disposition testamentaire, ou à cause de mort, qui tendrait absolument à défendre le mariage de l'héritier, ou du légataire, måle ou femelle, (car, à cet égard, on ne distingue pas les sexes, l. 3, Cod. de indicta viduit. tollend.), serait rejetée; la disposition serait considérée comme pure, et elle devrait être exécutée, quoique la personne honorée contrevînt à la condition. Il y a plusieurs textes dans le droit, qui le décident ainsi, notamment la loi quoties 22, la loi cùm tale 72, §. 4 et 3, la loi hæres meus 79, §. dernier, la loi Titia 100, ff. ad senatús consult. trebell. ; et cela a lieu, non-sculement lorsque la condition absolue de ne point se marier, est imposée à la personne honorée, mais encore si une pareille condition est imposée au père, de ne point marier sa fille, parce qu'une telle condition est regardée comme imposée en frande de la loi: quod in fraudem legis ad impediendas nuptias adscriptum est, nullam vim habet; veluti titio patri centum, si filia quam habet in potestate non nupserit, hæres dato, l. 79, §. ult. ff. de cond. et demonst.; mais la condition absolue de se marier, ajoute Furgole, apposée aux contrats, ne sera pas rejetée, parce qu'il faut raisonner autrement dans les contrats qui sont l'ouvrage de deux ou de plusieurs personnes, qui stipulent selon leurs vues et leurs intérêts; d'ailleurs, si l'on pouvait considérer une telle condition comme contraire aux bonnes mœurs, elle annulerait la convention, suivant la loi 55, S. I, ff. de verb. obligat., et c'est ainsi que le décide M. Duval, de reb. dub. tractat. 13, no. 7. »

Ces dispositions des lois romaines étaient généralement suivies en France, et avaient même été adoptées par notre législation; on en trouve la preuve dans l'arrêt de la cour de cassation du 20 janvier 1806, que nous ayons précédemment cité.

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« Considérant, dit cet arrêt, que la condition absolue de ne pas se marier, était réprouvée comme contraire à l'utilité publique, et régardée comme non écrite, dans les dispositions testamentaires on à cause demort; mais qu'une semblable condition, si elle était apposée dans les contrats, était valable et devait être exécutée, parce qu'ils sont l'ouvrage de la volonté des parties qui ont stipulé selon leurs vues et selon leurs inté

rêts; que cette opération des conventions, protégée par les lois romaines, l'était également par notre législation, et que de là vient que l'art. 25 de l'ordonnance des substitutions de 1747, déclarait la condition de ne point se marier accomplie, lorsque la personne à qui elle avait été imposée, avait fait profession solennelle dans l'état religieux, ainsi et de même que la Novelle 22, chap. 44, l'avait établi par rapport à l'admission à la prêtrisé, tandis qué le même article 25 abrogeant le chap. 37 de la Novelle 125 de l'empereur Justinien, réputait, au contraire, la condition de se marier manquée par l'entrée en religion, et l'avantage fait sous les conditions de se marier, caduc et inutile. »

Mais la loi du 5 septembre 1791, l'art. 1o. de la loi du 5 brumaire an 2, et l'art. 12 de la loi du 17 nivose suivant, abolirent, dans les contrats comme dans les dispositions testamentaires, ou à cause de mort, la condition absolue de ne pas se marier: elles l'abolirent tant à l'égard du donataire et de l'héritier institué, qu'à l'égard du légataire.

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Et la différence qui existe encore entre ces lois et les lois romaines, c'est qu'en abolissant, dans les contrats, la condition de ne pas se marier, elles laissèrent subsister les autres dispositions de ces contrats, puisqu'elles déclarèrent seulement la condition réputée non écrite, au lieu que, suivant la loi 31, D. de obligationibus et actionibus, et la loi 7, D. de verborum obligationibus, les clauses illicites dans les contrats, viciaient toutes les autres clauses auxquelles elles étaient apposées, ce qui n'avait pas lieu à l'égard des clauses illicites dans les testamens et donations à cause de mort, suivant la loi 104, S. 1, D. de legatis, et la loi 5, D. de conditionibus et demonstrationibus.

Nous avons déjà dit que le Code Napoléon n'abolit que les conditions impossibles, et celles qui sont contraires aux lois et aux mœurs.

Mais il est hors de doute que la condition absolue de ne pas se marier, est contraire aux bonnes mœurs, et qu'elle est également contraire aux lois générales d'ordre public, qui sont établies pour l'intérêt de la société. Elle est donc nulle, sous l'empire du Code Napoléon, comme elle l'était sous les lois antérieures.

Mais cette nullité n'a-t-elle lieu que dans les dispositions testamentaires, et non dans les contrats, ainsi que le décidaient les lois romaines?

Et si la nullité est admise dans les contrats, les clauses auxquelles est attachée la condition, sont-elles également nulles?

Les art. 900 et 1172, s'expliquent d'une manière très-précise sur ces deux points.

Suivant l'art. 1172 du Code, lorsque la condition contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi, se trouve insérée dans un contrat, nonseulement elle est nulle, mais encore elle rend nulle la convention qui dépend.

Cependant, l'art. 900 du Code, contient une exception à cette règle, en faveur des donations entre-vifs qui sont aussi des contrats, puisqu'il borne à dire que, dans toute disposition entre-vifs, ou testamentaire, les conditions impossibles, et celles qui seront contraires aux lois ou aux seront réputées non écrites; d'où il suit que les clauses auxquelles elles sont attachées, conservent toute leur force.

mœurs,

La condition de ne pas se marier, n'annulle donc pas, sous l'empire du Code, la disposition entre-vifs à laquelle elle est attachée, quoiqu'elle soit illicite et contre les bonnes mœurs : seulement, comme en matière testamentaire, elle est réputée non écrite.

Toutes ces différences entre la législation ancienne, la législation intermédiaire et la législation actuelle, doivent être remarquées avec soin lorsqu'on veut appliquer chacune d'elles aux actes qu'elle doit régir.

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Et pour savoir quelle est la législation qui doit être appliquée, il faut se rappeler la distinction que nous avons établie, au n°. IV, §. I. de cet article, entre les actes entre-vifs et les actes à cause de mort.

L'acte entre-vifs doit être uniquement régi par la législation qui existait au moment où il a été fait.

L'acte à cause de mort, ne doit être régi que par la législation exis

tante au moment du décès du testateur.

Ainsi la condition absolue de ne pas se marier, a-t-elle été insérée dans un contrat antérieur à la publication de la loi du 5 septembre 1791? elle sera valable et obligatoire.

A-t-elle été insérée dans un acte à cause de mort, soit avant, soit après la publication de la loi du 5 septembre? elle sera réputée non écrite, à quelqu'époque que soit mort le testateur, et la disposition faite au profit du grévé de condition, sera valable.

A-t-elle été insérée dans un contrat postérieur à la publication de la loi du 5 septembre, mais antérieur à la promulgation de la loi du 7 février 1804 ( 17 pluviose an 12), où se trouve l'art. 1172 du Code? elle

sera pareillement réputée non écrite, et la clause à laquelle elle avait été attachée, restera valable.

Il en sera de même, si elle a été insérée dans une donation entre-vifs, même postérieure à la loi du 7 février 1804.

Mais si, postérieurement à la publication de cette loi, elle a été insérée dans tout autre contrat qu'une disposition entre-vifs, non-seulement elle sera nulle, mais encore elle rendra nulle la disposition qui en dépend, suivant l'art. 1172 du Code.

§. III.

De la condition de ne pas se marier avec une ou plusieurs personnes désignées.

Il est évident que, dans le droit romain, la condition de ne pas se marier avec une ou plusieurs personnes désignées, était valable et obligatoire dans les contrats, puisque la condition de ne pas se marier, qui était bien plus rigoureuse encore, n'était point, dans les contrats, regardée comme illicite.

Mais en était-il de même dans les testamens ?

«<< Afin que la condition de ne point se marier soit rejetée, dit Furgole,

il faut qu'elle soit absolue; car si elle était limitée à une ou à certaines personnes désignées par le testateur, ou à des personnes d'une certaine ville, ou d'un certain licu, elle ne serait pas rejetée, L. hoc modo 64, ff. de condit. et demonst. hoc modo legato dato, si lucia Titio non nupserit, non esse legi locum Julianus aiebat. La loi cum ità 63, ff. eod., parle de la condition de ne pas se marier, qui comprend plusieurs personnes dans la défense; cum ità legatum sit, si Titio non nupserit, vel ità, si neque Titio, neque Scio, neque Movio nupserit, et deniquè si plures personæ comprehensæ fuerint, magis placuit, cuilibet eorum si nupserit, amissuram legatum, nec videri tali conditione viduitatem injunctam, cùm alii cuilibet satis commodi possit nubere. On trouve dans le journal des audiences, un arrêt conforme à la décision de ces lois. On doit excepter le cas où la condition porterait une défense d'épouser une fille, que l'héritier ou le légataire aurait déflorée, et qu'il serait obligé,

en conscience, d'épouser; car une telle condition devrait être rejetée comme contraire aux bonnes mœurs, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut, après Peregrinus et Ricard. »

« Que si la condition, ajoute Furgole, a pour objet la défense de se marier avec les personnes d'une certaine ville ou lieu, il faut examiner si une telle condition est apposée en fraude de la loi, de manière que celui auquel cette condition a été imposée, ne peut point se marier facilement avec une personne d'un autre lieu. Dans ce cas, la condition devrait être rejetée; mais il en serait autrement, s'il lui était facile de se marier ailleurs, L. 64, §. 1, ff. de condit. et démonst..... L'auteur du Journal du Palais, tome 1, page 593, et Boniface, tome 4, livre 5, titre 1, chap. 6, rapportent un arrêt du parlement de Provence, du 18 ou du 19 mai 1673, qui a jugé que la condition imposée à l'héritier, de ne point se marier avec une fille d'une certaine ville où le testateur faisait sa résidence, ne devait pas être rejetée. »

Les lois des 5 septembre 1791,5 brumaire an 2, et 17 nivose suivant, ont évidemment rejeté la condition de ne pas se marier avec une ou plusieurs personnes désignées, puisqu'elles réputent non écrite toute clause impérative ou prohibitive, tendant à gêner la liberté de se marier même avec telle personne, même avec des personnes désignées. Mais doit-on considérer cette condition, sous l'empire du Code Napoléon, comme contraire aux mœurs ou aux lois? Nous ne le

pas.

pensons

Elle n'attaque pas la liberté absolue du mariage, puisqu'elle ne le prohibe qu'avec certaines personnes, et, d'ailleurs, elle n'est en opposition ni avec les lois générales d'ordre public, ni avec aucune disposition du Code.

Pendant un très-grand nombre de siècles, elle fut regardée comme très-licite, et les lois des 5 septembre 1791 et 17 nivose an 2, sont les premières et les seules qui l'aient réprouvée.

Il faut même convenir qu'elle est beaucoup moins gênante pour la liberté, que la condition de se marier avec une personne désignée, puisqu'elle laisse une très-grande latitude sur le choix des personnes avec lesquelles on peut se marier, au lieu que la condition de se marier avec une personne désignée,

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